Au Mali, l’apparition de l’épidémie de coronavirus ajoute à une crise politique une crise sanitaire. Celle-ci met à l’épreuve le vivre ensemble des maliens ainsi que l’exécutif. La poursuite des élections législatives tant attendues pourrait être compromise tandis que de vives polémiques animent la société civile.
Une crise sanitaire en pleine crise politique
A l’heure où de nombreux pays africains sont touchés par la crise du coronavirus, les experts internationaux et maliens s’interrogent sur l’impact politique de la crise sanitaire dans un contexte déjà délétère. Suite à l’annonce par les autorités sanitaires, le mardi 24 mars, de deux cas testés positifs au COVID-19 au Mali, le président Ibrahim Boubacar Keita (IBK) s’est voulu rassurant dans un discours à la nation diffusée le 25 mars au soir. Pourtant, ce discours a suscité de vives polémiques, notamment au sujet des élections législatives, dont le premier tour s’est tenu le 29 mars. Comme le rappelait IBK lui-même « Les élections législatives émanent de la décision du Dialogue National Inclusif qui en avait fixé les échéances. L’Exécutif s’est gardé d’interférer dans ce Dialogue salué par tous et considéré comme un grand acquis de notre Histoire immédiate. ». Le Dialogue National Inclusif (DNI), après des débuts difficiles, avait réuni, fin 2019, l’ensemble de la société civile malienne afin de proposer des solutions aux multiples crises que traversent le pays. Le Dialogue avait ainsi débouché sur plusieurs recommandations, dont l’une était en effet de fixer les élections législatives avant mai 2020, une étape pensée comme fondamentale pour l’avancée de l’Accord d’Alger (2015). Pour rappel, cet accord a été signé entre le gouvernement malien et la Coordination du Mouvement de l’Azawad (CMA) pour mettre fin à la rébellion touarègue de 2012. Mais face à la crise sanitaire, le premier tour des élections législatives s’est caractérisé par une certaine peur des votants. Le scrutin a aussi été entaché par des attaques de bureaux de vote au centre et au nord du pays. Le deuxième tour, prévu pour le 19 avril, reste incertain malgré la volonté affichée de l’exécutif de poursuivre les élections. Dans ce contexte, un report des élections législatives risquerait de freiner encore plus le processus de paix et de raviver des tensions.
Alors que plusieurs mesures restrictives ont d’ores et déjà été mises en place, comme la fermeture des écoles, des bars et autres lieux de loisirs, la décision de ne pas fermer les marchés, et surtout celle de ne pas fermer les lieux de cultes, ont suscité de vives polémiques. Certains y voyant une marque d’inconscience du gouvernement, d’autres affirmant que la responsabilité de fermer les lieux de culte incombe aux leaders religieux. Enfin, la question se pose de savoir quelles sont les véritables marges de manœuvres du gouvernement pour faire face à la crise sanitaire. Comme de nombreux pays africains, les systèmes de santé manquent cruellement d’équipements nécessaires pour prendre en charge les patients atteints du COVID-19. Certains s’inquiètent également de la capacité du gouvernement à aider les acteurs économiques impactés par la crise. Les mesures de distanciations sociales ne pourront pas être appliquées par tous. Si le gouvernement venait à imposer un confinement strict, de nombreux individus souffriraient de ces mesures, risquant de favoriser des mouvements contestataires majeurs dans un contexte déjà explosif.
Vers un nouveau report des élections législatives ?
Si le premier tour des élections législatives s’est tenu malgré des appels à son annulation, il n’est pas exclu que le deuxième tour, prévu pour le 19 avril, soit reporté suite à une accélération de l’épidémie et des mesures que le gouvernement pourrait être amené à prendre. Si cela venait à se produire, les conséquences sur la poursuite du processus de paix pourraient être importantes au regard des enjeux du vote.
Le premier scrutin a été marqué par une forte abstention et de nombreuses réactions hostiles parmi la société civile, notamment sur les réseaux sociaux. Selon l’estimation officielle, le taux de participation du premier scrutin n’a pas dépassé les 35%, un chiffre qui doit cependant être mis en relation avec la forte abstention aux législatives au Mali depuis 1992. Les critiques répandues ont mis en avant l’incohérence des choix du gouvernement qui a maintenu les élections législatives, tout en interdisant les rassemblements de plus de 50 personnes. Nombre de votants qui se sont rendus dans les bureaux de vote ont pu constater l’absence de respect des barrières de sécurité, ou encore du manque d’équipements nécessaires comme le gel hydro-alcoolique et les kits de lavage de main. Le personnel hospitalier a lui rappelé le risque de multiplication des contaminations que faisait peser le déplacement de centaines de milliers de personnes sur le territoire.
Cependant, si le Mali fait face à une crise sanitaire, le pays est d’ores et déjà confronté à une crise sécuritaire et politique majeur. C’est au regard de ce contexte qu’il faut appréhender les risques concernant un éventuel report du scrutin. En effet, les élections législatives ont déjà été reconduites plusieurs fois depuis l’élection d’IBK en 2018. En octobre 2018, une grève des magistrats avait conduit au premier report des élections. C’est ensuite la Cour constitutionnelle qui avait décidé d’une nouvelle date en avril 2019. Mais le début de l’année 2019 avait été marqué par d’importants conflits communautaires dans la région de Mopti. Face aux mouvements de contestations qui avaient suivi et débouché sur la démission du premier ministre Soumeylou Boubèye Maïga (SMB), les élections avaient été une nouvelle fois reportées avec la prorogation du mandat des députés jusqu’en mai 2020. C’est suite au Dialogue National Inclusif (DNI) fin décembre 2019 que les élections législatives ont été fixées au 29 mars 2020.
Les enjeux de ces élections sont aujourd’hui fondamentaux, car celles-ci conditionnent la poursuite de la mise en place des mesures issues de l’Accord d’Alger (2015). Aux yeux de la communauté internationale, les élections législatives sont essentielles pour l’avancée du processus de paix, ce qui explique le souhait du gouvernement de les poursuivre coûte que coûte. La campagne électorale a par ailleurs déjà été entachée par l’enlèvement, le 25 mars, dans la région de Tombouctou, de Soumeïla Cissé, leader de l’opposition et président du parti de l’Union pour la République et la démocratie (URD). Les circonstances de cet enlèvement restent encore floues, même si la piste de la Katiba du Macina est privilégiée par le gouvernement. Cet enlèvement, survenu à la fin d’une campagne électorale, participe aussi à alimenter des spéculations au sein des médias et de la société civile. Si la crise sanitaire devait pousser l’exécutif à repousser une nouvelle fois les élections, dont les modalités du scrutin sont par ailleurs contestées par la Coordination des mouvements pour l’Azawad (CMA), le fragile consensus qui avait émergé lors du Dialogue National Inclusif (DNI) pourrait définitivement se rompre. Dans ce cas, la date d’un nouveau scrutin serait incertaine alors même que la situation sécuritaire est toujours aussi instable au nord comme au centre.
L’éventualité de la fermeture des lieux de culte fait débat
Un autre sujet qui a fait couler beaucoup d’encre ces dernières semaines est celui de la fermeture des lieux de culte. Le 21 mars, le premier ministre Boubou Cissé avait rencontré les principaux leaders religieux lors d’un conseil, dont l’objectif était d’examiner les mesures pouvant permettre aux fidèles de pratiquer leurs cultes sans enfreindre les mesures de confinement. Le conseil s’était terminé sans la prise de décisions de mesures concrètes, les leaders religieux ayant exprimé le besoin d’un temps de réflexion. C’est à partir de ce moment que les polémiques ont commencé à enfler, certains dénonçant un aveuglement, voire une attitude obscurantiste de la part des leaders religieux. Dans les médias, des appels à la responsabilité des imams se sont fait entendre. Lors de son discours à la nation le 25 mars, le Président n’a pourtant pas pris la décision de fermer les lieux de culte face à des demandes insistantes d’une partie de la société civile. L’ancien Président du Haut Conseil Islamique du Mali (HCIM), personnage religieux sans doute le plus influent au Mali, l’imam Mahmoud Dicko, a rappelé qu’il était difficile de demander la fermeture des lieux de culte tout en incitant les gens à aller voter.
Actuellement, aucune mesure officielle n’a été prise. C’est aux responsables religieux, au cas par cas, à qui il appartient aujourd’hui de fermer les lieux de cultes. Certains à Bamako l’ont déjà fait, d’autres sont beaucoup plus réticents. Si l’épidémie venait à se propager dans le pays, les débats à ce sujet pourraient s’intensifier.
Quelles mesures pour les populations les plus vulnérables ?
« Je voudrais, en ces moments d’épreuves, convoquer toutes nos ressources en tant que nation. Au nombre de ces ressources, j’en appelle à la capacité de chacune de nos familles à être la toute première barrière à la pandémie du Coronavirus. » C’est en ces termes que le président malien en a appelé à la solidarité nationale face à la crise, en appelant d’abord à la solidarité au sein des familles. C’est le rôle de l’Etat dans l’assistance aux plus vulnérables qui est néanmoins au centre des préoccupations.
Comme l’ont avancé de nombreux observateurs, des mesures de confinement strictes sont difficilement applicables dans la majeur partie des pays d’Afrique. Au Mali, où la plupart des urbains sont dépendants du travail informel effectué au quotidien pour se nourrir, un confinement strict ne peut s’appliquer sans des conséquences dramatiques pour les plus vulnérables. Par ailleurs, les mesures d’hygiène et de distanciation sociale ne peuvent être elles aussi appliquées dans des zones urbaines déjà surpeuplées, comme à Bamako. Enfin, le pays ne dispose pas d’un système de santé suffisamment efficace pour faire face à une épidémie de grande ampleur. Comme le rappelait dans un entretien réalisé par RFI, Michel Sidibé, le ministre de la Santé et des affaires sociales, le Mali dispose de 2000 tests de dépistage. Le ministère de la santé a par ailleurs annoncé que le Mali ne disposait que de 54 respirateurs dont la majorité est située à Bamako.
En dehors de la capitale, dans les régions du Centre et du Nord, l’insécurité ne permet pas aux services de l’Etat d’opérer. L’intensité des conflits intercommunautaires, notamment au centre, pourrait aggraver la situation sanitaire si l’épidémie venait à se propager. Par exemple, il faut rappeler que de nombreux déplacés internes en raison de ces conflits, dont le chiffre est estimé à 200 000 et qui sont principalement concentrés autour des grandes villes de la région de Mopti (Mopti, Savaré), vivent dans des camps où la promiscuité accroît le risque de contamination. Gérés en partenariat par le gouvernement et les ONGs, les camps abritent des enfants, des personnes âgés et des malades. Alors que ces dernières sont plus vulnérables au COVID-19, des cas de contamination pourrait conduire à des tensions. Les habitants locaux pourraient également percevoir ces déplacés comme des personnes à risque ou même des indésirables.
Si le gouvernement a bien lancé un fond spécial de lutte contre le coronavirus auquel des acteurs privés ont déjà participé, le montant de celui-ci, estimé aujourd’hui à moins de 15 millions d’euros, sera insuffisant pour lutter contre la pandémie. Dans ces conditions, la situation est préoccupante si venait à s’ajouter à la crise sanitaire une crise de légitimité du pouvoir politique face à sa gestion de crise.
Image : Jeune Afrique, c Présidence Mali.