Samedi 12 décembre au matin, les chaînes d’information du monde arabe relayaient l’annonce de la mort du sultan omanais. Le sultan Qaboos bin Saïd s’est éteint à 79 ans des suites d’une longue maladie. Connu pour sa non-ingérence en matière de politique dans la région et ses relations diplomatiques avec les deux ennemis que sont l’Arabie Saoudite et l’Iran, sa mort fait craindre la perte d’un arbitre de choix.
Un arbitre pour la région
Comme le rapporte Al Jazeera : « avec cette mort, la région perd un dirigeant vu comme le père du sultanat moderne et qui arbitra les conflits entre ses deux voisins : l’Arabie Saoudite à l’ouest et l’Iran au nord ». En effet, Qaboos bin Saïd qui était à la fois sultan, premier ministre, ministre des Affaires étrangères, ministre de la Défense et chef d’état-major des armées, maintenait le dialogue entre les deux puissances pétrolières.
Ce sultanat ibadite fait parti d’une des branches du kharidjisme. Cette branche de l’islam est la troisième plus importante après le sunnisme représentant 80% des musulmans, et le chiisme qui en compte plus de 10%. Après la « grande fitna » de 655 à 661 de notre ère opposant le quatrième calife Ali Bin Abi Talib à Mu’awiya, certains musulmans refusent l’arbitrage entre les deux protagonistes. Ces derniers furent surnommés les sortants : les Kharidjites. Ironie du sort, voilà qu’un sultan ibadite arbitre les conflits opposants l’Iran chiite d’Ali Khamenei et l’Arabie Saoudite sunnite de la dynastie des Ibn Saoud (Laurens & Cloarec, Le Moyen Orient au 20ème siècle).
Les deux frères ennemis s’entendent moins pour des raisons religieuses que pour des raisons économiques. Leurs territoires riches en pétrole permettent d’assurer une manne stable sur laquelle se fondent leurs systèmes économiques. Aussi, l’attaque d’infrastructures pétrolières en Arabie Saoudite par des rebelles yéménites soutenus par l’Iran à la mi-septembre fait partie des nombreux incidents qui faisaient craindre une escalade de violence dans la région. Oman temporisait les velléités des deux adversaires.
Cette reconnaissance de la part des deux puissances envers l’ami omanais a été remarquable durant le week-end de deuil en hommage à Qaboos bin Saïd. Le roi d’Arabie, Salmane ben Abdelaziz al Saoud ainsi que le ministre des affaires étrangères iranien Mohammad Javad Zarif ont présenté leurs condoléances au nouveau sultan dans son palais de Qasr al ‘Alam. Des dirigeants venus du monde entier se sont rendus au palais royal ; dont le roi Felipe VI d’Espagne, le grand imam de la Mosquée d’Al Azhar le shaykh Ahmed Al Tayeb, Charles le prince de Galles ou encore le premier ministre japonais Shinzo Abe.
Le père d’un sultanat moderne
En 1970 après avoir renversé son père malade Saïd bin Taïmour, Qaboos prend la décision d’exploiter les richesses présentes dans le territoire omanais afin de développer le sultanat. Le pays est riche en pétrole et en gaz naturel, ce qui permet au sultan de démarrer une politique de développement exponentiel. Alors que la région ne compte que trois écoles et un hôpital à son accession au pouvoir, voilà qu’Oman fait parti des pays riches du Golfe. Il commence par changer le nom du sultanat qui était jusqu’à lors connu sous le titre de « sultanat d’Oman et de Mascate » en le renommant « sultanat d’Oman » puis en optant pour une nouvelle monnaie.
Signe de son ouverture d’esprit et de son goût pour la culture, le sultan fait construire un opéra, le premier au Moyen-Orient. L’Opéra royale de Mascate voit le jour en 2011. Cette construction fait partie des symboles de la modernité et de l’appétence du sultan pour les arts. Une vingtaine d’établissements supérieurs sont créés de 1970 à aujourd’hui.
Son évergétisme ne s’arrête pas là. Il intègre les populations ayant fui le massacre de Zanzibar en 1964 (Thawrat Zanjibar) et leur permet, ainsi qu’à leurs descendants de participer activement au développement d’Oman (bourses d’étude pour les plus jeunes notamment).
Le sultan Qaboos a permis plus récemment l’ouverture d’une voie vers le Yémen afin d’y envoyer une aide humanitaire conséquente. Des réfugiés yéménites se trouvent protégés dans le sultanat depuis le début de la guerre en 2014, territoire qui voit s’affronter l’Arabie Saoudite et l’Iran par procuration.
Une prestation de serment rapide
L’enterrement du sultan Qaboos se fit samedi dans la journée. Après que les autorités aient annoncé la mort du père de l’Oman moderne, les Omanais ont pu suivre les funérailles de leur dirigeant. Voulues rapides pour respecter la tradition islamique, les funérailles se sont terminées après les trois jours de deuil. A la fin du troisième jour, le nouveau sultan Haytham bin Tariq ainsi que toute la famille bin Saïd et les dignitaires omanais se sont réunis au palais royal afin de lire l’intégralité du Coran et des invocations en l’honneur du défunt.
C’est par retransmission en direct à la télévision nationale que les Omanais ont pu voir le conseil familiale des Al Saïd ouvrir la lettre du sultan Qaboos désignant le nouveau souverain. Selon la tradition, si la famille n’a pu convenir du nom d’un successeur au bout des trois jours de deuil, la lettre devait être ouverte. Le souverain se doit d’être omanais, connu pour son intégrité et sa « bonne pratique de la religion ». Mais c’est quelques heures après la mort du sultan que la lettre fut ouverte. On peut voir ici une volonté d’éviter de potentielles querelles et de montrer au monde entier que le sultanat reste stable.
En effet, depuis quelques mois, les observateurs du Moyen-Orient appréhendaient cette situation. Le Sultan Qaboos n’avait pas d’enfants donc aucune succession directe ne pouvait être possible. Deux scénarios étaient donc à craindre. Le premier, et non le moindre, un conflit dans la famille Al Saïd quant au choix du prochain sultan. Le second était que le nouveau dirigeant change la politique de non-ingérence faisant la singularité d’Oman. La nomination du nouveau sultan Haytham bin Tariq par son prédécesseur a mis un terme à ces polémiques. Celui-ci fut accepté par toute la famille, et promis de continuer la politique de son défunt cousin germain lors de son premier discours officiel.
Avec cette nouvelle page qui se tourne pour le sultanat d’Oman, les yeux du monde se sont tournés vers cette puissance discrète mais au combien essentielle au Moyen Orient. De nombreux conflits attendent l’intervention et la temporisation omanaise dont l’épineux dossier Iran-Etats-Unis depuis la mort du général Qassem Soleimani. La jeunesse omanaise également attend un changement de la part de la famille royale. Ces derniers souhaitent que les élites omanaises laissent plus de place à la jeunesse dans la direction du pays.
Image : Grande Mosquée du Sultan Qaboos, Mascate, Oman
Par Sharonang, 2018, Pixabay
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