Le centre Carter a publié, le 14 mai dernier, son quatrième rapport sur la mise en oeuvre de l’accord de paix d’Alger (2015). Observateur indépendant de la mise en oeuvre de l’Accord pour la paix et la réconciliation au Mali, le centre Carter souligne les reculs récents dans le processus et met en avant les principaux obstacles entravant son avancée. Si le rapport fait état de plusieurs progrès dans la mise en oeuvre avec le lancement récent de la réforme constitutionnelle, il affirme que la période de janvier à avril 2019 a été marquée par des actions unilatérales des signataires au premier rang. Parmi ceux-ci, la Coordination des mouvements de l’Azawad (CMA), le gouvernement et la Plateforme (regroupe des mouvements du nord Mali, touaregs notamment, tels que le Groupe d’autodéfense touareg Imghad et alliés). Ces actions unilatérales semblent avoir entachées le dialogue entre les parties.
Lancement par le gouvernement du processus de réforme constitutionnelle
Pour le centre Carter, l’avancée la plus notable sur la période est celle du lancement du processus de réforme constitutionnelle, essentielle pour l’application de l’accord. Le 1er avril, le comité des experts pour la réforme de la Constitution a déposé un projet de loi après une concertation avec l’ensemble des acteurs maliens. Le texte met en avant de nombreuses propositions comme la création d’un Sénat, d’une cour des comptes ainsi que le réaménagement des attributions. Il propose de mettre en place de nouvelles règles d’organisation de la Cour suprême, de la Cour constitutionnelle ainsi que de la Haute Cour de justice. Le gouvernement a également lancé, le 18 mars dernier, un atelier de discussion portant sur la loi d’entente nationale. Les associations de défense des droits de l’Homme ainsi que la société civile ont cette fois été conviées pour discuter de cette loi qui avait tant fait débat l’an dernier. Parmi d’autres avancées, le centre Carter cite le décret du 27 mars 2019 déterminant les modalités de transferts des services déconcentrés de l’Etat aux collectivités territoriales relevant de leur domaine de conséquence.
Mais le dialogue entre les parties maliennes de l’accord s’essoufflent
Cependant, le dialogue entre les parties maliennes de l’Accord semblent s’essouffler. Sont en cause les actes unilatéraux, pris à la fois par le gouvernement malien mais aussi par les divers mouvements signataires. Du côté des signataires, la CMA a publié deux décisions unilatérales, le 30 janvier 2019, portant à la fois sur des mesures administratives dans la zone de Kidal et sur le lancement d’une opération militaire de sécurisation dénommée Acharouchou. De fait, la région de Kidal est aujourd’hui administrée de facto par la CMA et cela contre la volonté du gouvernement et des autorités intérimaires. De son côté, le gouvernement a lancé, le 8 mars, l’opération militaire Dambé. Cette opération couvre les territoires du centre mais aussi ceux du Nord (Tombouctou, Gao, Kidal, Ménaka, Taoudénie). La décision viole l’accord de paix notamment les articles 21 et 22. Le premier stipule que « les forces armées reconstituées se redéploieront, de manière progressive à compter de la signature de l’accord, sur l’ensemble des régions du Nord. Ce redéploiement s’effectuera sous la conduite du mécanisme opérationnel de coordination (MOC), avec l’appui de la Minusma ». Le second affirme que « Les forces redéployées devront inclure un nombre significatif de personnes originaires des régions du Nord, y compris dans le commandement, de façon à conforter le retour de la confiance et faciliter la sécurisation progressive de ces régions ». Jugeant, dans un communiqué, que ces conditions n’étaient pas réunies, la CMA s’est retirée temporairement de l’organe d’échange tripartite. Cela a provoqué de vives tensions entre les signataires de l’accord.
Un mécanisme de DDR en panne et un MOC peu efficace
Non moins important, le mécanisme de Désarmement, Démobilisation, Réintégration (DDR) semble être aujourd’hui en panne. Le centre Carter accuse le manque de moyens dédiés au DDR accéléré. Il existe de nombreux obstacles organisationnels, techniques, financiers et matériels qui retardent l’avancée du processus. Pour ce qui est du MOC (Mécanisme opérationnel de coordination), quatre mois après l’inscription au mécanisme de 1 423 éléments, pas un seul des éléments enregistrés n’ont été réintégrés dans les forces armées nationales, comme le voudrait la conduite du processus. Au sein du Comité de suivi de l’accord (CSA), la question du DDR et de sa conduite est loin de faire consensus également. Ce manque de consensus entrave considérablement la mise en place d’une grille d’actions claires. De plus, il semble que le nombre de combattants enregistrés au DDR soit largement supérieur aux effectifs réels des groupes combattants.
D’autres questions majeures entravent l’avancée de l’accord
Le centre Carter met en avant de nombreux autres éléments qui entravent la mise en place de l’accord. Le rapport souligne la faiblesse du consensus parmi les garants internationaux et parties accompagnantes. Pour l’Observateur indépendant, « il apparaît toutefois qu’en dépit des préconisations fixées par l’accord, il existe parmi les acteurs internationaux eux-mêmes des grandes différences de perceptions et de disponibilités quant aux responsabilités de garanties et d’accompagnement ». Autre élément également pointé du doigt par le rapport : l’accroissement des tensions au centre du Mali. Les conflits communautaires y sont de plus en plus nombreux et de plus en plus violents, comme en témoigne le massacre d’Ogossagou le 23 mars dernier. Cette situation au centre pèse aujourd’hui sur l’entente nationale et la paix à long terme. Lors de la signature de L’accord en 2015, la situation sécuritaire était tout autre. Logiquement, celle-ci n’était donc pas prise en compte par les parties signataires. Enfin, le rapport met en exergue la difficulté des acteurs humanitaires à répondre aux besoins des communautés. Cela malgré le fait que les parties signataires se soient engagées à garantir l’accès humanitaire ainsi que la sécurité du personnel humanitaire (article 47).
Image : Telly, one of the first villages in the Bandiagara escarpment in Mali, by Ferdinand Reus. Wikicommons CC BY 2.0