Malgré le contexte sanitaire au Maroc, l’Aïd Al Adha (fête du sacrifice ou Grande fête), l’une des fêtes les plus importantes de l’islam, est maintenue dans le Royaume. Le virus ne cesse pourtant de progresser au point que le gouvernement a décidé de reconfiner les huit plus grandes villes du Maroc.
Les mesures sanitaires de la fête
Bien que la célébration de la fête du mouton soit perturbée en raison du coronavirus, elle aura bien lieu le 31 juillet, selon des consignes sanitaires et hygiéniques strictes : le port du masque est obligatoire ainsi que la distanciation sociale d’un mètre et l’utilisation du gel hydroalcoolique par l’abatteur. Privilégier les abattoirs et réclamer la présence d’un vétérinaire sont des mesures recommandées.
De plus, l’ONSSA (Office National de Sécurité Sanitaire des produits Alimentaires) propose une opération d’identification qui sera réalisée gratuitement au profit de tous les éleveurs engraisseurs au niveau national : « L’opération consiste en la pose, sur l’une des oreilles de l’animal, d’une boucle de couleur jaune qui porte un numéro de série unique à chaque animal, en plus de la mention « Aid Al Adha » ». Seuls les animaux identifiés accéderont aux espaces de vente. Le mouton doit être en excellente santé et ne pas souffrir d’écoulement nasal, de rougeur excessive des yeux, de fièvre au niveau des oreilles… Toutes les mesures sanitaires pour protéger et conserver la viande en cette période de chaleur seront également respectées.
Les oppositions politiques sur le maintien de la fête
Cependant, le maintien de la fête a créé une vive polémique. Le parti communiste marocain « Taliâa » a proposé au chef du gouvernement, l’annulation de la fête du sacrifice, en raison du risque trop important lié à la propagation du virus. Il s’appuie sur un précédent : dans les années 80, en raison de la sécheresse, le Roi Hassan II avait interdit la fête du sacrifice. Selon le parti communiste, il serait insensé de le maintenir d’autant plus que certains Marocains n’auront pas les moyens d’acheter un mouton, en raison du désastre économique, bien que les prix aient baissé cette année.
Monsieur Rafiki, spécialiste et chercheur dans les mouvements au Maroc, insiste et a écrit sur son compte Facebook que la fête du sacrifice n’était pas obligatoire. De plus, certaines familles ont décidé de ne pas participer à cette fête.
Néanmoins, le ministre de l’Agriculture, Aziz Akhannouch, estime que cette célébration (à forte connotation religieuse et sociale) est trop importante pour être annulée, notamment après un ramadan et une fête de l’Aïd-el-Fitr chaotiques. L’Aïd-al-Adha marque la fin du pèlerinage à La Mecque, qui a été également, annulé cette année. Normalement, la fête du sacrifice permet aux familles de se retrouver, mais les rassemblements sont interdits. Le gouvernement craint quand même un attroupement de masse.
La non-intervention des hautes autorités religieuses
De leur côté, les autorités religieuses (le Roi, Commandeur des croyants, le Conseil supérieur des Oulémas, le ministère des Habous et des Affaires islamiques), qui ont un rôle majeur dans une monarchie de droit divin, ont été particulièrement discrètes. Elles sont intervenues pour rappeler les mesures sanitaires à respecter, mais sont restées silencieuses dans le domaine théologique.
Seul le Roi peut décider d’interdire ou d’autoriser la fête du sacrifice et les autorités religieuses ne peuvent s’opposer à cette décision de la maintenir. Cependant, elles peuvent prendre la parole, intervenir en conseillant et donnant des consignes à la population. Mais elles se sont tenues à l’écart du débat. Notamment le Conseil des Oulémas, qui avait démenti au début du mois de juin 2020, toute spéculation quant à une éventuelle interdiction de la fête, et annoncé une fatwa concernant son organisation, n’a pas depuis émis de nouvelle position. On note donc un paradoxe des autorités religieuses qui ont pour rôle d’intervenir en précisant les pratiques cultuelles lors de grandes fêtes et qui pourtant ont simplement expliqué des mesures sanitaires et non cultuelles sans évoquer l’importance religieuse de la fête du mouton.
La réouverture progressive des mosquées le 15 juillet est très risquée bien que la prière du vendredi soit interdite. Le ministère des Habous, en accord avec le Roi, a interdit l’accomplissement de la prière de l’Aïd -Al-Adha dans les moussalas et les mosquées, en précisant que les citoyens peuvent prier chez eux et que le prêche n’est pas une obligation.
Les conséquences de cette non-intervention
Malgré le contexte sanitaire et les risques que représente cette fête, les autorités religieuses n’appellent pas à son interdiction ; elles s’appuient sur les recommandations sanitaires générales des pouvoirs publics marocains sans les commenter sur un plan théologique ou religieux. De plus, elles n’insistent pas, ou que très peu, sur les pratiques religieuses à assurer dans le respect de ces recommandations. Cette non-intervention peut être comprise comme une politique de prudence, mais peut au contraire instaurer un climat de défiance vis-à-vis des populations, notamment au moment où le virus se propage de plus en plus avec le confinement de plusieurs grandes villes.
On peut penser que les autorités religieuses ont pris la décision de ne pas intervenir et de ne pas interdire la célébration afin d’éviter un mouvement de panique et de soulèvement dans le Royaume. Leur rôle est de rassurer la population, mais en s’abstenant de toute intervention dans leur domaine, celui de l’organisation des cultes et de la justification théologique, elles pourraient perdre leur crédibilité et ouvrir la porte à des dissensions internes de la part des partisans d’une interdiction.
Image : Fête du mouton par MarocStoun, Flickr