Le 12 janvier dernier, plusieurs pays d’Afrique du Nord célébraient Yennayer – la nouvelle année amazighe – une tradition consacrée par l’Académie Berbère, association basée à Paris, depuis les années 1980. Cette date marquerait l’arrivée au trône de pharaon du roi berbère Sheshonq Ier en Egypte, il y a donc 2 968 ans. Malgré la reconnaissance de cette fête parmi l’intelligentsia culturelle et chez les communautés concernées, les pouvoirs politiques du Maghreb ont longtemps ignoré cette affirmation de l’identité amazighe. En effet, l’apparition de divers mouvements amazighs en France suite à l’indépendance de l’Algérie n’est pas due au hasard : c’est probablement cette délocalisation qui leur a permis d’éclore et de gagner en influence en Afrique du Nord.
La reconnaissance de Yennayer en Algérie, un premier pas pour la communauté amazighe ?
Cette position ferme a été modifiée par l’Algérie en décembre 2017 : le gouvernement algérien publiait un communiqué consacrant officiellement Yennayer « jour férié chômé et payé », une première dans le monde arabe. Et ce, même si bon nombre d’associations amazighes ont pointé du doigt l’hypocrisie d’une mesure purement symbolique visant à minimiser les récentes répressions policières contre les marches tamazight dans les villes de Tizi Ouzou et à Béjaïa, organisées par le Mouvement d’Autodétermination de la Kabylie (MAK).
Petit historique des rapports entre le pouvoir et les mouvements berbères au Maroc
Cette vision sceptique est partagée par l’institution référence concernant la promotion de la culture amazighe au Maroc : l’IRCAM (Institut Royal de la Culture Amazighe). Sa création par dahir (décret) du roi en 2001 avait été perçue comme un premier pas vers la reconnaissance de la culture berbère par le pouvoir. Certains mettront en avant que cette institution a permis au gouvernement de tempérer des revendications plus poussées en accordant certaines réformes aux mouvements amazighs (transcription des noms des administrations en tamazight, enseignement de la langue, etc). Le tout porté par des discours royaux faisant régulièrement allusion à la communauté berbère comme une composante légitime de l’identité marocaine, convergeant ainsi avec le préambule de la Constitution marocaine, qui mentionne clairement l’« unité, forgée par la convergence de ses composantes arabo-islamique, amazighe et saharo-hassanie ».
Cependant, Yennayer s’est une fois de plus déroulé dans la clandestinité au Maroc, alors que le pourcentage de Berbères y est plus élevé qu’en Algérie (entre 15 000 000 et 20 000 000 habitants). Face à l’avancée de son voisin, le Maroc apparaît réticent au changement, en dépit de quelques récents progrès quant à la libération des minorités dans l’espace public. Alors que l’on aurait pu s’attendre à une progressive disparition de la culture et de la langue amazighe, les revendications identitaires n’ont été que plus vives ces dernières années, tout en s’étant hiérarchisées et organisées politiquement.
L’unité fédératrice de l’islam au-delà des identités plurielles
En décembre déjà, le ministre chargé de la réforme de l’Administration et de la Fonction publique, Mohamed Ben Abdelkader, réfutait toute possibilité que le Maroc reconnaisse Yennayer 2968 à l’échelle nationale. Et ce, malgré des pressions du côté de la société civile, des associations amazighes et de leurs alliés politiques, dont une majorité de mouvance socialiste (MP, USFP, PPS, PAM, Istiqlal). La déclaration du ministère préfère donc parler « d’almanach », et non d’année amazighe, ce qui laisse entendre que l’histoire du calendrier amazighe est déconnectée de toute implication religieuse, et ne peut avoir qu’une portée symbolique culturelle, particulièrement dans les zones les plus rurales du pays.
De ce fait, seuls les calendriers de l’Hégire et grégorien (car universel) pourraient être reconnus pour que les actions du gouvernement demeurent en accord avec le principe fondateur d’un unique « commandeur des croyants ». La diversité ethnique du Maroc ne convergerait donc pas forcément avec un désir accru de pluralisme religieux. L’islam reste indéniablement le facteur fédérateur de la nation marocaine, comme le prouve la nomination de El Othmani, lui-même amazigh, en tant que chef du gouvernement, pour qui « c’est le volet religieux qui prime sur l’appartenance linguistique ».
Un débat culturel sous fond de tensions diplomatiques
Ce silence du gouvernement a tout de même provoqué une campagne lancée par l’ONG transnationale Rassemblement Mondial Amazigh demandant la reconnaissance de Yennayer au Maroc. Certaines associations de plus petite échelle, telles que la Ligue Amazighe des Droits de l’Homme ou encore le Congrès Mondial Amazigh, ont même lancé un appel à la grève fixé au 12 janvier.
Malgré tout, les motivations d’Alger sont questionnées du fait de leur fort potentiel diplomatique. Cette reconnaissance est-elle simplement un affront du gouvernement algérien envers Rabat, poussé par les tensions récentes entre les deux pays ? Ou s’agit-il véritablement d’une décision significative de politique publique annonçant de futures réformes en faveur de l’identité culturelle berbère?
Image: Maghreb celebrates Yennayer 2964, By Magharebia – Own Work, CC BY 2.0