Le Portugal fait partie des pays européens ayant accueilli le plus de demandeurs d’asile ou de protection internationale, dont la majeure partie vient de Syrie ou d’Irak. La population, qui identifie ces personnes comme des réfugiés, est très favorable à leur accueil. Un programme spécifique a d’ailleurs été mis en place pour les étudiants universitaires. Cependant, les personnes accueillies préfèrent souvent un autre pays et l’administration est lente. Beaucoup d’arrivants seraient repartis tenter leur chance ailleurs en Europe.
Situation des réfugiés et demandeurs de protection internationale : un tableau en demi-teinte
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Un pays ouvert à l’accueil, mais qui n’attire pas
De 2015 à fin 2017, le Portugal a accueilli plus de 3 000 personnes requérantes d’asile ou en demande de protection internationale. La majorité vient de Syrie, d’Irak et quelques centaines viennent d’Afrique de l’Est.
Les arrivants ont rejoint le pays suivant plusieurs mécanismes :
- 1 500 (soit 50 % de l’engagement initial du pays) dans le cadre de « relocalisations » ; il s’agit du système de l’Union européenne qui, de l’automne 2015 à fin 2017, a permis la prise en charge de personnes arrivées en Grèce ou en Italie ;
- quelques dizaines via le programme de « réinstallation » du Haut-Commissariat aux Réfugiés (Nations Unies) et via les accords UE-Turquie ;
- Moins de 1 000 ont déposé des demandes spontanées directement sur le sol portugais.
En 2016, le Premier ministre António Costa avait annoncé être prêt à accueillir 10 000 personnes. Depuis fin 2017, le pays s’est proposé pour accueillir 1 100 autres demandeurs. C’est donc l’un des pays européens ayant accueilli le plus de demandeurs d’asile ou de protection internationale.
Le plus gros facteur limitant le nombre de personnes accueillies est le nombre de candidats. La plupart refusent d’aller dans un pays peu connu et réputé moins riche que ses voisins, certains quittent même le territoire sans laisser de trace.
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Documents, santé et logement : des lenteurs angoissantes
À leur arrivée au Portugal, les demandeurs d’asile ou de protection internationale ont droit à 150 euros par mois, pendant 18 mois. Par la suite, ils peuvent être éligibles à d’autres aides sociales. Le service responsable des permis est le Service des étrangers et des frontières (SEF). Tous se voient remettent un titre de séjour temporaire, valable six mois et renouvelable. Ce titre leur permet de travailler et de s’inscrire dans le Système national de santé (le SNS). Dans la majorité des cas, le statut de réfugié est reconnu et ils reçoivent un permis de séjour de cinq ans renouvelable. Au bout de six ans et sous réserve de maîtriser la langue, ils peuvent demander la nationalité portugaise.
L’accès au SNS est systématique. Les demandeurs d’asile ou de protection internationale sont exonérés du paiement du ticket modérateur, dès lors que tous leurs papiers sont en règle. Or, le SEF ne suit pas le rythme. De même, l’attribution d’un numéro SNS personnel prend parfois des mois. Certaines personnes se retrouvent donc temporairement sans documents valables et n’ont pas accès gratuitement aux soins ni à l’emploi.
Concernant le logement, il existe des centres d’accueil gratuits pour les premiers mois. Ensuite, la plupart des réfugiés accèdent à des locaux privés grâce aux nombreuses associations réunies au sein de la Plateforme d’assistance aux réfugiés (PAR). Les autres doivent rester dans les centres d’accueil.
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Éducation et emploi
Le Portugal réussit à bien intégrer les étudiants et apprentis, notamment grâce à l’attribution de bourses. Des cours de langue sont organisés. Les enfants sont scolarisés. En attendant leur statut définitif, les demandeurs ont le droit de travailler. Fin 2017, entre 40 et 50 % des arrivants travaillaient ou étaient en formation au bout de quelques mois, notamment dans l’industrie ou dans le secteur agricole. Un portail en ligne (RefuJobs) a ouvert en mai 2018 pour aider les réfugiés à obtenir un emploi.
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Le cas particulier des étudiants universitaires
À l’initiative de l’ancien Président de la République portugaise, Jorge Sampaio, une Plateforme internationale d’aide aux étudiants syriens a été mise en place en 2013. Elle vise à leur permettre de poursuivre des études supérieures loin de la guerre. Sur la trentaine d’universités partenaires (au Brésil, au Canada, au Liban, en Jordanie, en Suisse, etc.), les 2/3 sont situées au Portugal. Le pays accueille d’ailleurs la grande majorité des plus de 170 étudiants ayant bénéficié de ce programme depuis 2014.
Les étudiants viennent directement de Syrie, par le mécanisme de réinstallation, qu’ils aient déjà obtenu le statut de réfugiés ou non. Ils viennent seuls et 36 % sont des femmes. À leur arrivée, ils sont logés et reçoivent une formation accélérée en portugais avant le début de l’année universitaire. Parmi les premiers anciens étudiants du programme (licence, master ou doctorat), 11/15 travaillent maintenant au Portugal et trois poursuivent leurs études.
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Regroupement familial : le principal grief
La question du regroupement familial est le principal grief des arrivants et des associations. Le Portugal a privilégié l’accueil de familles, mais certaines personnes sont venues seules ou avec une partie seulement de leurs proches. Or, les règles du regroupement familial prévoient d’avoir déjà obtenu un titre (asile ou protection internationale) avant de déposer une demande pour ses proches. Certaines personnes attendent 18 mois pour savoir si elles ont obtenu le statut de réfugié. La procédure de regroupement dure elle aussi des mois. Au total, certains ont mis deux ans à faire venir leurs proches. En outre, il n’est possible de faire venir que les mineurs ou les conjoints. Un frère ou un enfant majeurs non dépendants, par exemple, ne peuvent pas venir en l’état actuel de la législation. Le Bloc de gauche (membre de la coalition au gouvernement), appelle à une révision de la loi.
Cette situation engendre une grande inquiétude et solitude. De plus, les demandeurs ont été répartis dans tout le pays (bien qu’une majorité se trouve dans les régions de Porto et Lisbonne). Certains se sentent donc isolés. Les associations et le parti du Bloc de gauche le confirment : l’administration portugaise pare au plus urgent (logement, titre de séjour, revenus minimum, santé), mais l’accompagnement reste lacunaire. Les associations de la PAR prennent le relai.
Un tissu dense d’acteurs sur tout le territoire pour un accueil inconditionnel
Les associations caritatives ou religieuses (toutes confessions confondues), les ONG et les groupes de défense des droits de l’Homme sont mobilisés. Les administrations locales sont aussi très actives, avec près de 100 communes volontaires. Cependant, ces dernières sont parfois débordées (à Lisbonne et Porto notamment), tandis que d’autres (dans l’intérieur du pays ou dans les villes moyennes) pourraient traiter plus de dossiers. Malheureusement, les demandeurs ne peuvent déposer de dossiers qu’auprès des autorités de leur lieu de résidence.
Des initiatives sont menées dans tout le pays pour sensibiliser à la question des demandeurs d’asile : tables rondes dans les écoles, débats publics, événements culturels… La Casa da Música de Porto a par exemple organisé un concert de levée de fonds pour les étudiants syriens. Les arrivants se disent bienvenus dans le pays, qui est d’ailleurs classé 2e (sur 38) selon l’Indice européen des politiques d’intégration de migrants (Mipex). Aucun incident (agression, insultes ou autres) n’a été à déplorer.
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L’appartenance religieuse ne fait pas débat
En matière religieuse, la population portugaise est très homogène (94 % de catholiques, 35 % de pratiquants). En Europe, pour autant, les Portugais sont parmi les moins nombreux à exprimer un a priori négatif à l’encontre des juifs ou des musulmans, d’après une étude du Pew Research Institute. Une grande majorité (environ les 3/4) considère que l’islam n’est pas incompatible avec leur société. L’unique manifestation hostile aux réfugiés n’a rassemblé que quelques dizaines de personnes, avec très peu de slogans anti-musulmans.
La dimension religieuse n’est jamais abordée frontalement. Les centres d’accueil disposent de salles de prière multi-confessionnelles. La Conférence des évêques portugais relaye les appels du Pape François pour l’accueil des migrants. L’appartenance religieuse des personnes accueillies n’est pas mentionnée. Quelques paroisses ou organismes promeuvent une réflexion sur les rapports avec l’islam, mais jamais en lien direct avec l’accueil des réfugiés.
Un pays sortant de crise, en régression démographique…
Le Portugal compte environ 10 millions d’habitants, dont un peu moins de 4 % d’immigrés. Depuis 2011, le solde naturel et le solde migratoire sont négatifs. Les Portugais ont quitté le pays par dizaines de milliers pendant la crise (2012-2017 environ), avec un pic de 13 départs pour 1 000 habitants (9/1 000 aujourd’hui). Le taux de chômage est redescendu autour de 11 %. Le salaire minimum est de 580 euros/mois. Pour les professions non qualifiées, le salaire moyen s’élève à 687 euros par mois. Il est de 2 367 euros par mois pour les cadres supérieurs.
…qui garde une mémoire collective de la migration et accueille de bon gré les réfugiés mais moins les migrants
Le Portugal se vit comme un pays d’émigration. Les migrations du XXème siècle sont particulièrement présentes dans la mémoire collective et font partie de l’histoire de nombreuses familles. Quelques observateurs dressent d’ailleurs un parallèle entre les mouvements actuels et l’émigration massive (souvent clandestine) de dizaines de milliers de Portugais sous la dictature de Salazar. D’autres rappellent les leçons pratiques tirées du « retour » soudain de 500 000 Portugais après l’indépendance des colonies (1974-76).
Dans ce contexte, la population perçoit les migrants économiques comme des concurrents. En Europe, elle est parmi les plus réticentes face à l’arrivée de migrants. Étrangement, elle considère aussi que la migration bénéficie à son économie. En revanche, les Portugais établissent une distinction claire avec les personnes demandant une protection internationale. Envers ces dernières, le devoir d’accueil fait consensus.
Image : Bienvenue à la craie, by Bruno Glätsch – Pixabay CCO.