Alors que le Qatar a enregistré l’un des taux d’infection par coronavirus les plus élevés au monde, avec plus de cent milles malades mais peu de cas mortels, les deux millions de travailleurs migrants sont les plus touchés. Indiens, Népalais, Bangladais, Philippins mais aussi Kenyans constituent 95% de la main d’œuvre du pays. La pandémie couplée à la chute des prix du pétrole a fait de ces migrants des victimes collatérales majeures, sur le plan sanitaire mais aussi économique et social, au Qatar comme dans ses voisins du Golfe.
Les travailleurs migrants comme populations les plus exposées
En effet, les travailleurs migrants représentent les populations les plus vulnérables face au virus. Dès le 11 mars, le gouvernement a imposé un confinement très strict dans la zone industrielle de Doha, qui abrite la majorité d’entre eux, après la découverte de 238 nouveaux cas dans le complexe. Les mesures barrières sont difficilement applicables dans des dortoirs où les chambres accueillent généralement 6 à 12 personnes. De même, les résidents partagent la salle d’eau ainsi que des cuisines souvent insalubres et dépourvues d’eau courante. En réponse aux critiques, les pouvoirs publics ont affirmé fournir des soins gratuits et de la nourriture aux travailleurs contaminés. Cependant, la mise en place effective de ces initiatives est difficilement vérifiable. Par ailleurs, la pandémie affecte également les travailleuses domestiques migrantes, d’autant plus vulnérables aux abus en période de confinement.
Les premiers sacrifiés sur l’autel de la paralysie économique
Outre leur surexposition au risque de contamination, les travailleurs migrants sont également frappés de plein fouet par les retombées économiques de la pandémie et la chute des prix du pétrole. Alors que le non-paiement des salaires est un fléau quotidien, les mesures engagées ces derniers mois renforcent cette précarité. En mars, Amnesty International dénonçait ainsi la détention puis l’expulsion de Népalais croyant aller se faire tester. Mi-avril, une directive gouvernementale autorisait les entreprises à imposer des congés sans solde à leurs employés ou à terminer leur contrat. Ainsi, de nombreux migrants ainsi que leur famille à l’étranger ont dû faire face à la perte de leurs moyens de subsistance, les poussant parfois à quémander de la nourriture. Ces conditions de plus en plus délicates à gérer ont d’ailleurs incité une centaine de travailleurs migrants à manifester le 22 mai à Doha, fait suffisamment rare dans la région pour être souligné.
Une situation généralisée à travers les pays du Golfe
Si les difficultés encourues par les migrants au Qatar ont fait l’objet de signalements par les défenseurs des droits de l’homme, leur sort est similaire dans les autres pays du Golfe aux économies tout aussi dépendantes de la main d’œuvre étrangère. Ainsi, le Bahreïn a enregistré une hausse du nombre de suicides de travailleurs migrants depuis le début de la pandémie. Il en est de même au Koweït, où les étrangers sont victimes de la xénophobie de ressortissants les accusant d’avoir propagé le virus. L’Arabie saoudite a quant à elle expulsé des centaines d’Éthiopiens. Enfin, les Émirats arabes unis ont permis aux entreprises de rompre le contrat des non-ressortissants et diminuer les salaires.
La pandémie comme opportunité de changement?
Toutefois, l’éclairage apporté par ce contexte inédit sur les conditions de millions de migrants, et la pression extérieure en résultant, pourraient constituer une opportunité d’évolution. Alors qu’Amnesty International, Human Rights Watch, Migrant-Rights.org et Business & Human Rights Resource Centre ont formulé des recommandations aux gouvernements du Golfe, certaines avancées ont pu être enregistrées. Le gouvernement du Bahreïn a exhorté les employeurs à s’assurer que les migrants ne sont pas plus de cinq par chambre. Au Koweït, ces derniers ont été évacués de leur dortoir et conduits vers d’autres logements. En outre, le Qatar, l’Arabie saoudite ainsi que les Émirats arabes unis ont invité les employeurs à laisser les étrangers choisir entre congés non-payés ou utiliser leur congé annuel pendant cette période. Cependant, le pouvoir de négociation des migrants demeure insuffisant dans ces pays où le système de parrainage de la kafala les contraint à rester sous tutelle de leur patron.
Image : Burj Dubai Construction Workers on 4 June 2007, by Imre Solt. Wikimedia CC BY-SA 3.0