Au moins 95 civils ont été tués dans la nuit de dimanche à lundi 10 juin dans le centre du Mali. L’attaque a eu lieu dans le village dogon de Sobane Kou, dans le cercle de Bandiagara (région de Mopti). Cette attaque est à l’origine du troisième massacre communautaire majeur depuis le massacre de Koulogon le 1er janvier 2019 et le massacre d’Ogossagou, le 23 mars dernier. Dans les deux cas, les victimes étaient membres de la communauté peule. C’est la première fois qu’une tuerie d’une telle ampleur touche la communauté dogon. A quelques jours de la fin du mandat de la MINUSMA (30 juin 2019), ce massacre témoigne d’une situation de plus en plus préoccupante au centre du Mali.
Une attaque survenue pendant la nuit entre dimanche 9 et lundi 10 juin
Si les faits restent encore flous, les médias nationaux et internationaux se sont fait l’écho de nombreux témoignages de la tuerie. Le gouvernement s’est lui aussi exprimé dans un communiqué officiel. Selon les témoignages, des individus appartenant à la communauté peule auraient encerclé le village de Sobane Kou aux alentours de 17h00, le dimanche 9 juin. Les habitants, croyant à un vol de bétail, se seraient alors réfugiés dans leurs cases. Ce n’est que dans la nuit que les assaillants ont lancé l’assaut. Ce matin, le gouvernement a fait état de 95 civils assassinées, dont des femmes et des enfants. Tous appartiennent à la communauté dogon. Le petit village de 300 habitants a été entièrement incendié.
Cette attaque rappelle la tragique tuerie d’Ogossagou, survenue le 23 mars dernier. Ce massacre avait profondément marqué la société civile malienne ainsi que la communauté internationale. Les autorités avaient fait état de plus de 150 morts.
Les auteurs et les motifs de l’attaque restent encore difficilement identifiables
Qui sont les auteurs de ce massacre et quels sont leurs motifs ? La question s’est posée très rapidement dans les médias malien au matin de l’attaque. S’il est encore trop tôt pour afficher des certitudes, plusieurs hypothèses ont néanmoins été formulées. Les tensions en cours impliquent cependant la plus grande prudence dans les opinions avancées.
Selon la grande majorité des témoins, des individus de la communauté peule seraient à l’origine du massacre. Dans ce cas, il pourrait s’inscrire dans un cycle de représailles entre des membres des communautés dogon et peule. Ces derniers temps, les conflits communautaires dans le cercle de Bankass et Bandiagara s’étaient accentués. De nombreux assassinats ciblés visant les membres de chaque communauté avaient été signalés. Peu avant la période des fêtes marquant la fin du Ramadan, des vols de bétail en série impliquant les deux communautés avaient touchés la zone. Devant l’explosion de la criminalité et la recrudescence des tensions communautaires, Dan Nan Ambassagou, la milice d’auto-défense dogon, avait d’ailleurs publié un communiqué dans lequel elle affirmait lancer des patrouilles afin de garantir la sécurité des populations.
D’autres médias n’ont pas hésité à mettre en avant l’hypothèse d’une tuerie orchestrée par les radicaux. Il est vrai que la Katiba Macina, dirigée par le prédicateur peul Amadou Koufa, particulièrement active dans la région de Mopti, avait promis de venger les peuls victimes du massacre d’Ogossagou. Si cette piste n’est pas à écarter, elle ne peut être confirmée à ce jour. L’attaque n’a, en effet, fait l’objet d’aucune revendication.
Réaction du Secrétaire général de l’ONU et situation au centre
Le massacre survient alors qu’Antonio Guterres, Secrétaire générale de l’ONU, s’était exprimé à l’occasion de la publication du rapport sur la situation au Mali publié le 6 juin 2019. Le Secrétaire général avait affirmé son inquiétude devant la montée des tensions communautaires au centre. Pour la région du centre, selon le rapport, sur le deuxième trimestre de l’année 2019, « il y a eu 245 atteintes à la sécurité au cours desquels 333 civils ont été tués et 175 blessés, ainsi que 145 signalements d’enlèvements de civils, contre 267 atteintes à la sécurité, 225 morts et 149 blessés pendant la période précédente. Au cours de la période considérée, 10 explosions ont été recensées, qui ont fait 11 morts et 26 blessés parmi des civils dans les régions du centre du pays ». Le Secrétaire général avait également profité de l’occasion pour plaider le renouvellement de la MINUSMA, actuellement sous le feu des critiques, alors que son mandat arrive à échéance le 30 juin 2019. Le massacre de Sobane vient confirmer les craintes partagées par de nombreux observateurs à propos du centre du Mali : le conflit communautaire s’intensifie.
Lundi 10 juin, Antonio Guterres a appelé au calme tout en dénonçant les auteurs du massacre. Il a également exhorté le gouvernement malien à prendre des mesures afin de traduire les auteurs en justice. Cette déclaration rappelle tristement celle d’Ogossagou mais aussi celle de Koulogon, témoignant ainsi de l’impuissance des acteurs engagés dans le conflit malien à enrayer le cycle des violences communautaires.
Image : Pays Dogon by Obserson. Wikicommons CC BY 2.0