Un nouveau cadre légal pour la communauté juive au Maroc
Après la création d’Israël en 1948, 250 000 Marocains de confession juive sont partis de l’autre côté de la Méditerranée rejoindre l’État hébreu. Aujourd’hui, le Maroc abrite la plus grande communauté juive du monde arabe sur son territoire (3 000) et environ 1 million de juifs d’origine marocaine vivent en Israël occupant des fonctions centrales sur la scène politique. Le souverain marocain Mohammed VI a instauré un nouveau cadre légal pour la communauté juive. Cette démarche s’inscrit dans une longue série de mesures en faveur d’un rapprochement entre les différentes communautés au sein du pays.
De nouvelles instances pour le judaïsme entérinées au Maroc par le roi Mohamed VI
Le 3 novembre 2022, un dahir (décret royal) publié au Bulletin officiel met en place un nouveau cadre pour la communauté marocaine juive. Ce décret officialise les mesures prises cet été, relatives à la nouvelle organisation des institutions juives. Ainsi, cette dernière consiste en trois structures représentatives et organisationnelles. D’abord un conseil national chargé de gérer et coordonner les affaires de la communauté, avec un siège à Rabat. Puis, une commission des juifs marocains de l’étranger, avec pour mission d’œuvrer à renforcer les liens d’attachement de la communauté avec son pays d’origine et de défendre les intérêts du Maroc à l’étranger. Enfin, une fondation du judaïsme marocain qui s’attache à promouvoir et sauvegarder le patrimoine immatériel judéo-marocain et ainsi conserver ses traditions. Il revient au ministère de l’Intérieur de mettre à exécution ce dahir cette année.
Un engouement pour la culture judaïque et la communauté juive depuis quelques années …
Ce renouveau du cadre juif a pour but de mettre en valeur la richesse et la diversité de l’identité nationale, qui par définition, se nourrit et s’enrichit dans des multiples affluents et composants.
Depuis quelques années déjà, on assiste à un intérêt de plus en plus vif pour la communauté juive. La société marocaine semble vouloir renouer avec cette composante de son identité, dont la présence au Maroc remonterait au Ve siècle av. J.-C., après la destruction du Premier Temple et l’exil à Babylone (587 av. J.-C.)
En plus de l’intérêt du Maroc, nous retrouvons cette impulsion dans plusieurs entreprises culturelles. Par exemple, l’émission radiophonique Nass El Mellah, lancée en 2018, donne la parole à des juifs marocains et s’articule autour de leur rapport au Maroc et des traditions de la communauté juive marocaine. De nombreux projets de rénovation se mettent également en place : en 2019, 167 cimetières juifs sont rénovés dont certains qui se trouvent au Cap-Vert et Gibraltar, car une importante communauté juive marocaine y a émigré au 19e siècle. Le Mellah (quartiers juifs dans les médinas) de Rabat est remis à neuf et enjolivé.
Mohammed VI a lancé un projet de musée de la culture juive à Fès en 2019. Une dizaine de synagogues sont restaurées et de nouvelles, construites à Tanger, Marrakech, Fès et El Jadida. Enfin, un appel dans la société civile à enseigner l’hébreu à côté de l’amazigh démontre que les 3 000 Marocains de confession juive restent attachés à la culture hébraïque.
… qui remplace les remous qu’a connus l’histoire juive marocaine dans la deuxième moitié du XXe siècle
Les juifs marocains ont émigré massivement vers la France, Israël ou les États-Unis. L’apogée de l’émigration est atteint en 1967 après la guerre des Six Jours. Ainsi, la population juive se vide drastiquement et ne cessera de diminuer par la suite. L’État hébreu a vivement encouragé les Alyas (immigration en terre d’Israël) des juifs orientaux et maghrébins, aussi bien pour combler le creux démographique juif que parce que l’Alya constituait la quintessence constitutive de l’État israélien : réunir des juifs du monde entier dans leur terre d’origine.
De plus, le panarabisme et la cause palestinienne étaient populaires dans les pays arabes, dont le Maroc. Une dérive antisémite aggravée par l’émoi qu’a suscité la défaite de Nasser en 1967 a rendu extrêmement tendue une cohabitation avec les juifs marocains. Cette situation a conduit à une invisibilisation progressive de l’histoire juive du Maroc.
Par exemple, la composante juive était occultée dans les manuels d’histoire, dans lesquels était fait l’apanage de l’histoire arabe et musulmane du Maroc. Cela s’inscrivait dans une mémoire officielle peu inclusive où l’identité musulmane et arabe ne laissait pas d’espace aux identités multiples du pays. Les revendications amazighes ont peut-être amorcé le terrain en vue d’une revalorisation de la pluralité culturelle du Maroc.
Une consécration qui s’explique par un contexte de normalisation entre Israël et le Maroc
Finalement, c’est dans le contexte des accords d’Abraham en 2020 et la normalisation avec Israël que s’inscrivent ces témoignages d’ouverture et de consécration du judaïsme marocain. Les relations rétablies vont bien au-delà des relations diplomatiques. Ainsi le Maroc est le quatrième pays arabe à avoir annoncé une normalisation de ses relations avec l’État hébreu, après les Émirats arabes unis, Bahreïn et le Soudan, sous l’impulsion de l’administration de l’ancien président américain Donald Trump.
Hautement symbolique, l’ouverture de la ligne commerciale de la compagnie aérienne nationale israélienne El Al entre Rabat et Tel-Aviv marque un véritable tournant dans l’histoire commerciale bilatérale.
Israël compte environ 1 million de Juifs d’origine marocaine, encore attachés à leur culture et pays d’origine. Un nombre conséquent, qui représente aussi bien de potentiels touristes à attirer qu’un pilier majeur dans la réalisation des intérêts stratégiques du Royaume chérifien.
Le Sahara occidental au cœur du rapprochement Israël Maroc
Ancienne colonie espagnole, le Sahara occidental est une région tiraillée par le Maroc d’un côté et par le Front Polisario autonomiste proclamé en 1976 de l’autre. Les États-Unis et l’Espagne ont récemment reconnu l’autorité du Maroc sur la région. Il s’agit d’un objectif diplomatique majeur par Royaume chérifien. Plus récemment, Rabat a trouvé en Israël un appui diplomatique et dans sa communauté juive marocaine, un relais afin de concrétiser ses objectifs géopolitiques.
Le Sahara occidental abrite des gisements de phosphates et d’autres minerais. Le Maroc espère le conserver tout en accordant à cette région un statut d’autonomie. Néanmoins l’Algérie soutient le Front Polisario et son indépendance.
Grâce à un « bureau de liaison », qui sert de point de contact entre les deux gouvernements, Mohammed VI discute régulièrement avec Tel-Aviv et place l’autonomisation du Sahara occidental comme une priorité dans chaque discussion bilatérale.
La nouvelle coalition d’extrême droite dirigée par le Premier ministre Benyamin Nétanyahou pourrait favoriser la reconnaissance de la souveraineté marocaine en échange de l’ouverture d’une ambassade, évènement symbolique pour un pays du Maghreb. Ainsi, B. Nétanyahou est un des moteurs de l’ouverture d’Israël aux pays arabes dans le but de renforcer le poids diplomatique de son pays. Il serait alors plus enclin, grâce au soutien des forces politiques conservatrices, de céder aux demandes de Rabat.
Un contexte intérieur israélien favorisant les demandes marocaines
La question de la Palestine a longtemps opposé les pays arabo-musulmans à Israël. Si quelques États comme le Bahreïn, les Émirats arabes unis et le Maroc ont provoqué un bouleversement dans le monde arabe en normalisant leurs relations. Ils sont encore embarrassés lorsque des violences éclatent entre les forces israéliennes et les populations palestiniennes.
Le Likoud, parti du Premier ministre israélien, détient les principaux portefeuilles du gouvernement : affaires étrangères, justice et armée. Néanmoins, d’autres ministères reviennent à des partis bien plus réactionnaires. Par exemple, Tamar Ben Gvir, un extrémiste tenant des propos racistes anti-arabes, devient le ministre de la Sécurité nationale. Ou encore Ezalel Smotrich chef du parti ultra orthodoxe sioniste religieux qui dirige le ministère des Finances. Avec leur présence, la coalition penche à droite et soutiendrait de fait des avancées diplomatiques entre le Maroc et Israël.
Après les vidéos d’affrontements qui se sont déroulés à Jérusalem en mai 2022 sur le lieu le plus sacré du judaïsme et où se trouve la mosquée Al-Aqsa, le troisième lieu saint de l’islam, le Maroc a officiellement condamné ces heurts. En septembre 2022, certains Marocains ont critiqué le rapprochement entre Tel-Aviv et Rabat.
Une normalisation des liens entre les États pourrait être en défaveur de la cause palestinienne, qui reste populaire au sein de la population marocaine. La géopolitique marocaine et la volonté d’unité du peuple arabe ne semblent pas toujours s’aligner. Faut-il craindre alors des contestations de plus grande ampleur dans les mois à venir ?
Note
Photo de couverture : cimetière juif marocain, Marrakech.