Au Pakistan les minorités religieuses sont victimes de la loi anti-blasphème
Après des accusations de blasphème, une foule a vandalisé plusieurs maisons d’un quartier chrétien. Cet article revient sur les conséquences dramatiques des lois anti-blasphème sur les minorités religieuses au Pakistan.
Un événement symptomatique des tensions autour du blasphème
Carte : Région du Pendjab au Pakistan
À la mi-août, dans la province du Pendjab, une foule musulmane a vandalisé et réduit en cendres plusieurs maisons de chrétiens. L’incident s’est produit après une accusation de blasphème contre deux chrétiens qui auraient profané le Saint Coran et outragé le prophète Mahomet. Des personnes ont retrouvé des pages déchirées du Coran au contenu présumé blasphématoire près d’un quartier habité majoritairement par des chrétiens et les ont apportées à un dirigeant musulman. Ce dernier aurait exhorté des musulmans à conduire l’attaque.
La police a indiqué qu’environ 146 personnes sont impliquées dans l’incident. Une centaine de personnes ont été arrêtées et emprisonnées. Des sources gouvernementales ont également indiqué que la plupart des agresseurs étaient membres du parti politique Tehreek-e-Labbaik Pakistan (TLP), un groupe islamiste d’extrême droite qui soutient et encourage les violences liées aux blasphèmes. Le parti a toutefois nié toute implication dans l’attaque.
Plusieurs organisations locales et internationales ont exprimé leur inquiétude face à cette législation sévère. Ils affirment que celle-ci met en danger la sécurité des minorités dans le pays. Saroop Ijaz, conseiller principal de Human Rights Watch en Asie, a déclaré que « les lois pakistanaises existantes sur le blasphème ont permis et encouragé la discrimination légale et la persécution au nom de la religion pendant des décennies. »
L’élargissement progressif des lois anti-blasphème
Le Pakistan, comme beaucoup d’autres pays en Asie du Sud, a hérité son droit pénal, y compris ses dispositions sur le blasphème, du gouvernement colonial britannique par le biais du Code pénal indien de 1860.
À l’origine, la loi sur le blasphème instituée par les Britanniques était « neutre sur le plan religieux ». Ainsi, les gouvernements successifs l’ont peu utilisée jusqu’aux années 1970. Le dictateur militaire Muhammad Zia ul-Haq l’a renforcée dans le but d’« islamiser » l’État dans les années 1980. Les législateurs y ont alors ajouté des dispositions supplémentaires. Les nouvelles dispositions concernaient la profanation du Saint Coran, l’utilisation de remarques désobligeantes à l’égard de saints musulmans (§ 298-A) et, plus important encore, l’insulte au prophète Mahomet.
En janvier 2023, l’Assemblée nationale du Pakistan a encore élargi les lois du pays sur le blasphème, en introduisant la peine de mort pour insulte au prophète Mahomet. De plus, depuis janvier, ceux qui tiennent des propos désobligeants à l’encontre de personnes saintes – épouses, proches parents et compagnons du prophète Mahomet – encourent 10 ans de prison ou, dans le pire des cas, la réclusion à perpétuité, ainsi qu’une amende d’un million de roupies (environ 4 500 dollars).
Après l’Iran, le Pakistan est le deuxième pays au monde doté des lois anti-blasphème les plus strictes. Cependant, d’autres pays, comme l’Afghanistan, Brunei, la Mauritanie et l’Arabie saoudite, punissent également le blasphème par la peine capitale. Selon la Commission américaine sur la liberté religieuse internationale, en 2023, au moins cinquante-trois personnes sont détenues au Pakistan pour blasphème. Au cours des trente dernières années, environ 1 500 Pakistanais ont été accusés de blasphème. Toutefois, jusqu’à présent, la justice pakistanaise n’a condamné à mort aucun d’entre eux.
Une violence récurrente
Bien qu’il n’y ait pas eu de condamnations à mort, de simples accusations conduisent souvent à de violentes émeutes généralisées, qui se terminent par des lynchages et des meurtres massifs. De nombreux groupes et militants des droits de l’homme affirment que des groupes islamiques radicaux manipulent souvent les lois pakistanaises sur le blasphème afin de régler des comptes personnels et persécuter les minorités religieuses. Cela concerne notamment les musulmans chiites et les chrétiens qui représentent environ 2 % de la population pakistanaise.
Le passé regorge d’exemples. En 2009, une foule musulmane a incendié une soixantaine de maisons et tué six chrétiens. Quelques années plus tard, à Lahore, des individus ont rasé plus d’une centaine de maisons de chrétiens à la suite des accusations de blasphème d’un homme de 20 ans. Un autre épisode célèbre, couvert par les médias internationaux, est le cas de Junaid Hafeez, condamné à mort en 2019 pour avoir insulté le prophète sur Facebook. Dix ans plus tôt, le jugement d’Asia Bibi avait ému l’opinion internationale. La justice pakistanaise avait accusé cette femme panjabie de blasphème et prononcé une condamnation à mort. La Cour Suprême l’a finalement acquittée en 2018. Plus récemment, des personnes ont tué et brûlé publiquement un Sri Lankais après des allégations de blasphème.
Des condamnations insuffisantes
Ces dernières années, de nombreux partis laïcs populaires ont tenté de modifier les lois sur le blasphème, sans succès. En 2010, Sherry Rehman, membre du Parti du peuple pakistanais (PPP), a présenté un projet de loi visant à modifier la loi sur le blasphème. L’opposition et les partis religieux ont néanmoins bloqué ce projet. L’ancien Premier ministre pakistanais Imran Khan a défendu les lois sur le blasphème en 2021 afin d’obtenir le soutien politique alors qu’il se présentait aux élections générales de la même année.
L’actuel Premier ministre, Anwar ul-Haq Kakar, a condamné le dernier acte de violence contre les chrétiens. Il a déclaré que le gouvernement prendra « des mesures sévères […] contre ceux qui violent la loi et ciblent les minorités ». Cependant, il est peu probable que le Pakistan résoudra la question de la loi anti-blasphème dans un avenir proche.
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