Alors que le Lac Tchad voit sa surface diminuer dramatiquement, la présence désormais bien ancrée de la faction « Province d’Afrique de l’Ouest de l’État Islamique » de Boko Haram sur les abords de la fragile étendue pousse à une fuite des populations vers l’intérieur des États frontaliers du lac. Au Nigeria, la concentration démographique consécutive à cet exode dans la partie sud du pays envenime les relations déjà conflictuelles entre agriculteurs et éleveurs. Un rapport de l’International Crisis Group (ICG), publié le 26 juillet 2018, classe ainsi le conflit agropastoral comme étant le plus important défi sécuritaire pour le pays.
Le lac Tchad, une catastrophe environnementale aux répercussions déstabilisatrices
Quatrième lac africain par la superficie de sa nappe d’eau, le lac Tchad a perdu 90 % de son étendue depuis les années 1970. Cette diminution spectaculaire n’est pas naturelle : surexploitation, changement climatique et mauvaise gestion de l’environnement épuisent inéluctablement l’étendue, dont les ressources sont exploitées par les quatre pays limitrophes du bassin : Cameroun, Tchad, Niger et Nigeria.
L’eau douce du Lac Tchad l’a en effet érigé en zone d’activité économique importante pour la région : agriculture, pêche et élevage ont ainsi provoqué un accroissement considérable de la population du bassin entre 1983 et 1994. Toutefois, cette exploitation s’est faite sans limites ni régulations. Les populations se sont affranchies des limites des ressources du fleuve, surexploitant jusqu’au non-renouvellement de ces dernières. De plus, la désertification de la région et l’assèchement du lac révèlent alors le vrai visage de la tragédie environnementale qui se profile.
Une concentration de la population indésirable au sud du Nigeria
Au Nigeria, la diminution de la surface du lac Tchad impacte directement la crise entre agriculteurs et éleveurs. Entre ces deux communautés, les relations autrefois pacifiques et solidaires se sont constamment détériorées. En cause, la concentration démographique dans la partie sud du pays, élément déclencheur d’une compétition pour l’accès à la terre et à l’eau.
Deux facteurs concourent à cette densité de population : le réchauffement climatique entraîne une forte dégradation des pâturages doublée d’une diminution drastique des ressources prodiguées par le lac Tchad, d’une part, et l’insécurité causée par la présence du groupe terroriste Boko Haram au Nord du pays, autour du lac, d’autre part.
Ainsi, l’arrivée massive de troupeaux dans les régions du centre et Sud du Nigeria, de tradition agricole, a provoqué un mécontentement marqué au sien de la communauté des agriculteurs, face à la destruction des cultures par le bétail, dont les éleveurs sont en majorité des nomades. Aux premiers accidents ont succédé des provocations puis des représailles, laissant graduellement la place à des attaques planifiées, notamment dans les États du Benue et de Nassarawa.
Le conflit agropastoral, six fois plus meurtrier que Boko Haram
Avec plus de 1 300 morts causées par les violences entre les membres des deux communautés depuis janvier 2018, soit six fois plus que le nombre de victimes totales de Boko Haram, tous les regards sont désormais braqués sur le Nigeria et sur les efforts de ses autorités nationales pour enrayer un différend foncier devenu un affrontement meurtrier.
Le gouvernement nigérian n’apparaît pas à la hauteur. Censé « apporter la paix » et être « gagnant-gagnant » pour les éleveurs et les agriculteurs dans l’État de Benue, l’entrée en vigueur en novembre 2017 d’une loi interdisant la transhumance (migration périodique du bétail) et le pâturage libre n’a fait que décevoir la communauté des éleveurs et exacerber les violences. Elle est considérée, par l’ICG, comme un facteur déstabilisant pour les élections présidentielles du pays prévues en février 2019.
La dérive vers la division religieuse
En effet, un autre élément menaçant se dresse sur la route de la résolution de la crise : l’introduction d’un conflit fondé sur la différence religieuse. D’origine peul, le président nigérian Muhammadu Buhari est accusé de laxisme envers les éleveurs, majoritairement musulmans par rapport aux agriculteurs, majoritairement chrétiens. « Un programme clair d’islamisation de la ceinture centrale nigériane », « Leur but est de frapper les chrétiens » : voilà les mots des évêques des États de Benue et Nassarawa pour évoquer les fondements du conflit agropastoral au Nigeria.
Cette rhétorique a pour effet d’exacerber les tensions, qui menacent l’ensemble de la sous-région, et en constitue désormais « la nouvelle menace sécuritaire » selon le représentant spécial du Secrétaire général de l’ONU et chef du Bureau des Nations Unies pour l’Afrique de l’Ouest et le Sahel (United Nations Office for West Africa and the Sahel – UNOWAS), Mohamed Ibn Chambas.
Image : Farming in Nigeria, By Igwemba. Wikicommons CC BY SA 4.0