Depuis trois mois, le Nicaragua est en proie à une crise politique d’une violence inédite depuis les années 1980. La crise oppose le gouvernement, le Président Daniel Ortega et sa femme et Vice-présidente Rosario Murillo, à une partie de la société civile. Les manifestants, violemment réprimés, réclament le départ du couple présidentiel, accusé de diriger un régime autoritaire et corrompu. Les associations de défense des droits de l’homme, tel que le Centre nicaraguayen des droits de l’homme (Cenidh), dénoncent une violation des droits des Nicaraguayens.
Cet article de Vatican News évoque l’intervention du Pape François dans le conflit, invitant les évêques nicaraguayens à poursuivre le dialogue malgré les violences perpétrées.
L’ex-guérillero sandiniste à la tête d’un régime autoritaire et corrompu
La crise démarre le 18 avril 2018, suite à l’annonce par le gouvernement nicaraguayen d’une réforme de la Sécurité sociale et de l’augmentation des côtisations. Une partie de la population occupe alors la rue et manifeste pour réclamer le départ d’Ortega et de Murillo. En effet, le couple présidentiel était déjà accusé de diriger un régime autoritaire et corrompu. L’annonce de la réforme a été l’élément déclencheur de la crise. Les manifestants contestent un éloignement de l’esprit de la révolution sandiniste, et la conversion du régime nicaraguayen en une dictature qu’Ortega avait pourtant combattu.
Héros de la révolution sandiniste et du Front sandiniste de libération nationale, Ortega a contribué à la chute de la dynastie des Somoza en 1979. Il a ensuite dirigé le Nicaragua jusqu’en 1990. A nouveau au pouvoir en 2007, il est réélu deux fois. La dernière élection, en 2016, qui a aussi porté sa femme Murillo comme Vice-Présidente, est contestée par l’opposition. Le couple est aussi accusé d’avoir mis en place un régime népotiste : plusieurs enfants et amis du couple occupent des postes clés dans la politique, l’économie et les médias.
Alors que les manifestants mènent une révolte populaire et pacifiste, le gouvernement, soutenu par la police et des groupes paramilitaires, réplique par la violence. Après trois mois de crise, le Centre nicaraguayen des droits de l’homme (Cenidh) recense 300 morts et 2 000 blessés, bien que le chiffre exact des victimes soit inconnu. Les étudiants sont particulièrement actifs dans cette révolte, tout comme l’Eglise qui tente d’assurer un rôle de médiation.
L’Eglise catholique au Nicaragua, médiatrice du conflit
Dès le début de la crise, l’Eglise catholique nicaraguayenne décide d’endosser le rôle de médiatrice entre le gouvernement et les manifestants, représentés par l’Alliance civique pour la justice et la démocratie. Sous l’égide de la Conférence épiscopale du Nicaragua (CEN), institution rassemblant les évêques du pays, la médiation prend la forme de journées de dialogue national entre les parties, tentant d’aboutir à des compromis. Ainsi, l’Eglise propose l’avancée des élections à 2019, initialement prévues en 2021. La CEN propose un dialogue basé sur la foi, et souhaite « impulser un sentiment de proximité avec le Seigneur et Notre Mère dans ces moments difficiles ». Ce rôle de médiation est soutenu par le Pape, qui a rencontré l’archevêque de Managua et a demandé à plusieurs reprises à l’Eglise nicaraguayenne de maintenir le dialogue. Cette médiation est également soutenue par Luis Almagro, secrétaire général de l’Organisation des Etats d’Amérique (OEA).
L’Eglise catholique occupe un rôle important dans la société nicaraguayenne depuis la révolution sandiniste. En effet, une partie des catholiques a participé au processus révolutionnaire, et le Président Ortega entretenait jusqu’alors une politique de relation amicale avec ces derniers. Les rapports ont toutefois été ambigus entre l’Eglise et l’Etat au cours de ces dernières décennies. L’Eglise nicaraguayenne est, depuis la révolution, partagée quant à la participation ou non à la politique du pays. Les fidèles sont divisés entre l’Eglise « institutionnelle », soutenue par le Saint-Siège, qui prône une séparation de l’Eglise et de l’Etat et un intérêt pour les affaires proprement religieuses, et l’Eglise dite « populaire », qui a participé au processus de libération sandiniste et qui soutient le socialisme [1]. Cette place particulière de l’Eglise au sein de la société lui avait déjà valu de jouer le rôle de médiatrice dans la guerre civile entre contras et sandinistes dans les années 1980.
Un échec de l’Eglise ?
Le gouvernement nicaraguayen semble peu enclin à suivre les initiatives de l’Eglise en matière de dialogue. En effet, Ortega accuse les évêques du pays de participer aux révoltes qu’il qualifie de « tentative de coup d’Etat », de « conspiration des forces impérialistes ». Le gouvernement a rejeté les propositions de l’Eglise, comme la tenue d’élections anticipées. L’Eglise catholique nicaraguayenne est donc assimilé à l’« ennemi » par le gouvernement.
L’Eglise subit depuis peu les mêmes attaques que les manifestants. Le 9 juillet, la Basilique de San Sebastián à Diriamba a été la cible de violences de groupes paramilitaires pro-gouvernement. Dans la nuit du 13 au 14 juillet, de violents affrontements ont provoqué la mort de deux étudiants, et le retranchement de 200 autres dans une église. Plusieurs sacerdoces ont été victimes de violences. L’Eglise, qui jusque-là tentait de rester neutre dans le conflit pour assurer son rôle de médiatrice, prend alors parti contre le gouvernement, le qualifiant d’« unique responsable du massacre » qui se déroule actuellement au Nicaragua.
Dans de telles conditions, la poursuite du dialogue par l’Eglise entre les différentes parties du conflit a été questionnée. L’Eglise nicaraguayenne a toutefois annoncé, le dimanche 22 juillet, la poursuite de la médiation.
Image : Marcha Juntos Somos un Volcán. Managua 12 de julio 2018, By Jorge Mejía peralta, CC BY 2.0
[1] PRIGENT Alain, Les mouvements chrétiens au Nicaragua. L’Eglise morave et les Indiens, Revue Tiers Monde, 1990, PP 703-714