Le 27 décembre 2020, les citoyens nigériens éliront leur nouveau Président dans un contexte tendu marqué par une campagne électorale active voire mouvementée. Pour Tayeb Benabderrahmane, le président du Club Géopolitique, la situation socio-économique constituera le principal enjeu de cette élection. Toutefois, l’amplification de la menace terroriste et le risque de tensions intercommunautaires exacerbé par le climat de méfiance à l’égard de Mohamed Bazoum, pourraient représenter un tournant dans la vie politique nigérienne. Cette dégradation sécuritaire s’est notamment manifestée par l’enlèvement d’un fils de missionnaire américain le 27 octobre à Massalata dans le sud du pays (400 km à l’est de Niamey).
La campagne électorale qui n’est censée débuter que le 5 décembre est déjà pleinement engagée. Mohamed Bazoum, le candidat du Parti Nigérien pour la Démocratie et le Socialisme (PNDS) et dauphin annoncé du Président Issoufou est le favori, notamment en raison de l’invalidation de la candidature de Hama Amadou. Chef de file de l’opposition, cet ancien Président de l’Assemblée Nationale et ancien Premier Ministre fédère dix-huit partis d’opposition dans la coalition Cap 21 qu’il dirige. En étant officiellement le continuateur annoncé de la politique de Mahamadou Issoufou, Mohamed Bazoum pourrait également hériter de la défiance populaire à l’encontre du parti au pouvoir.
Ces élections prennent place dans un contexte marqué par la menace djihadiste et par des tensions sociales liées à la dégradation de la situation politique, économique et sanitaire. Un climat similaire a été à l’origine de l’explosion des violences intercommunautaires dans les pays voisins du Burkina Faso et du Mali. Si le Niger semble pour l’instant moins touché que ses deux voisins occidentaux par les affrontements intercommunautaires, la multiplication des attentats et la propagande djihadiste pourraient aboutir aux mêmes résultats que dans ces deux pays. La cohésion intercommunautaire constitue donc l’un des enjeux de ces élections présidentielles de décembre, qui sont par ailleurs marquées par l’instrumentalisation de la question communautaire à des fins politiques.
Le risque de tensions intercommunautaires est par ailleurs exacerbé par la campagne électorale qui voit actuellement le facteur ethnique monopoliser une partie du débat sur la légitimité de Mohamed Bazoum à se porter candidat.
Des accusations sur la non-citoyenneté nigérienne de Bazoum, un dangereux précédent
Hama Amadou a rappelé à plusieurs reprises que selon les règles constitutionnelles du pays, seul un Nigérien « de nationalité d’origine » et « jouissant de ses droits civils et politiques » peut être élu président de la République du Niger. Ces déclarations visent à remettre en cause la légalité de la candidature de Mohamed Bazoum, ressortissant de la communauté des arabes Oulad Souleymane, une tribu établie principalement entre la Libye et le Tchad, mais dont une fraction est également établie à l’est du Niger. Ces allégations d’Hama Amadou s’appuient sur la rumeur voulant que Mohamed Bazoum ne soit pas né au Niger.
Ces accusations sont le fruit d’un processus de disqualification qui fait écho aux attaques à l’encontre d’Alassane Ouattara depuis près de trente ans en Côte d’Ivoire. Afin de l’empêcher de se porter candidat pour l’élection présidentielle de 1994, le Président ivoirien d’alors, Henri Konan Bédié a été à l’origine d’une modification du code électoral prévoyant que nul ne peut être élu président de la République s’il « n’est pas Ivoirien de naissance, né de père et mère eux-mêmes Ivoiriens de naissance ». Le développement de ce concept d’ivoirité visait directement Alassane Ouattara dont les rivaux politiques accusaient le père d’être d’origine burkinabè. La notion d’ivoirité avait été dénoncée par la Fédération Internationale des Droits de l’Homme comme contraire aux droits civils de l’ONU, et comme étant la structure d’un « système xénophobe ».
Si dans ce cas comme dans celui de Mohamed Bazoum au Niger, ces accusations sont avant tout une instrumentalisation des origines communautaires à des fins politiques, elles peuvent devenir lourdes de conséquences. La question de la potentielle inéligibilité d’Alassane Ouattara basée sur son origine fut l’une des sources des crises politico-militaires qui ont secoué la Côte d’Ivoire entre 2002 et 2011. Cette exclusion se justifiait au départ par une compétition politique entre les communautés baoulé et bété qui se considéraient comme « autochtones » et la communauté dioula au nord, transfrontalière et en partie composée d’immigrants économiques burkinabè. Ce clivage intercommunautaire coïncide lui-même avec une différence religieuse entre chrétiens au sud et musulmans au nord, et est à l’origine de la scission temporaire du pays pendant les troubles.
Une campagne entre méfiances intercommunautaires et accusations d’illégitimité
Cette méfiance identitaire se retrouve partiellement au Niger. Si la dimension religieuse est moins clivante qu’en Côte d’Ivoire – l’islam est pratiqué par 98% de la population -les accusations visant Mohamed Bazoum fragilisent la cohésion intercommunautaire au Niger. La question de l’autochtonie au Niger comme en Côte d’Ivoire pose ici problème, et s’inscrit également dans un contexte de concurrence pour la représentation politique des différents espaces géoéconomiques. Hama Amadou est Zarma du sud-ouest du Niger, alors que Mahamadou Issoufou est d’origine Haoussa, communauté majoritairement présente au centre et au sud du Niger. Le cas de Mohamed Bazoum est d’autant plus significatif qu’il est issu de la communauté arabe des Oulad Souleymane, très minoritaire au Niger et éloignée du sud-ouest nigérien, centre névralgique politique et économique, bien plus densément peuplé et infrastructuré.
Les Oulad Souleymane constituent une tribu arabe principalement implantée dans le Fezzan en Libye et dans une moindre mesure au Tchad et au Niger. Celle-ci est vue comme une communauté allogène et accusée de trafics avec la Libye, du fait de l’implication de certains de ses membres dans le conflit libyen. Ces accusations contribuent à dégrader l’image de cette communauté.
Par ailleurs, Mohamed Bazoum ayant déjà été cité dans une affaire de corruption concernant un contrat d’armement pour un montant estimé à environ 120 millions d’euros, une partie de la population craint la mise en place d’un système de patrimonialisation de l’État bénéficiant notamment à sa communauté. À l’image du Tchad voisin où le Président Idriss Déby est accusé par la presse et les observateurs internationaux d’avantager sa communauté Zaghawa (moins de 2% de la population du Tchad), certains craignent qu’un Président issu d’une petite minorité ne reproduise ce schéma de patrimonialisation de l’État au profit des Oulad Souleymane. La présomption de cette potentielle captation a pour conséquence d’alimenter encore plus la défiance de l’opposition à l’encontre du candidat et de sa communauté ethnique d’origine.
Mohamed Bazoum a quant à lui réfuté les accusations sur sa non-citoyenneté nigérienne : « la Constitution est explicite. Moi, je suis né au Niger, mes parents sont nés au Niger. […] [Hama Amadou] sous-entend que je ne suis pas nigérien. Ça ne fait rien, il me fait juste pitié ». De son côté, le chef de file de l’opposition, Hama Amadou a été condamné pour son implication supposée dans un trafic de bébés du Nigeria. Cette affaire l’avait empêché de faire campagne à l’élection présidentielle de 2016 pendant laquelle il était emprisonné. Bien qu’il ait depuis purgé sa peine de prison, le candidat qui dénonce une cabale contre lui, a vu sa candidature invalidée par la Cour constitutionnelle en raison de sa condamnation en 2017 dans le cadre de cette affaire. Le dialogue est rompu entre les deux camps, et la non-participation du principal opposant devrait amplifier les accusations.
Vers un basculement des élections sur les enjeux religieux ?
Un autre fait marquant de l’élection présidentielle à venir au Niger est la candidature de Cheickh Boureima Abdou Daouda, imam de la mosquée de vendredi de l’Université de Niamey. Un article de Niger Express retrace la cérémonie d’investiture du candidat du parti Union Démocratique des Socialistes de la Renaissance (UDSR) MARTABA. Celui-ci axe son programme sur la lutte contre les freins au développement du pays comme la corruption, la pauvreté, l’impunité, ou encore « la dépravation des mœurs les plus sacrées ». Ce positionnement s’appuie sur une démarche puritaine, face aux débats des milieux politiciens traditionnels exprimés plus haut.
Cette candidature rappelle dans une certaine mesure la situation politique malienne où l’imam Mahmoud Dicko a su tirer son épingle du jeu pour devenir l’une des figures incontournables de la scène politique nationale, bien qu’il ne souhaite pour l’instant pas se présenter aux élections présidentielles maliennes. Après avoir été un soutien important du Président Ibrahim Boubakar Keïta lors des élections présidentielles de 2013, il est devenu l’un des principaux opposants du Président malien à partir de 2017 et a créé son mouvement politique, la Coordination des Mouvements, Associations et Sympathisants (CMAS) suivant ouvertement une ligne d’islam politique. En juin 2020, la CMAS s’est unie au Mouvement du 5 juin-Rassemblement des Forces Patriotiques (M5-RFP), une large coalition d’opposition. Celle-ci est à l’origine de manifestations de grande intensité ayant précédé le coup d’État militaire qui a mis un terme au deuxième mandat d’IBK le 18 août 2020.
Bien que l’imam de la mosquée de vendredi de l’Université de Niamey ne base pas son programme politique autour de la seule thématique religieuse, sa candidature témoigne d’une avancée nette et indiscutable du religieux dans le champ politique. L’article 3 de la Constitution nigérienne de 2010 prévoit pourtant la laïcité de la République du Niger en rappelant le principe fondamental de la séparation de l’État et de la religion. Cheickh Boureima Abdou Daouda est le premier homme religieux à se présenter aux élections présidentielles dans l’histoire du Niger. Conseiller technique du Premier ministre pour les affaires religieuses depuis 2010, il a démissionné de ses fonctions en octobre et a pris publiquement ses distances avec le gouvernement d’Issoufou. Membre du Conseil d’administration du Centre de recherches sur l’Histoire, l’Art et la Culture islamique au sein de l’Organisation de la Coopération Islamique, le cheikh a également affirmé avoir exercé des activités de formateur en déradicalisation religieuse et en lutte contre l’extrémisme violent et religieux.
Ces élections présidentielles constituent un tournant important pour le Niger. Après un second mandat du Président Issoufou vivement critiqué, le prochain Président aura la tâche d’améliorer la situation économique et sociale. Le tournant réside également dans le risque d’escalade des tensions intercommunautaires en marge d’une campagne électorale offensive et de la situation sécuritaire dégradée par les attaques terroristes. Enfin, le risque d’immixtion de la dimension religieuse dans la vie politique est à surveiller, bien qu’il demeure limité.
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