Dans la nuit du dimanche 24 février, des heurts ont éclaté à Asunción, capitale du Paraguay. Un jeune autochtone de 28 ans est tué par balle. Cet événement intervient plusieurs mois après que des membres de la communauté autochtone Ava Guaraní aient été chassés de leurs terres, à l’Est du pays.
Cet article de El País met en lumière l’inertie de l’Etat face à la situation précaire des populations autochtones au Paraguay, ainsi que les régulières violations de leurs droits.
La communauté Ava Guaraní chassée de ses terres
En octobre dernier, la communauté autochtone Ava Guaraní a été chassée de ses terres du département Canindeyú, limitrophe du Brésil. Des groupes paramilitaires brésiliens, équipés d’armes à feu, ont revendiqué ces terres comme propriété privée. Depuis, environ 300 individus, se retrouvant sans terre ni logement, campent sur la Plaza de Armas, dans le centre d’Asunción. Ils réclament les terres qui leur ont été spoliées et plaident pour une réaction du Gouvernement paraguayen face aux événements d’octobre.
Lors de la nuit du dimanche 24 février, Asunción est la scène d’une rixe entre réfugiés ava guaraní et habitants de la capitale. Au cours des affrontements, Francisco López, réfugié ava guaraní, est tué par balle. D’autres personnes sont blessées. Cet événement rappelle les conditions de vie précaires des populations autochtones au Paraguay, ainsi que le manque de réaction du Gouvernement paraguayen face à des situations souvent complexes.
Immobilisme de l’Etat paraguayen
Suite aux événements d’octobre 2018, le Gouvernement paraguayen a mis à disposition de la communauté Ava Guaraní 500 hectares de terres à Salto del Guairá, dans le département de Canindeyú. La communauté a rejeté l’offre. Constituant la moitié de la surface dont ses membres disposaient, ils plaident que ces terres ne sont pas celles qui ont appartenues à leurs ancêtres. Toutefois, la récupération des terres est impossible, selon Ana María Allen Dávalos, Présidente de l’Institut national indigène (INDI), car elles appartiennent à des producteurs de soja brésiliens.
La situation des peuples autochtones est relativement complexe au Paraguay. En effet, ils ne disposent majoritairement pas de titres de propriété pour les terres qu’ils occupent depuis des générations. Il arrive que leurs terres soient mises en vente, sans consultation aucune de leurs habitants. En 2012, l’ancien Président de l’INDI, Rubén Dario Quesnel, a vendu illégalement 25 000 hectares de la région de Chaco où vivait la communauté cuyaba du peuple Ayoreo [1].
Cette méprise des droits des populations autochtones est contraire à de nombreux textes internationaux, que le Paraguay a pourtant ratifié. La Convention 169 de l’OIT relative aux peuples indigènes et tribaux (1989) impose une approche participative en matière de prise de décision concernant ces peuples. La Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones (2007) stipule qu’ils ne peuvent être expulsés de leur terre. De plus, les déclarations de la Présidente actuelle de l’INDI montrent la profonde méconnaissance de l’importance de la terre dans la culture autochtone, base du développement des communautés et de la préservation de leurs traditions.
Condamnation des événements par les évêques
Suite à la mort de Francisco López, la Conférence épiscopale du Paraguay a publié un communiqué de soutien à la communauté et aux populations indigènes plus largement. Les évêques paraguayens déplorent l’immobilisme de l’Etat pour résoudre le conflit sous-jacent : le manque de terre. Ils dénoncent également le manquement à ses devoirs de la police d’Asunción, lors des heurts du 24 février. Enfin, la Conférence épiscopale du Paraguay demande aux autorités, et en particulier à l’INDI, de prendre ses responsabilités et de garantir la sécurité et les droits des populations autochtones.
La cause ava guaraní a également reçu le soutien de nombreux habitants de la capitale. D’autres peuples se sont joints à leur cause, eux-mêmes concernés par le manque de terre et de respect de leurs droits. La communauté Aché a d’ailleurs invité les populations autochtones à manifester pacifiquement. D’autres groupes procèdent souvent au blocage de routes pour attirer l’attention sur les injustices dont ils sont victimes.
La situation précaire des autochtones au Paraguay
Les différents gouvernements paraguayens ont agit en faveur des populations autochtones. Le guaraní est ainsi reconnu comme langue officielle en 1992. L’actuel président du pays, Mario Abdo Benitez, a déclaré la cause indigène comme une des causes prioritaires de son mandat.
Pourtant, de grandes inégalités sociales perdurent, au détriment des populations autochtones. Leurs membres ont souvent peu accès aux systèmes d’éducation et de santé. La pauvreté y est plus élevée que pour le reste de la population. Les peuples vivent entourés de monocultures nocives pour l’environnement et la santé. Ces régions, désertées par les autorités, sont un terrain propice au narcotrafic.
La corruption est également un thème qui touche le Paraguay, à l’instar de l’affaire Rubén Dario Quesnel. La Cour interaméricaine des droits de l’Homme, par ailleurs, a condamné plusieurs fois le Paraguay pour ses manquements au respect des peuples autochtones. Le droit à la terre reste la revendication principale des peuples natifs d’Amérique latine.
Image : Indigenas Maká, by ElGatoUwur, CC-BY 4.0
[1] Groupe international de travail pour les peuples autochtones, Rapport annuel Monde autochtone, 2014.