L’annonce d’une attaque meurtrière visant la communauté peule a été faite mardi 1er janvier dans la soirée. Le gouvernement malien a annoncé la mort de 37 civils, tués dans une attaque apparemment menée par des chasseurs dozos. C’est du moins ce que différents témoins ont affirmé, information vite relayée dans les médias. Un éleveur peul a ainsi témoigné auprès de la télévision nationale (ORTM) « C’est une milice dozo qui nous a attaqué tôt ce matin. Ils étaient tous armés, habillés en tenue dozo. Notre chef de ville Moussa Diallo a trouvé la mort dans cette attaque, ainsi que des membres de sa famille, dont une fillette et des vielles femmes ». Le gouvernement a affirmé que les coupables seraient poursuivis et jugés sévèrement pour leurs crimes.
Contexte sécuritaire au centre et tensions communautaires
Depuis 2015 et l’apparition de nombreux groupes djihadistes au centre du Mali, comme le Front de Libération du Macina (FLM), la situation dans la région de Mopti s’est largement dégradée. Les djihadistes se sont disséminés dans la population et ont profité de l’absence de contrôle exercé par les forces maliennes pour mener des actions visant les représentants de l’ordre et les civils. L’objectif : instiller la peur parmi les habitants. Les communautés dogons, peules et autres, se sont peu à peu armées et des milices d’autodéfense communautaires ont vu le jour. Ce phénomène est rendu possible par la circulation des armes due au conflit. Si les milices proclament défendre les communautés, villageoises ou ethniques, elles ne font pas véritablement un usage raisonné de la force. Bien souvent, leurs actions sont guidées par la vengeance et le cycle des représailles. Elles pratiquent également le brigandage et le vol. Les populations civiles sont les premières victimes de ces agissements. Selon l’ONU, les violences communautaires ont ainsi fait plus de 500 morts parmi les civils en 2018.
Une polarisation autour des identités locales
Aujourd’hui, c’est la polarisation autour des identités locales qui est dangereuse et préoccupante. Les Peuls sont de plus en plus assimilés par les autres communautés à des terroristes. Cette opinion s’appuie sur l’idée d’un « péril peul », elle même fondée sur la particularité des liens entre Peuls et islam dans l’Histoire. Au début du XIXème siècle, le centre du Mali était le berceau du royaume théocratique du Macina. Dirigé par Sékou Amadou Barry, les Peuls y ont exercé une hégémonie ethnico-religieuse dans les régions actuelles de Ségou, Mopti et Tombouctou. Ces communautés sont encore aujourd’hui perçues localement comme les gardiennes d’un islam lié au djihad (entendu comme lutte armée et terrorisme). Les groupes djihadistes qui se sont implantés dans la région se revendiquent aujourd’hui de cet ancien royaume islamique.
Les sentiments de haine et stéréotypes envers les Peuls sont instrumentalisés par les groupes armés qui prétendent défendre leur communauté contre le terrorisme. Pour autant, les nombreuses attaques recensées ont d’abord visé des civils, comme en témoigne l’attaque du village de Koulogon. La FIDH (Fédération internationale des droits de l’Homme) a publié un rapport dénonçant les violations des droits de l’Homme commises par les milices de tous bords. Elle a également dénoncé la partialité de l’Etat malien à l’égard des violences commises contre les Peuls. La polarisation identitaire du conflit mène aujourd’hui à des situations de violences extrêmes dont les djihadistes savent jouer. En se présentant comme proches des Peuls, les mouvements djihadistes légitiment leur position en tant que défenseurs des communautés locales.
Dozos et Peuls : au delà de la polarisation identitaire
Dougoukolo Alpha Oumar Ba-Konaré est chargé de cours à l’Institut national des langues et civilisations orientales (Inalco). Il a récemment mis en évidence la dangerosité de cette polarisation existante autour des identités locales. Les amalgames associant Peuls et terroristes, chasseurs traditionnels et miliciens méritent d’être nuancés. C’est finalement la lecture manichéenne entre les « mauvais Peuls » d’une part et les autres, « les bons », qu’il faut rejeter. Cette lecture conduit à une crispation identitaire et elle légitime la violence de tous contre tous. Le « péril Peul » est une construction qui s’est installée peu à peu dans les imaginaires. Se sentant menacés par le terrorisme islamique, les communautés dogons et bambaras se sont armées.
Les milices qui se sont créés, se désignant souvent comme des Dozos, ont commis des atrocités. Si elles sont dénoncées, elles sont également perçues comme un mal nécessaire. Ces prétendus Dozos se sont érigés en ennemis naturels des djihadistes et de la violence inter-communautaire. Mais qui sont-ils réellement ? Les Dozos sont une confrérie de chasseurs traditionnels. Présents dans de nombreux pays d’Afrique de l’Ouest, ils jouissent dans l’imaginaire collectif d’une réputation de guerrier. Pour autant, là où les Dozos traditionnels utilisent de vieux fusils, les Dozos du centre de Mali sont armés de kalachnikov et se déplacent en 4×4. Habillés dans des tenus de chasseurs et parés de gris-gris, ils évoquent aux habitants les antiques dozos. Le sont-ils réellement ? Personne ne peut l’affirmer aujourd’hui. Toutes les milices non peules ne sont pas des Dozos. Ces milices se sont présentées comme tel pour gagner le soutien de la population et parfois monnayer leurs services de protection. Certaines d’entres elles ont même appelé au nettoyage ethnique.
Les groupes d’auto-défense peuls, qui réagissent en retour, ne peuvent ainsi pas tous être assimilés à des groupes terroristes. « L’autodéfense n’est pas du djihadisme » plaide Oumar Ba-Konaré. Finalement, l’apparition de ces milices créé une forte tension autour des identités locales. Les amalgames et les stéréotypes identitaires de toutes parts contribuent à une hostilité de plus en plus liée aux récits identitaires et communautaires de chacun.
Image : Peul women wearing colourful headscarves, by hdptcar. Wikicommons CC BY 2.0.