Depuis les années 2000, le Portugal redécouvre son Histoire juive. Des parcours touristiques valorisent le patrimoine lié au judaïsme à travers le pays. De plus, une loi a été approuvée en 2013 qui permet aux descendants de juifs portugais de demander la nationalité. La communauté juive dans le pays, très peu nombreuse, est en légère hausse.
Réhabilitation et préservation du patrimoine
C’est un événement en apparence banal : la destruction et la réhabilitation d’un immeuble du XVème siècle dans le centre de Porto. Le centre historique de la ville est classé au Patrimoine mondial de l’UNESCO, cependant tous les immeubles ne sont pas individuellement protégés. De fait, si la vieille ville présente une atmosphère incomparable, elle fut longtemps vide d’habitants. Ruelles étroites et sales, immeubles insalubres et déshérence sociale (défaut d’héritiers naturels par suite duquel une succession revient à l’État) et architecturale faisaient fuir la population. La réhabilitation et, dans de nombreux cas, la destruction et reconstruction d’immeubles, est en cours depuis les années 1990.
Récemment, la destruction de la majeure partie d’un immeuble non classé a pourtant fait la une. Il s’agissait en effet d’un des témoins de la présence de Juifs séfarades dans Porto. Les traces de la présence juive au Portugal sont rares et souvent invisibles. Gravée sur le cadre en pierre de la porte d’entrée du bâtiment, on pouvait notamment voir une croix chrétienne, symbole public de conversion des juifs au christianisme. Si les architectes du patrimoine et les habitants accueillent très favorablement la réhabilitation du vieux Porto, ils en appellent aux pouvoirs municipaux pour établir des critères précis d’étude et de conservation du patrimoine historique, dont le patrimoine juif fait partie. L’immeuble détruit faisait notamment partie d’un circuit touristique indépendant retraçant l’Histoire juive dans la ville.
Une histoire des Séfarades du Portugal à redécouvrir
Aux premiers siècles de cohabitation, des rapports pacifiques
Le réseau portugais des judiarias présente brièvement l’Histoire juive du pays. Il constitue l’un des principaux canaux de circuits touristiques sur le judaïsme. Les Séfarades sont présents sur le territoire, qui est aujourd’hui le Portugal, depuis la fin de l’Empire romain. Les juifs ont connu la présence wisigothe, arabe, puis chrétienne. Sous les premiers rois du Portugal (du milieu du XIIème à la fin du XVème siècle), des lois régissent les relations entre chrétiens et juifs et notamment les métiers ou fonctions autorisés pour ces derniers. Au Moyen-Âge, la contribution juive au développement et à l’économie du Portugal ne fait aucun doute, notamment dans le centre nord du pays (Serra da Estrela, Viseu, Porto) et dans l’Alentejo (Évora notamment). Les Séfarades exercent alors dans l’agropastoralisme, le commerce et la collecte des impôts. Ils vivent le plus souvent dans des judiarias (« juiveries »), ou quartiers juifs. Les traces physiques de leur présence sont très rares. Des documents attestent cependant de la cohabitation des populations.
À partir du XIVème siècle, d’autres Séfarades fuyant la montée des persécutions arrivent d’Espagne et s’établissent au Portugal, ou bien y font étape avant de partir vers les terres découvertes par les navigateurs portugais.
Inquisition espagnole, puis portugaise : des relations très ambiguës
En 1492, avec l’institution de l’Inquisition d’État, les Rois Catholiques d’Espagne expulsent leur population juive. Entre 30 et 60 000 juifs s’établissent au Portugal, faisant passer la population juive à 100-120 000 personnes et la proportion de juifs à entre 10 et 15 % de la population totale. Nombre d’entre eux partiront également vers les nouvelles terres.
Dès 1496 cependant, le roi du Portugal épouse l’infante d’Espagne et les Rois catholiques imposent au Portugal d’expulser les juifs de son territoire. Les historiens s’accordent aujourd’hui sur l’attitude ambiguë du Roi D. Manuel, qui ne connaissait que trop bien l’importance de la population juive pour son État. De nombreux juifs avaient notamment contribué au développement des caravelles, instruments clés de l’expansion et de la puissance du Royaume. Le Roi promulgue ainsi des lois plus clémentes, forçant les juifs à l’exil ou à la conversion. De nombreux juifs se convertissent ainsi au christianisme et font profession publique par des signes distinctifs, tels que les croix chrétiennes gravées sur les portes des maisons (1).
Beaucoup prennent la voie de l’exil, forcé ou volontaire, vers le Brésil, le Cap-Vert, São Tomé et Principe ou encore les Indes. Ceux qui restent se convertissent, on les appelle « nouveaux chrétiens ». En 1506, un massacre a lieu à Lisbonne, faisant 3 000 victimes. Les départs reprennent. Un monument inauguré en 2006 rappelle cet événement. Au XVIème siècle, la création de l’Inquisition portugaise va signer le début des persécutions officielles. Beaucoup seront accusés d’être des « juifs cachés » et de n’être pas réellement convertis. La majeure partie des juifs ou nouveaux chrétiens quitte alors le pays.
La Seconde Guerre mondiale
Au début des années 1930 naît le régime dictatorial de António Salazar, l’Estado Novo (1933-1974). Ce dernier est en opposition avec l’expansionnisme et la foi en la technologie du fascisme italien. Il ne suit pas plus la vision raciale et raciste du nazisme. Le dictateur, bien que sympathisant d’Hitler et surtout de Mussolini, n’est pas antisémite.
Pour partie en raison de ces divergences, mais aussi par crainte de conflits avec l’Espagne, A. Salazar signe avec son voisin un pacte de non-agression (« Pacte ibérique ») qui prévoit la neutralité de la péninsule. Le chef d’État informe le gouvernement de l’Allemagne nazie que ses lois raciales ne sont en aucun cas applicables aux citoyens portugais résidant en Allemagne. Au départ, A. Salazar donne également pour consigne à ses consuls d’octroyer des visas pour le Portugal aux juifs et autres demandeurs cherchant à fuir le pays. L’idée n’est cependant pas d’accueillir ces populations (le pays n’en a de toute façon pas les moyens). Le Portugal doit ainsi servir de pays de transit vers les États-Unis.
Face à l’afflux massif de populations de toute l’Europe après le déclenchement de la guerre, le dirigeant change d’avis. Dès novembre 1939, il émet la « Circulaire 14 ». Celle-ci restreint jusqu’à l’impossible les conditions d’octroi de visas pour le Portugal, en particulier si les demandeurs n’ont pas déjà un visa et un billet pour les États-Unis. Le Consul du Portugal à Bordeaux, Aristides de Sousa Mendes, s’oppose à cet ordre et octroie des milliers de visas en quelques semaines.
Au total, des dizaines de milliers de réfugiés, dont une grande proportion de juifs, afflueront au Portugal pendant la guerre, notamment à Lisbonne. L’écrasante majorité traversera l’Atlantique et ne s’établira pas durablement dans le pays.
Cette page de l’Histoire juive au Portugal a été racontée dans un film de 2017, Debaixo do Céu/Under the Sky.
2013 : la loi sur la nationalité portugaise pour les descendants de Séfarades
En 2013, le Portugal (de même que l’Espagne) a fait un pas de plus pour renouer avec son Histoire juive. Entrée en vigueur en 2015, cette loi permet aux descendants de Séfarades contraints à l’exil à partir de 1492 de demander la nationalité portugaise. À l’automne 2019, 37000 demandes de nationalité avaient été déposées. Les demandeurs viennent pour beaucoup de Turquie et d’Israël, mais aussi du Brésil, d’Argentine et des États-Unis. Être de confession juive (beaucoup sont issus de familles forcées à se convertir) ou parler portugais n’est pas nécessaire. En revanche, les communautés juives de Porto ou de Lisbonne vérifient la véracité de l’ascendance séfarade et octroient un certificat. Les éléments tels que noms de famille (certains sont typiquement séfarades et une liste officielle a été publiée), la langue ou les traditions familiales, documents de mariage ou d’enterrement, titres de propriété peuvent entrer dans la constitution des dossiers.
Pour certains, il s’agit avant tout d’obtenir un passeport européen. D’autres y voient une façon de renouer avec leurs origines, d’autant que certaines familles ont conservé leur langue de l’époque, le judéo-espagnol (ou judéo-portugais). Quelques uns enfin choisissent de s’installer au Portugal, car le pays est stable et l’antisémitisme y est quasiment inexistant.
Pour le Portugal, c’est une forme de réconciliation symbolique.
(1) Certains mets portugais seraient aussi issus de ces conversions forcées (comme les « saucisses » au poulet). Il reste difficile de dire quelles sont la part de réalité et la part de mythe dans ce dernier point. Il montre néanmoins que l’Histoire juive et la présence du judaïsme n’ont jamais disparu de la mémoire collective portugaise.
Image : « Lisbon massacre Monument » (14/10/2017), auteur Enrico Strocchi, CC BY-SA 2.0