Le Conseil de sécurité des Nations unies a adopté, le 28 juin, la résolution 2480 par laquelle il prolonge, pour un an, le mandat de la Mission multidimensionnelle intégrée pour la stabilisation du Mali (MINUSMA). Si la décision a été saluée par les acteurs internationaux et le gouvernement malien, la MINUSMA est également sous le feu des critiques d’une grande partie de la population malienne. La faiblesse de son mandat, et son incapacité à enrayer les conflits communautaires au centre, sont les principaux reproches qui lui sont adressés. Les critiques ont été d’autant plus vives à quelques jours de son renouvellement, d’autant que le mois de juin a été marqué par d’importantes violences communautaires.
Une nouvelle priorité stratégique pour la MINUSMA : enrayer l’instabilité au centre du Mali
La grande nouveauté par rapport à la résolution précédente est l’ajout d’une seconde priorité stratégique au mandat de la MINUSMA. Alors que la résolution précédente ne faisait en aucun cas mention d’une priorité de la zone centre, la résolution 2480 confirme l’attention nouvelle de la MINUSMA portée à la crise dans la région de Mopti. Jusque là, les efforts officiels de la MINUSMA s’étaient concentrés sur l’appui à la mise en oeuvre de l’accord d’Alger (2015). Comme il est mentionné dans le document, ce mandat reste bien la priorité principale de la mission onusienne. Cependant, la résolution affirme dorénavant que « La seconde priorité stratégique de la MINUSMA est de faciliter l’application d’une stratégie globale dirigée sur le plan politique par le Mali afin de protéger les civils, de réduire les violences communautaires et de rétablir l’autorité et la présence de l’Etat ainsi que les services sociaux de base dans le centre du Mali ».
Pour l’instant, il est impossible de savoir comment cette nouvelle orientation stratégique de la MINUSMA va se traduire sur le terrain. L’article 21 spécifie toutefois que le Représentant spécial et le commandant de la force devront veiller à doter la mission de moyens suffisants pour mettre en oeuvre cette deuxième priorité. Une évaluation de la zone nord et la zone centre doit être accompli dans les six prochains mois. La MINUSMA va sans doute être amenée à renforcer sa présence militaire, particulièrement dans les zones de la région de Mopti touchées par les conflits inter-communautaires (Cercle de Bankass, Bandiagara, Koro principalement). La MINUSMA va également appuyer le gouvernement malien pour trouver une solution politique à la crise au centre. La résolution exhorte d’ores et déjà les autorités à désarmer les milices dans le centre, appuyer le dialogue pacifique entre les communautés, remédier à l’impunité mais aussi à la désertion des services de l’Etat dans les zones concernées.
Une Mission perçue comme inefficace par la population
L’extension du mandat de la mission de la MINUSMA était prévisible au regard de l’évolution du conflit malien. Si la MINUSMA a été créé pour veiller à la mise en oeuvre de l’accord de paix d’Alger, la dégradation de la situation au centre depuis 2015 impose ce revirement stratégique. Toutefois, à la suite de chaque massacre communautaire, la MINUSMA est très souvent prise pour cible par une opinion malienne de plus en plus dubitative sur l’efficacité et le bien fondé de cette force. Les grandes manifestations à Bamako organisées après le massacre d’Ogossagou et de Sobane en ont témoigné. Nombreux ont été les manifestants qui ont lancé des messages virulents à l’encontre de la MINUSMA ( « MINUSMA dégage, la MINUSMA assassine »).
Ces critiques sont alimentées à la fois par des théories du complot en germes sur les réseaux sociaux, théories elles-mêmes relayées par une certaine partie de la sphère politique et journalistique. Elles sont également alimentées par une partie de l’opinion publique qui s’oppose à l’accord d’Alger (2015), jugé comme un texte imposé par l’étranger et entérinant la partition du Mali. Enfin, nombreuses sont les critiques de la mission onusienne basées sur le constat que malgré la présence de nombreuses forces armées au Mali, la situation sécuritaire ne cesse de se détériorer.
Une situation au centre hors de contrôle
A y regarder de plus près, la situation au centre du Mali s’est largement détériorée depuis le massacre d’Ogossagou. Plusieurs tendances peuvent être observées. Premièrement, les conflits inter-communautaires sont plus récurrents et l’intensité des violences augmente elle aussi. En effet, les bilans annoncés après les attaques ont tendance à s’élever : plus de 130 morts à Ogossagou en mars dernier, plus de 35 morts à Sobane après un bilan initialement annoncé à 95 morts. Le 17 juin, le massacre de Gangafani et Yoro fait une quarantaine de morts parmi la communauté dogon. Quelques jours plus tard, c’était au tour de trois villages peuls (Bidi, Sankoro, Saran) d’être victimes d’une attaque orchestrée par une milice dogon. Au total, ce sont 23 civils tués et de nombreux blessés. Il faut également constater la plus grande récurrence d’attaques mineures, moins médiatisées, moins meurtrières mais dont le nombre augmente bel et bien. Depuis 2019, c’est plus de 600 morts lors d’affrontements communautaires, un bilan qui surpasse déjà celui de l’année 2018 pour laquelle l’ONU avait annoncé un chiffre 500 morts.
Deuxième tendance qui est observée, le renforcement de la présence des milices au centre. Les acteurs humanitaires qui opèrent dans cette zone rapportent que les milices sont de plus en plus actives. Ce phénomène s’observe par l’augmentation des check-points, contrôles et patrouilles effectués par les milices. Après le massacre du village dogon de Sobane, les différentes milices dogon ont accéléré leur recrutement en sommant des villages de verser de l’argent « pour la cause » ou bien de fournir des jeunes.
Enfin, la situation humanitaire se dégrade elle aussi. La montée des tensions et la plus grande présence des milices ont imposé plus de vigilance aux acteurs humanitaires qui ont par conséquent plus de difficultés à atteindre les civils dans le besoin. Les affrontements communautaires viennent aussi gonfler le nombre de déplacés dans la région. L’insécurité pousse les civils à réduire leurs déplacements. Ces déplacements sont pourtant nécessaires pour les ruraux qui ont besoin d’accéder à différents services sociaux, comme les services de santé par exemple. Dans ce contexte, l’extension des priorités stratégiques de la MINUSMA semble plus que nécessaire. Reste à savoir comment celle-ci va agir pour diminuer les tensions communautaires dans le centre.
Image : Trying out new Peacekeeping Uniforms, by Eigenes Werk, CC BY-SA 4.O