Cinq ans après le début de la crise qui a vu s’affronter les factions de la Séléka, forces rebelles à l’origine du coup d’Etat qui a destitué le président Bozizé en mars 2013, et les anti-Balaka, milices armées qui se sont élevées en réaction à la violence de la Séléka, la question du retour des musulmans qui ont été persécutés se pose. En effet, ce conflit s’est suivi de répercussions violentes et massives envers la communauté musulmane, subissant par amalgame les exaltations communautaires et religieuses, principalement chrétiennes et animistes. Le retour des déplacés, permis par l’accalmie à la suite de l’élection du président Touadéra en 2016, amène une réflexion sur plusieurs points, notamment la question de leur intégration sociale, des droits de propriété et de leur sécurité.
Le blog « Africa at LSE » de la London School of Economic propose des articles d’experts sur l’actualité et les débats autour du continent africain. Enrica Picco, consultante indépendante, spécialiste sur la République démocratique du Congo et la RCA, revient sur le défi du retour des réfugiés et déplacés musulmans en Centrafrique dans le cadre de la série Displacement and Return.
Réfugiés et déplacés internes, les conséquences de la crise de 2013 sur la population
En décembre 2012 éclate le conflit centrafricain entre les rebelles de la Séléka et le gouvernement de François Bozizé. L’offensive militaire de groupes armés majoritairement de confession musulmane s’empare progressivement du territoire en partant du nord-est pour attaquer et prendre la capitale Bangui le 24 mars 2013. Face à ces violences et au coup d’Etat du chef de la Séléka, Michel Djotodia, le conflit prend par endroits une dimension interreligieuse, voyant des groupes armés s’en prendre à des civils présumés appartenir à la communauté à laquelle ils ne s’identifiaient pas. Les anti-balaka sont une coalition de chrétiens et d’animistes qui se veulent les défenseurs des populations et mènent des représailles envers les musulmans du pays, qu’ils soient d’anciens membres de la Séléka ou pas. Un « nettoyage ethnique systématique » s’est alors amorcé d’après la chercheuse, et a poussé de très nombreux musulmans, mais pas seulement, à se réfugier dans les pays voisins, Cameroun et Tchad principalement. D’autres ont été déplacés à l’intérieur du pays pour échapper aux violences. Selon les chiffres de l’UNHCR du mois de janvier 2018, 542 380 centrafricains sont réfugiés et 688 700 sont déplacés à l’intérieur du pays.
Les défis du retour, intégration sociale, sécurité et programmes de réconciliation
En 2016, suite à l’élection du Président Touadéra, l’atmosphère était plus apaisée, ce qui a permis à de nombreux déplacés et réfugiés de rentrer chez eux. Ces retours ont été spontanés et non pas organisés, en réponse au rétablissement progressif de l’autorité de l’Etat. S’ils sont positifs, ils présentent également des problèmes qui doivent être résolus pour que la stabilité se maintienne.
En quittant leurs villages, les déplacés laissent tout sur place. Leurs biens et propriétés sont alors souvent détruits, volés ou occupés. Il arrive même que les autorités locales refusent de rendre les biens ou intimident les personnes afin qu’elles ne réclament pas ce qu’elles ont laissé. Il reste également un fort ressentiment à l’égard des populations musulmanes qui sont une minorité en RCA, à hauteur de 10 à 15 % de la population. La majorité des Centrafricains les perçoivent comme des étrangers, venus du Tchad ou du Sud Soudan. Les discriminations auxquelles ils font face sont nombreuses, depuis les contrôles de police jusqu’aux refus de les employer. Les profondes lacunes de l’administration centrafricaine les prive également le plus souvent de documents d’identification nationale, ce qui contribue à leur marginalisation. Les questions d’identité et de citoyenneté doivent être réglées pour envisager un retour plus serein et une inclusion effective sur tout le territoire.
L’exemple du quartier PK5 de Bangui, une enclave musulmane dans la capitale
Face à cette situation, les réfugiés musulmans de retour en Centrafrique choisissent le plus souvent de s’installer non sur leurs terres d’origine, mais dans des quartiers où d’autres musulmans sont déjà présents, et qui se transforment en enclaves. Ces quartiers ou villages sont bien souvent isolés et protégés, rassemblant des personnes partageant la même religion, ce qui en fait un endroit considéré comme sûr. C’est ainsi que le quartier PK5, « havre de sécurité pour la communauté musulmane » selon Enrica Picco, est l’enclave la plus importante du pays. La démographie du quartier a doublé au cours des trois dernières années, avec 111 160 déplacés. Des problèmes se posent quant à l’accès à l’eau et au logement. Trouver un emploi reste également une difficulté, liée à la présence d’anti-balakas dans les autres quartiers qui restreignent les mouvements. Récemment, les commerçants du quartier ont refusé de continuer à payer les milices d’auto-défense et reconnaissent ainsi la MINUSCA, mission de soutien à la paix et la sécurité des Nations Unies en RCA, comme organe officiel œuvrant à la cohésion sociale. Cela n’empêche cependant pas les affrontements réguliers entre groupes armés, et la MINUSCA est accusée de ne pas protéger les populations.
Image : Enfants réfugiés le long du fleuve Oubangui, à la frontière de la Centrafrique, By André Thiel, Flickr, CC BY-NC-SA 2.0