Chaque année depuis 2007, l’association Fès-Saiss organise le Festival de la Culture Soufie à Fès au Maroc. C’est un illustre événement dans ce pays où la culture soufie a une place importante. La ville de Fès est une capitale culturelle, comme en témoigne son patrimoine et plusieurs événements culturels comme celui-ci ou encore le Festival de Fès des Musiques Sacrées du Monde.
Le soufisme, voie mystique de l’islam
Le soufisme est né au VIIIème siècle en Irak et en Iran et s’est répandu au Maroc au IXème siècle sous l’influence de différentes personnalités qui ont organisé autour d’elles le regroupement de confréries ou tariqa, rassemblées dans des édifices religieux ou zaouïa.
Le soufisme désigne un mouvement ésotérique et mystique de l’islam représenté par une confrérie de fidèles autour d’une figure sainte ou d’un maître spirituel. Ce mouvement religieux est considéré comme un cheminement personnel de l’individu qui se cherche et qui cherche à s’élever aux hauteurs célestes, à résoudre le mystère de l’unité entre Dieu et sa création. Le but est effectivement d’accéder à une transformation de soi-même par un voyage spirituel. Les pratiquants soufis considèrent que l’amour est la plus importante des valeurs et l’étape la plus difficile à atteindre.
On trouve les fondements de ce mouvement dans la révélation coranique et on le retrouve sous différentes formes dans les branches de l’islam sunnite et chiite. L’objectif est de communier avec Dieu à travers les différents arts, tels que la musique, la danse, et le chant. Il s’exprime aussi par différentes pratiques telles que le dikhr, répétition très rythmée, dans un état méditatif et de transe, de certaines formules tirées du Coran ou du nom d’Allah. Cette pratique, qui peut se faire de façon individuelle ou collective, est une forme de litanie qui, d’après les soufis, contient toute la vérité de l’homme, de Dieu et de l’univers.
Ce courant religieux est très pratiqué dans l’Afrique islamisée et dans l’Afrique soudano-sahélienne en particulier au Sénégal qui entretient des relations fraternelles avec le Maroc. D’après le magazine Jeune Afrique, on estime à 300 millions le nombre de soufis dans le monde sur 1,6 milliards de musulmans. Ils représentent environ 19% de la branche sunnite.
Promouvoir la culture soufie dans un pays presque entièrement musulman sunnite, semble donc nécessaire également du fait de son rapport aux autres branches de l’islam. Le soufisme est parfois perçu comme une dérive idolâtre ou comme une voix dissidente de l’islam. Ainsi, d’après l’historien Pierre Vermeren [1] « depuis les années 70, les confréries de l’islam soufie font contrepoids aux islamistes dans les quartiers populaires de la ville mais offrent aussi un regain de spiritualité à une société marocaine qui en manque cruellement face à l’offensive du salafisme ». Étant réputé pour sa pratique tolérante de l’islam, le soufisme a fait l’objet de plusieurs attaques terroristes. Des djihadistes attaquent les confréries soufies au Maghreb, en Afrique subsaharienne, au Moyen-Orient et sur le sous-continent indien depuis plusieurs années.
Au contraire, pour les soufis, il s’agit plus d’un prolongement que d’une dissidence de l’islam. D’après Faouzi Skali, docteur en Science des religions et directeur du Festival de Fès de la Culture Soufie : « Le soufisme est une voie d’approfondissement spirituel liée à la tradition de l’islam. Elle n’est donc pas une voie (encore moins une secte) à côté, mais dans le prolongement intérieur de cette tradition. »
L’influence soufie au Maroc
Depuis plusieurs années, selon l’anthropologue Nazarena Lanza : « Le soufisme au Maroc fait l’objet d’une grande exposition médiatique, au point qu’on peut y voir un phénomène de société et un investissement fort, de la part du Royaume, sur ses ressources spirituelles », en témoigne, « la présence de plus en plus importante, au Maroc, de pèlerins africains subsahariens appartenant à la confrérie soufie de la Tidjaniyya qui constitue l’une des facettes de cet investissement sur le patrimoine religieux marocain ».
De plus, certaines confréries restaurent les sanctuaires, financent des écoles rurales, et donnent un élan nouveau aux festivals et aux pèlerinages festifs au Maroc, notamment à Meknès. On peut voir l’importance de la culture soufie au Maroc surtout à travers l’augmentation du nombre de confréries dans le Royaume et la ville de Fès qui représente non seulement le côté artistique dans la culture soufie mais qui est aussi vue comme la capitale de sa spiritualité.
Le Festival de Fès de la Culture Soufie semble se situer au cœur de cette jonction entre spiritualité et culture qui fait la richesse et l’universalité du courant. Les deux facettes semblent en effet indissociables dans le cadre de ce mouvement. Ainsi, selon Faouzi Skali, « c’est précisément par le soufisme qu’il y a eu dans l’islam cette conjonction entre religion et culture, produisant ainsi une civilisation à la fois singulière et universelle avec un patrimoine littéraire, poétique, artistique, intellectuel et social très riche ».
Un premier festival digital
Cette année, la 13ème édition du festival de Fès de culture soufie aura un aspect bien différent pour les Marocains. Cette édition se tient uniquement en ligne depuis le 17 octobre 2020. Lors de cette édition, on découvre l’art attaché au soufisme par les peintures, les calligraphies, la littérature, le cinéma, les modes de vie, l’architecture et les soirées d’invocations organisées par des confréries issues de différents pays. Des tables-rondes et des masterclass sont également prévues.
L’objectif de cette programmation est de « montrer comment cette civilisation peut continuer d’être le terreau de valeurs universelles et de s’enrichir de sa relation avec d’autres cultures et religions ». Le thème de cette année est « l’art de la transmission » et présente ainsi une sorte de réponse créatique et culturelle à cette crise liée à la pandémie de la Covid-19.
Si Faouzi Skali admet que « la tenue d’un festival en ligne peut être un défi», pour lui, « le but est que les nouveaux outils du digital puissent servir à la découverte de cette belle culture du soufisme à travers le monde et de s’en nourrir culturellement et spirituellement ».
La question du maintien de la fête de l’Aïd a déjà fait l’objet de nombreux débats au mois de juillet. D’autres événements culturels et religieux marocains devront se servir des moyens digitaux durant les prochains mois en raison du contexte sanitaire. Cela soulève de nombreuses questions liées à la démocratisation de la culture et à la valorisation du soufisme.
Inégalités et difficultés d’accès à la culture au Maroc
« Est-ce que la culture a encore sa place au Maroc ? » se demande Maroc-Hebdo.
Aucune alternative n’a pu remplacer l’annulation effective des plus grandes activités culturelles dans le Royaume. Il est difficile de parler d’une véritable rentrée culturelle car plusieurs festivals comme Mawazine à Rabat, le Festival International du Film à Marrakech ou encore le Festival du Raï à Oujda ainsi que le Festival de Fès des Musiques Sacrées du Monde ont été annulés. Par ailleurs, l’industrie du cinéma est fortement touchée par la crise à Ouarzazate.
La digitalisation de cet événement peut entraîner des inégalités d’ordre social. Les manifestations culturelles en digital ne sont accessibles que pour une partie de la population. Même si la connectivité au Maroc est en augmentation, environ trente pour cent de la population marocaine n’y a pas encore accès et ne peut donc pas participer. Cependant, le festival en ligne reste un moyen de limiter les pertes culturelles et économiques qu’auraient provoquées une annulation totale et peut offrir la possibilité de faire profiter d’autres pays et d’autres régions du monde de la richesse de la culture et de la spiritualité soufies. Cette édition est ainsi retransmise dans plusieurs centres traditionnels du soufisme « de Fès à Konya en Turquie, de Grenade à Niamey, en passant par Lahore au Pakistan, Madagh ou Bejaâd » selon le communiqué de l’association.
La digitalisation du Festival de Fès amène également à se demander si l’événement est aussi apprécié et visible que durant les années précédentes. Elle entrave les interactions entre confréries ce qui risque de limiter l’impact d’un tel événement
Pour conclure, on peut supposer que la découverte de la digitalisation du festival risque de limiter sa portée. Le Maroc, terre de soufisme stimule les différentes confréries grâce à des manifestations tels que le Festival de Fès de la Culture Soufie. Le passage au numérique est un enjeu essentiel pour lier tradition et modernité dans cette branche de l’islam.
[1] VERMEREN, Pierre, Le Maroc : un royaume de paradoxes en 100 questions, Broché, 2020, 304 p.