« Le président français Emmanuel Macron fait l’éloge de la lutte du Maroc contre l’extrémisme religieux ». « L’Etat marocain appuie les efforts de la Coalition Militaire Islamique ». Autant de Unes dans l’actualité médiatique de ces derniers mois qui nous font facilement comprendre que c’est aujourd’hui la lutte contre le terrorisme islamiste qui est au cœur des préoccupations prioritaires du pouvoir marocain. Mais qu’en est-il de la protection politique, juridique et sociale des minorités religieuses ?
Les minorités religieuses sous-représentées dans l’espace public
En effet, selon le dernier rapport du Département d’Etat américain sur la liberté religieuse au Maroc, les minorités chrétiennes, juives, musulmanes chiites et baha’is constituent moins de 1 % de la population marocaine (sur 33,7 millions d’habitants). Au fil des années, ce chiffre a largement déterminé leur faible prise en compte dans un espace public et politique dominé par l’islam sunnite. Tandis que la question du respect des droits de l’Homme est posée de façon récurrente par la communauté internationale, la considération de ces groupes marginalisés au sein de la société civile devient un baromètre du degré de tolérance religieuse d’une nation dans son ensemble. Les minorités religieuses sont donc devenues progressivement, avec toute la visibilité que cela leur confère, un symbole de coexistence et une problématique politique dont l’écho s’entend aujourd’hui au-delà du Maghreb.
Un Congrès à l’organisation polémique
Le 18 novembre dernier, l’Association Marocaine des Droits de l’Homme (AMDH) accueillait à Rabat le premier Congrès national des minorités religieuses, brisant le silence autour d’un sujet encore peu pris en compte par l’intelligentsia marocaine. L’originalité de ce thème a notamment transparu dans l’organisation troublée de cet événement, devant au départ accueillir des représentants chrétiens, ahmadis, chiites, juifs et baha’is, mais qui s’est finalement contenté de mandataires des trois principaux monothéismes.
Coordinateur de l’événement, Jawad El Hamidi a mis en avant le harcèlement, et, plus graves, les pressions extérieures dont le Congrès et ses intervenants auraient fait l’objet, ce qui aurait motivé certains désistements. Des rumeurs d’annulation ont même parcouru la presse pendant plusieurs jours, avant d’être démenties – au profit d’un accord impulsé par les autorités marocaines visant à interdire la conférence au public.
Il demeure que la tenue d’un Congrès dont le thème est très explicitement « La liberté de conscience et de croyance entre le débat de reconnaissance et la question de cohabitation » en elle-même est évidemment une victoire – même si elle démontre que ces débats restent confinés à l’intérieur du cercle très privé formé par les associations des droits de l’Homme, les militants politiques, et enseignants-chercheurs.
En première ligne des revendications, une réforme juridique pour la liberté de conscience
Les Etats-Unis eux-mêmes, d’habitude plutôt élogieux quant à la stratégie diplomatique et éducative du Maroc contre l’extrémisme, sont plus critiques de la faible place accordée à la liberté de croyance dans les lois. Dans le rapport mentionné plus haut, ils font état qu’en 2016 « l’islam sunnite et le judaïsme restent les seules religions reconnues par l’Etat pour les citoyens marocains ». Le Congrès du 18 novembre plaçait ainsi en première ligne dans ses revendications la dénonciation des abus juridiques infligés aux minorités religieuses : non-respect de la liberté de conscience et d’expression, interdiction des rites religieux des minorités ainsi que leur persécution au sein de la société civile.
Un exemple frappant de cette discrimination est mis en avant par Jawad El Hamidi: « Récemment à Meknès, la communauté baha’ie marocaine a été empêchée de célébrer la naissance de son prophète Hadrat Baha-Allah ». Il en va de même pour les musulmans chiites, dont les liens supposés avec l’Etat iranien, adversaire géopolitique du Maroc dans les guerres au Moyen-Orient, leur vaut d’être opprimés au quotidien. Rappelons que les relations diplomatiques entre l’Iran et le Maroc ont été suspendues entre 2009 et 2017, suite à des accusations par Rabat d’ingérence iranienne dans les affaires religieuses du Royaume. En conséquence, une majorité de Marocains non-sunnites choisissent de vivre leur foi en secret ou d’émigrer, particulièrement les convertis.
Différents degrés d’implication, mais un but commun : l’égalité religieuse
Si, en janvier 2016, la déclaration de Marrakech, sous l’autorité du roi Mohammed VI, avait rappelé l’attachement du Maroc à « garantir les droits des minorités religieuses en terre d’islam », le chemin reste encore long avant que la Constitution, mais surtout, les mentalités, reconnaissent sans équivoque la liberté de conscience et de pratique d’une autre religion au grand jour par les Marocains.
De plus, il reste encore difficile pour des minorités religieuses de tout bord de s’accorder quant aux revendications à prioriser, tant les degrés d’engagement et de risques que chacun est prêt à prendre sont variables. Ainsi, le responsable de la coordination des chrétiens marocains Mustapha Soussi regrette que la déclaration adoptée à l’issue du Congrès interpelle les autorités de façon trop directe, dans une posture défensive, « alors que le colloque aurait surtout dû permettre aux minorités de s’organiser pour s’adresser aux autorités. » Le manifeste final réaffirme également l’attachement aux valeurs de liberté et d’égalité religieuses, tout en planifiant la création future d’une plateforme de partage pour bâtir un argumentaire juridique solide.
Ce Congrès a néanmoins ravivé l’espoir chez certains Marocains, tel que Mohamed Saïd, converti au christianisme et membre du Centre des études et recherches en sciences humaines de Casablanca. Il déclare : « Ce congrès, selon moi, c’est un début […] Je souhaite que l’on arrive à discuter dans l’espace public pour trouver des solutions concernant la liberté de conscience ». L’exemple de la coexistence pacifique, imparfaite mais remarquable, entre Marocains musulmans et juifs qui dure depuis des décennies serait peut-être un bon modèle sur lequel s’appuyer, pour ensuite l’étendre à d’autres confessions. La politique du roi Mohammed VI s’inscrit ainsi en continuité de l’action son grand-père, protecteur de la communauté juive sous le régime de Vichy, dans la mémoire collective marocaine.
Image : La Cathédrale de Rabat – By Fr Maxim Massalitin – Own Work, CC BY-SA 2.0