A l’occasion de la journée internationale des droits des femmes, les Observateurs juniors publient un état des lieux du respect des droits des femmes dans le monde, étudié notamment au prisme des faits religieux.
Les femmes nigérianes sont toujours victimes de discriminations et de violences importantes. D’après une enquête réalisée en 2008 par la commission nationale des populations du Nigeria, près d’un tiers des femmes nigérianes seraient victimes de violences domestiques. Celles-ci sont largement acceptées par la société puisque même 43% des femmes estiment normal que leur mari les battent. D’ailleurs, l’article 55 du code pénal autorise au mari de battre sa femme pour la corriger, tant qu’il ne lui inflige pas de blessure grave.
Si dans le droit écrit certaines mesures de protection ont été prises, celles-ci demeurent largement insuffisantes. De plus, un des freins majeur de la protection des droits des femmes au Nigeria est justement l’absence d’harmonisation entre des législations distinctes par État et la disposition tripartite du droit, dans lequel la loi commune (écrite), la coutume et la charia (appliquée dans les États du nord) coexistent. La pratique encore courante de ces deux derniers systèmes juridiques engendre certaines conséquences telles que : 20 millions de femmes nigérianes auraient subi aujourd’hui des procédures de mutilations génitales ; les rites de veuvage se perpétuent ; les femmes ont l’interdiction d’accéder à la propriété ; les mariages précoces sont autorisés (dès l’âge de 9 ans dans certains États); la polygamie est une pratique acceptée et d’autres pratiques largement discriminatoires peuvent avoir lieu. Porter plainte contre un viol est quasiment impossible tant les conditions et les preuves demandées sont difficiles à réunir. A cela s’ajoute un accès difficile à la santé et des parcours scolaires réduits pour les jeunes filles par rapport aux garçons. Un chiffre symbolique mais qui illustre bien la place de la femme dans la société nigériane : 27 femmes seulement occupent un siège sur les 469 au parlement.
Les réseaux de prostitution, un fléau pour les femmes nigérianes
Prenant le cas du trafic d’êtres humains, le Nigeria est un des pays les plus actifs d’Afrique de l’Ouest. Celui-ci est étroitement lié au réseau de prostitution. Bien que le gouvernement ait voté en 2003, le Trafficking in Persons Prohibition Law Enforcement and Administration Act et créé la National Agency for the Prohibition of Trafficking in Persons, en 2005, la traite des êtres humains, et plus particulièrement des femmes, demeure un fléau.
En 2017, il était estimé que plus de 45 000 nigérianes sont transportées chaque année en Europe pour devenir des prostituées. Cet important trafic est une réalité au Nigeria qui n’est ni un secret pour ses dirigeants ni pour la communauté internationale. L’État d’Edo présente les chiffres les plus préoccupants : en moyenne, sur 25 femmes qui arrivent en Europe, 23 sont originaires de cette région. Dès 2002, la Conférence des évêques catholiques du Nigeria avait admis, au sein d’une déclaration, que ce trafic nuisait gravement à de nombreuses femmes et jeunes filles et qu’il fallait lutter prestement contre ce phénomène. Pourtant, plus de 10 ans après, les chiffres sont toujours alarmants.
En outre, pour ces femmes, le retour au Nigeria est quasiment impossible, et ce pour plusieurs raisons :
-la prostitution, bien que courante au Nigeria, reste très mal perçue de manière générale. Ainsi, les victimes de réseaux sont marginalisées, considérées comme impures ou malades. En outre, les familles ne souhaitent pas revoir leurs filles qui sont considérées comme ayant « échoué à contribuer au bien-être familial ».
-les réseaux de proxénétisme exercent des représailles violentes contre les filles qui rentrent, pouvant aller jusqu’à l’assassinat, ou le retour à l’exploitation sexuelle. Ils se fondent sur le serment réalisé par ses femmes pour justifier leurs actes.
-bien que le proxénétisme soit considéré comme un crime dans l’État d’Edo, les poursuites pénales sont insuffisantes et la police manque de moyens concrets pour effectuer certaines arrestations.
En ville, les femmes sont de plus en plus informées des risques encourus en partant en Europe. Cependant, ce n’est pas le cas pour les filles des campagnes, qui restent très vulnérables et sont souvent ciblées par les trafiquants.
Pourtant, les dirigeants nigérians, pleinement conscients de la situation, souhaitent l’améliorer. M. Godwin Obaseki, gouverneur de l’État d’Edo, a réitéré en 2017 sa volonté de lutter contre les proxénètes et d’aider les femmes victimes de ce trafic à se réinsérer. Il annonce que son administration prend actuellement des mesures décisives pour lutter contre le phénomène. Il a également indiqué sa volonté de s’associer avec le gouvernement fédéral, les Églises et les ONG, pour encourager les femmes à revenir au Nigeria.
Malheureusement, au vu des éléments précités, le champ d’action des autorités reste très limité. Il semblerait plutôt que la solution réside en amont, dans l’éducation des filles et la prévention des risques encourus. Les Églises de la région travaillent déjà sur la sensibilisation et œuvrent à l’amélioration de l’économie locale, pour que les femmes puissent s’épanouir au Nigeria, sans être tentée de partir à l’étranger. Cette approche est celle défendue notamment par Mary Dorothy Ezeh, docteur en sciences humaines et sociales, dans son récent ouvrage « Human Trafficking and Prostitution Among Women and Girls of Edo State ». Dans ce sens, on peut souhaiter que l’initiative récente du gouvernement fédéral de financer l’éducation des filles dans l’État de Sokoto soit étendue aux autres États, avec un objectif implicite de contribuer à diminuer le trafic de celles qui partent en Europe.
Une évolution progressive des mentalités
Le Nigeria a encore de nombreux progrès à faire en matière d’égalité des genres et de protection des droits des femmes mais ceux-ci progressent. Signataire de la Convention pour l’élimination de toutes formes de discriminations contre les femmes depuis 1985 (CEDAW, puis 2004 et protocole de Maputo en 2005), le pays ne l’a pas mise en application. Le Sénat a adopté en deuxième lecture, en septembre 2017, le projet de loi relatif au genre et à l’égalité des chances. C’est une avancée majeure qui doit encore réussir le pari d’être effective.
Dans les grandes villes comme Lagos, les femmes sont éduquées aux modèles occidentaux. Elles réclament leurs droits et se mobilisent pour faire changer les mentalités, elles sont de plus en plus investies dans la vie sociale, économique et politique. Dernièrement, la femme du gouverneur de Lagos, Madame Bolande Ambode a encouragé le gouvernement à durcir la loi concernant l’interdiction des mutilations génitales et aux ONG de continuer leur travail d’éducation. En mars 2017, l’Émir de Kano, chef traditionnel et respecté dans les États du Nord du Nigeria s’est déclaré en faveur d’un nouveau Code de la famille pour, selon ses mots, mettre fin à « l’oppression des femmes ».
Certes, ces avancées sont d’ordre légal et touchent d’abord un certain milieu social et citadin mais il est permis d’espérer qu’avec le temps et la mobilisation de ces modèles moteurs, la situation des femmes au Nigeria changera dans tout le pays. Il faut ajouter une anecdote, ce sont quatre athlètes nigérianes qui ont représenté leur pays aux derniers JO d’hiver !
Image : Out in the sun, Tochi Onwubiko – Unplash