La mission d’enquête de l’ONU mise en place suite au massacre de Koulogon (Cercle de Bankass, centre du Mali) vient de publier ses conclusions. Le village peul de Koulogon avait été victime d’une attaque meurtrière le 1er janvier 2019. Lors du premier massacre communautaire de l’année 2019, 37 civils peuls avaient perdu la vie suite à un assaut mené par une milice de chasseurs dogons. Alors que les conflits communautaires s’intensifient dans le centre, comme en témoigne le récent massacre de Sobane ou encore celui d’Ogossagou, le rapport vient jeter un éclairage sur l’escalade des tensions locales qui précèdent les massacres. Il rappelle le rôle fondamental de la justice pour mettre fin aux cycles de vengeance incontrôlés.
Le massacre : conséquence d’un enchaînement de crimes locaux dont les auteurs restent impunis
Le 1erjanvier 2019, un groupe d’une centaine d’individus, composé de chasseurs dogons et de villageois proches de Koulogon, exécutent 39 civils de la communauté peul. Le bilan effectué au lendemain de l’attaque est particulièrement lourd : 173 cases et 59 greniers ont été incendiés, soit 80 % du village. Des corps ont également été mutilés et du bétail a été volé. Si l’on retient le caractère spectaculaire des massacres communautaires, on oublie bien souvent qu’ils sont la conséquence d’une longue gradation de tensions très localisées entre les différentes communautés. Ces tensions sont alimentées par des crimes, parfois mineurs, commis par chacun des membres des communautés peules et dogons, et dont les auteurs restent généralement impunis. Ces crimes vont du vol de bétail aux enlèvements et, dans le pire des cas, aux assassinats ciblés. L’analyse des différents qui mènent à la tragédie de Koulogon permet de mieux comprendre ces actes de barbaries que sont les massacres communautaires et qui surgissent ici et là depuis le début d’année dans le centre du Mali.
Les tensions commencent entre le 31 octobre et le 2 novembre 2018 lorsque des groupes d’auto-défense peuls attaquent plusieurs villages dogons situés à 50 kilomètres de Koulogon. Lors de ces attaques, des habitations sont brûlées. Les auteurs menacent également les villageois, leur donnant l’ordre de quitter la zone. Le 18 novembre, plusieurs chasseurs dogons attaquent le village de Guiwagou, au sud de la ville de Bankass. Des hommes ripostent. Suite à l’attaque, Les FAMa (forces armées maliennes) arrêtent deux individus peuls. Le lendemain, le chef de village se rend à Bankass pour demander la libération des individus. Il est enlevé par un groupe de chasseurs dogons et assassiné. Le même jour, Dan Nan Ambassagou, la milice de chasseur dogon la plus importante dans le centre du Mali, lance un ultimatum aux Peuls de la ville, leur ordonnant de quitter la localité.
A partir de cet événement, on note une accélération des tensions et affrontements sporadiques entre les deux communautés dans le cercle de Bankass. Selon le rapport « les attaques et incidents ont eu lieu dans un contexte général d’impunité, en l’absence de poursuites à l’égard des responsables. La volonté des autorités maliennes de traduire en justice les auteurs de tels abus et exactions a été limitée ». Le 20 novembre cependant, 15 chasseurs dogons auraient été arrêtés par les militaires à environ deux kilomètres de Koulogon. Selon l’enquête, Les villageois de Koulogon auraient accusé ces chasseurs d’être responsables de certains crimes commis dans la localité. C’est peut-être cette accusation qui aurait poussée les chasseurs dogons à se venger des habitants de Koulogon le 1er janvier 2019.
Impunité et injustice : des éléments fondamentaux des conflits communautaires
L’impunité et le sentiment d’injustice sont des facteurs explicatifs de l’escalade de nombreuses tensions qui surviennent dans les régions du centre touchées par les conflits communautaires.
Plusieurs éléments peuvent expliquer pourquoi les auteurs des crimes sont généralement peu poursuivis. D’abord, il faut reconnaître le manque de moyens des institutions de l’État dans ces localités. L’insécurité au centre a eu pour conséquence le retrait de nombreux fonctionnaires qui ont subi des menaces et qui ont tout simplement fui les zones d’insécurité. La peur des uns et des autres de dénoncer les crimes commis est également un facteur explicatif. Lorsque les auteurs sont connus et résident parfois dans des villages adjacents, il alors difficile de dénoncer par peur d’être victime de représailles. Enfin, il y a aussi le sentiment partagé par beaucoup que les institutions sont incapables de punir les auteurs des crimes commis. Le sentiment que la justice est corrompue ou inefficace pousse les individus à se faire justice eux-mêmes et à se détourner des institutions officielles pour régler les conflits locaux. Certaines associations peules ont pu dénoncer la collusion entre les forces armées et les milices dogons de certaines zones, fait qui aurait accru le ressentiment de cette population envers les forces armées. Ces phénomènes finissent par favoriser la « milicianisation » des communautés, l’État perd alors le monopole de la violence. Face à ce type de conflits, l’outil militaire semble impuissant. Si ce constat est partagé par de nombreux observateurs de la crise au centre, les réponses de l’État malien et des acteurs internationaux présents au Mali tardent cependant à venir.
Image : Minusma Task Group desert force, by Defensie. Wikicommons