Un vent de contestation souffle sur les Balkans suite à l’adoption en décembre dernier d’une loi sur le statut des communautés religieuses au Monténégro. Celle-ci, prévoyant une nationalisation des édifices religieux construits avant 1918 et dépourvus aujourd’hui de titres de propriété, mobilise la communauté serbe. Alors que la loi est entrée en vigueur début janvier, des manifestations éclatent dans l’ensemble de la région, au détriment du président Milo Djukanović. Il se confie sur la situation dans un entretien avec l’AFP, relayé par Le Point.
Une loi contestée
L’appréhension des différents enjeux de cette loi nécessite une brève compréhension du contexte historique, politique et religieux du pays. La Monténégro, rattaché en 1918 au Royaume des Serbes, Croates et Slovènes, puis à la République fédérative socialiste de Yougoslavie à partir de 1945, se sépare de la Serbie en 2006. Si une grande majorité du pays s’affilie à l’orthodoxie, celle-ci est divisée entre deux Églises. A l’Église orthodoxe serbe, archi-dominante et seule étant reconnue par la communauté orthodoxe mondiale, vient s’opposer la petite Église autocéphale orthodoxe monténégrine créée en 1994.
La loi sur le statut des communautés religieuses entre donc dans ce contexte de division. Son article 62 prévoit la nationalisation de tous les édifices religieux construits avant 1918 dont les communautés ne peuvent prouver leur propriété. Cette loi s’adresse principalement à l’Église orthodoxe serbe. Détenant de nombreux monastères et églises médiévales sur l’ensemble du territoire, elle est accusée par les partisans de l’Église monténégrine d’avoir usurpé les possessions monténégrines lors du rattachement du pays au Royaume des Serbes, Croates et Slovènes en 1918.
Une justification nationale et identitaire pour Milo Djukanović
Pour Milo Djukanović, dirigeant le pays depuis les années 1990, « le Monténégro a besoin de sa propre Église orthodoxe pour consolider son identité nationale et parer aux ingérences venues de Serbie ». Celle-ci est accusée, à travers l’Église orthodoxe serbe, de nourrir l’opposition au Parti démocratique des socialistes de Djukanović, tout en fournissant des « instruments importants utilisés par les idéologues du nationalisme de la Grande-Serbie ».
En réalité, cette loi touche à des questions plus profondes, et notamment à la question de l’identité nationale monténégrine. Ravivant les rivalités serbo-monténégrines, cette loi met en avant l’enchevêtrement du religieux et du politique dans l’identification nationale monténégrine.
En effet, au Monténégro, comme ailleurs dans les pays des Balkans occidentaux, l’appartenance confessionnelle est un marqueur central de l’appartenance et de l’identité nationale. Pour ce pays, aspirant à l’intégration euro-atlantique et indépendant depuis moins de 15 ans, la construction nationale et la différenciation de la Serbie voisine reste un enjeu central des questions politiques. Disposer de sa propre Église, forte et indépendante, apparaît comme un moyen de soutenir ce processus. L’indépendance religieuse monténégrine serait un élément central de la construction de sa propre identité. De l’aveu même de Djukanović, cette loi permet de « renforcer la conscience des citoyens de leur propre identité ». De fait, nationaliser une partie des biens de la communauté orthodoxe serbe contribuerait à réduire l’influence de celle-ci au profit du développement de l’orthodoxie monténégrine.
Alors que le président Milo Djukanovic et le métropolite de l’Église serbe au Monténégro Amfilohidje Radovic présentaient des relations fortes ces dernières années. Or, la reconnaissance de l’autocéphalie de l’Église orthodoxe ukrainienne, officialisée en janvier 2019 par décret du patriarche de Constantinople – dont la prééminence est reconnue au sein de l’orthodoxie – semble avoir conduit à cette rupture. Elle ouvre en effet la voie à la reconnaissance de l’autocéphalie de l’Église monténégrine, qui, avant 1918, fut de facto autonome pendant deux siècles. Plus qu’une question légale et religieuse, cette loi est avant tout une question politique.
A l’approche des législatives prévues à l’automne prochain, Milo Djukanović est accusé d’utiliser la question religieuse et nationale pour maintenir son pouvoir sur le pays. Or, la loi pourrait avoir l’effet contraire et détourner les électeurs du Parti démocratique des socialistes, majoritaire depuis trois décennies.
Vague de contestations et crise politique dans la région
La promulgation de la loi a entraîné une crise politique majeure, à la fois intérieure et régionale. Alors que les communautés serbes des Balkans occidentaux dénoncent une « loi de spoliation », « discriminatoire et inconstitutionnelle », la vie politique au Monténégro est rythmée par des processions et manifestations en opposition à la loi.
Depuis le 8 janvier, et malgré la vague de contestations, les autorités ont entamé la collection des informations concernant la propriété des édifices religieux. Elles se donnent un an pour remettre un registre complet.
L’adoption de la loi monténégrine et de son article 62 ont déclenché une crise politique majeure dans la région. Elle met en avant le lien spécifique entre religion et identité nationale dans les Balkans occidentaux. Affirmer sa propre identité nationale, indépendante de toute influence extérieure, s’effectue par un processus politique dont l’affirmation religieuse est un outil. Elle pose également des questions sur le moyen et long terme : le gouvernement va-t-il effectivement exercer son contrôle sur certains édifices religieux et à quel prix ?
Image: Par OSCE Parliamentary Assembly, Montenegrin Prime Minister Milo Djukanovic, https://flic.kr/p/gDqhuP.