Une mission de l’UE se rend au Mozambique pour discuter du Cabo Delgado
En décembre 2020, Josep Borrell (haut représentant de l’Union européenne pour les affaires étrangères) a annoncé l’envoi d’une mission de l’Union européenne (UE) au Mozambique. Celle-ci visait à mieux collaborer avec le pays dans la lutte contre la crise que connaît le Cabo Delgado. Elle s’est déroulée du 19 au 21 janvier 2021. À sa tête, le ministre portugais des Affaires étrangères, Augusto Santos Silva, dont le pays assure la présidence de l’UE depuis le 1er janvier 2021.
Le départ de la mission a été retardé
En décembre 2020, Josep Borrell s’est exprimé devant le Parlement européen. Il a rappelé l’engagement humanitaire et financier de l’UE auprès du Mozambique. Il a également souligné que la situation au Cabo Delgado n’était pas seulement due à une offensive djihadiste venue d’ailleurs. Le haut représentant a pointé du doigt la pauvreté et la corruption endémiques. Il signalait notamment que les experts européens participant à la mission de l’UE avaient été nommés en novembre, mais attendaient l’autorisation du gouvernement mozambicain pour partir.
Au tournant de l’année 2021, le Portugal a engagé des discussions rapprochées avec le Mozambique. Le but était de trouver, d’ici le mois d’avril, un accord relatif à une coopération militaire renforcée. Pour le moment, cet accord couvrirait principalement la formation.
D’après Joseph Hanlon, spécialiste du Mozambique, l’Aga Khan (chef spirituel des ismaéliens, dont une présence minime subsiste au Mozambique) est également engagé. Il a notamment contribué à informer le Parlement portugais sur la situation au Cabo Delgado. Le réseau de développement de l’Aga Khan (AKDN) est présent depuis longtemps au Mozambique. Présent depuis 2002 au Cabo Delgado, l’AKDN avait notamment construit l’institut agronomique de Bilibiza. Les islamistes l’ont détruit en janvier 2020.
La mission s’est déroulée en janvier 2021
Dans un entretien accordé à l’agence de presse Lusa, Josep Borrell déclarait que la mission de l’UE pourrait partir dès le 19 janvier 2021. De fait, la mission a bien eu lieu du 19 au 21 janvier. À sa tête, Augusto Santos Silva. Le ministre des Affaires étrangères portugais est parti avec la directrice du Service Européen d’Action Extérieure (SEAE) pour l’Afrique, Rita Laranjinha, une diplomate portugaise. Une équipe technique les accompagnait.
La mission de l’UE devait se rendre d’abord à Maputo, la capitale du pays. Elle espérait pouvoir remonter jusqu’au Cabo Delgado, si les conditions de sécurité le permettaient. Son objectif était de trouver un accord avec le Mozambique pour déployer une stratégie de lutte contre l’insurrection islamiste au Cabo Delgado, en tenant compte de sa dimension régionale. Cette stratégie pouvait prendre la forme d’une formation des militaires, d’équipement ou d’aide humanitaire à destination des populations déplacées. Si nécessaire, une surveillance des côtes pouvait également être envisagée. En effet, le phénomène de la piraterie, connu au large de la Somalie, s’étend toujours plus au sud.
Les résultats de la mission sont-ils à la hauteur ?
L’envoyé pour le haut représentant et le SEAE satisfaits
La mission de l’UE au Mozambique a duré deux jours et le ministre portugais des Affaires étrangères a déclaré que « les objectifs [étaient] atteints ». Selon le SEAE, l’UE a fait part de sa solidarité envers le Mozambique et discuté des grands axes d’intervention possibles. Les envoyés n’ont pas pu quitter Maputo, mais ont rencontré plusieurs représentants :
- politiques : le président Filipe Nyusi et les ministres des Affaires étrangères et de l’Agriculture ;
- de la société civile ;
- de partenaires européens et d’Afrique australe ;
- des secteurs du gaz et de l’énergie.
Des experts européens et mozambicains se sont également rencontrés et poursuivront leurs travaux par téléconférence. Les envoyés de l’UE et les autorités mozambicaines se sont mis d’accord sur trois axes prioritaires : sécurité, action humanitaire et développement. Le premier volet concernera la formation militaire, le second l’aide aux populations touchées. Le troisième volet prendra la forme d’un soutien à l’Agence de Développement Intégré du Nord (ADIN) créée en août 2020.
Cette mission de l’UE est-elle une contre-performance ?
Michael Hagedorn, consultant pour le quotidien Público, dresse un bilan plus sévère de cette mission. D’après lui, cette mission marque un échec du Portugal dans sa première mission officielle pour l’UE. Aucune des questions sensibles n’aurait été abordée. L’observateur rappelle que le Parlement européen demandait notamment des réponses à plusieurs questions. Par exemple, concernant une mission de terrain pour établir les faits, les allégations de violations des droits de l’homme dans la région par les forces de l’ordre ou encore l’accès à la région pour les journalistes. La mission de l’UE n’a apporté aucune précision quant à la teneur des échanges. Ainsi, nul ne sait si M. Santos Silva a abordé avec ses interlocuteurs la question des causes profondes de la crise, les causes sociales.
En outre, Michael Hagedorn estime qu’une partie de l’aide européenne à la sécurisation du Cabo Delgado pourrait servir directement à Total. En effet, l’arrêt des activités sur les sites gaziers menace 3 000 emplois directs au Cabo Delgado. L’entreprise risque de déplacer sa logistique à Mayotte. Le consultant critique également le choix de l’ADIN. Tout juste créée, l’agence ne dispose pour le moment d’aucune structure sur le terrain. Impossible, donc, d’en connaître l’efficacité auprès des populations. Enfin, en soulignant le besoin de collaboration avec la SADC (Communauté de développement d’Afrique australe), la mission de l’UE aurait légitimé le discours officiel mozambicain, à savoir que la crise est une affaire géopolitique sans lien de fond avec les conditions de vie des populations. Contrairement à ce qu’affirme l’évêque de Pemba, la première personnalité à avoir alerté sur la situation au Cabo Delgado.
Le gouvernement mozambicain n’a pas encore de stratégie
Selon Joseph Hanlon, le gouvernement n’a pas encore de stratégie claire. Plusieurs raisons expliquent cet état de fait.
Certes, depuis plusieurs mois déjà, le gouvernement mozambicain a reconnu l’existence de la crise. Il a officiellement demandé l’aide de l’Union européenne et de la SADC. Cependant, dans les faits, le Mozambique semble préférer des coopérations bilatérales avec certains États, plutôt que l’implication d’organisations internationales. Ces incertitudes expliqueraient le retard pris dans les projets de soutien au pays.
De même, le gouvernement décrit la crise comme résultant du « terrorisme international ». Pour obtenir le soutien de pays tiers, identifier l’ennemi comme « islamiste » aiderait. Cependant, en interne, l’État veut éviter de stigmatiser les musulmans du Cabo Delgado. Suivant cette même logique, le gouvernement a nommé des non Makondés à plusieurs postes militaires de haut niveau précédemment occupés par des Makondés (chrétiens). Le gouvernement n’entend pas s’attaquer à la crise sous l’angle des inégalités, du développement ou de la corruption.
Les pays tiers ont chacun leurs exigences
Joseph Hanlon souligne aussi les intérêts des pays tiers dans leur réponse au Mozambique. Pour l’Afrique du Sud, il faut s’attaquer aux causes premières de la crise, à savoir les problèmes internes du Mozambique.
Quant aux États-Unis, ils sont prêts à équiper leur « partenaire » mozambicain pour lutter contre le terrorisme. Ils posent cependant une condition : que les États-Unis deviennent un partenaire de choix du Mozambique dans la lutte contre l’État islamique, plutôt que la Russie ou la Chine. Ils seraient les seuls à pouvoir lutter efficacement contre le terrorisme islamiste, car ils ont les plus grandes capacités en la matière. À rebours des observations faites par plusieurs journalistes et observateurs sur place, les experts de la Maison-Blanche ne voient aucunement le manque de développement et de débouchés économiques comme cause de la crise. Pour eux, l’État islamique avec sa stratégie d’expansion est la seule cause essentielle.
Face à la crise, Total a finalement interrompu ses activités
Début janvier 2021, Total a annoncé l’interruption de ses activités et le retrait de ses travailleurs. Les attaques djihadistes se rapprochent trop des installations gazières en construction sur le site d’Afungi. La dernière attaque en date s’est déroulée à seulement 5 km des installations. Le gouvernement mozambicain essaye de convaincre Total de reprendre ses activités. Cependant, la gestion militaire de la crise ne rassure pas l’entreprise.
Il n’est pas certain que les assaillants cherchent à attaquer la ville portuaire de Pemba et le site d’Afungi. Pour le moment, il est néanmoins clair qu’ils cherchent à contrôler les territoires qui les entourent et les routes qui les relient au reste du pays.
Il est de plus en plus difficile de connaître la réalité sur le terrain
Plus de 750 attaques ont eu lieu entre octobre 2017 et janvier 2021. À la date du 15 décembre 2020, on dénombrait 560 000 personnes déplacées au Cabo Delgado. La plupart s’entassent à Pemba ou près d’Afungi (où elles espèrent que les services de sécurité de Total les protègeront). Les organismes d’aide humanitaire déplorent l’impossibilité de se rendre sur place (faute de visas). Pour les organisations déjà présentes, les livraisons de ressources sont devenues extrêmement difficiles.
De plus, les journalistes ne sont visiblement pas les bienvenus. Plusieurs journalistes locaux qui couvrent la situation font état de pressions, de menaces, d’intimidations et de diffamation. Dès 2019, deux journalistes qui couvraient les événements ont été arrêtés, avant d’être libérés. Depuis le printemps 2020, le journaliste Ibraimo Mbaruco est même porté disparu. On soupçonne des militaires de l’avoir arrêté. Enfin, aucun journaliste étranger souhaitant couvrir la crise n’a obtenu de visa.
Cela explique que toutes sortes de rumeurs circulent, comme celle qui faisait état de 50 décapitations en octobre 2020. Cette information a plus tard été démentie par le gouverneur du Cabo Delgado. Il a précisé que l’événement, réel, datait de quelques mois plus tôt. Les médias l’avaient déjà rapporté à l’époque (ce n’était donc pas un deuxième épisode de décapitations en masse).
Image : Aéroport de Pemba, 2014 (auteur : Goldsztajn) – CC-BY-4.0