En Centrafrique, la crise est loin de trouver une solution. Les réponses proposées par le gouvernement centrafricain et la communauté internationale ont très peu d’effets sur le terrain et les développements de ces derniers mois font craindre le retour à la guerre civile.
Le rapport numéro 253 rendu par l’organisation non gouvernementale indépendante International Crisis Group analyse l’évolution de la crise centrafricaine depuis la fin 2016 et la configuration inter-communautaire qu’elle prend depuis quelques mois avec le ciblage des musulmans et des Peuls. De cette analyse, ce rapport décrit les initiatives de médiation engagées pour retrouver la stabilité en Centrafrique et dresse une séries de recommandations dont la prise en compte pourrait réduire les fractures creusées au sein de la société centrafricaine.
L’organisation d’élections apaisées en 2016 n’a pas entraîné la stabilité espérée dans le pays. Les espoirs nourris par ces élections ont très vite été trahis par un regain de violence et l’incapacité du gouvernement à conduire des réformes pour une amélioration de la gouvernance. L’économie peine à décoller et la situation sécuritaire s’est profondément détériorée avec le retrait des troupes de l’opération militaire française Sangaris.
Sur le plan politique, le gouvernement n’a pas réussi à se détacher de l’héritage de François Bozizé. L’absence d’une base politique solide rend l’actuel président impuissant face aux dissensions entre les partisans d’un retour de François Bozizé aux affaires et ceux qui s’y opposent. Les relations entre l’exécutif et le législatif sont marquées par des incompréhensions qui font redouter une crise politique qui aggraverait la situation sécuritaire et humanitaire déjà préoccupante. Aussi, des divergences commencent à apparaître entre le président et ses derniers soutiens onusiens qui lui reprochent son manque de fermeté et l’inaction qui retarde l’amorce du travail de réconciliation.
La multiplication des points chauds et le ciblage des musulmans
Si dans la capitale Bangui règne un calme relatif, la situation sécuritaire à l’intérieur du pays demeure préoccupante. La lutte entre les groupes armés pour le partage des territoires et le contrôle des ressources prend une connotation ethnique. Ces conflits ont donné naissance à des jeux d’alliance périodiques entre milices. Les accords de paix et la médiation engagée par de nombreux acteurs n’ont pas entraîné la cessation des combats et le désarmement des milices. Le rapport de Crisis Group déplore au contraire la course aux armements et la multiplication des recrutements des mercenaires.
Derrière l’activité des milices se cachent des ambitions politiques. Certains groupes revendiquent plus d’autonomie pour les territoires dont ils ont le contrôle. D’autres vont plus loin pour proposer une partition du pays et l’instauration d’un système fédéral. Face à cette situation, la MINUSCA du fait de ses multiples faiblesses, notamment son caractère attentiste face à la montée des violences, son effectif réduit, ses équipements insuffisants, et sa neutralité injustement contestée dans certaines régions, peine à remplir son mandat. Son incapacité « d’aider à créer des conditions qui permettent de réduire durablement la présence de groupes armés et la menace qu’ils représentent » a des conséquences dramatiques sur le plan humanitaire.
La résurgence de la question de la « centrafricanité » des Peuls explique le caractère ethnico-religieux que prend la crise depuis plusieurs mois déjà. Discriminés et assimilés aux Tchadiens et Nigériens, les Peuls sont victimes de pillages et d’actes de violence dans plusieurs localités de l’Est tels que Bangassou. Ce ciblage systématique des musulmans peuls a des origines beaucoup plus lointaines. Il naît des rivalités commerciales historiques qui les opposent aux chrétiens et sont nourris par la rhétorique dangereuse de l’autochtonie soutenue par certains leaders politiques, religieux et traditionnels comme le souligne cet extrait de la page 11 du rapport : « L’attaque de Bangassou de mai 2017 était planifiée et avait l’appui de certains hommes politiques et sans doute la bénédiction d’un pasteur. Des témoignages évoquent d’autres formes de soutien aux agresseurs dans l’entourage du sultan de Bangassou et parmi des parlementaires et leurs suppléants.
Le dialogue infructueux
Les initiatives de médiation engagées jusqu’ici par les acteurs nationaux et internationaux présentent plusieurs limites :
« Elles révèlent des agendas divergents, des rivalités institutionnelles et des cultures de médiation différentes. La dispersion et la concurrence entre les interventions diplomatiques ne favorisent pas l’avancement des dossiers. »
Une rencontre a été organisée par l’Union Européenne dans le but d’harmoniser les efforts de ces acteurs pour une médiation internationale plus cohérente mais des divergences persistent.
Le dialogue entre le gouvernement et les groupes armés est dans l’impasse. Les chantiers du programme de démobilisation, désarmement, réinsertion et rapatriement (DDRR) piétinent et le programme de réduction de la violence communautaire (RVC) n’empêche pas les combattants de reprendre les armes pour continuer le combat. L’ « initiative africaine pour la paix et la réconciliation » lancée par l’Union Africaine, dont l’objectif est de favoriser la reprise du dialogue entre les groupes armés et le gouvernement pour aboutir à un désarmement effectif en échange de concessions politiques, est bloquée par des désaccords sur le contenu et la méthode de médiation.
Des voies de sortie pour une stabilité durable en Centrafrique
Le rapport reconnaît que la meilleure solution possible au problème centrafricain est celle qui gagnera l’approbation d’un maximum de Centrafricains. Il propose donc de s’inspirer des expériences passées et impliquer le maximum de Centrafricain dans son élaboration. Il faudra aussi s’inspirer des leçons apprises des accords précédents et de l’Histoire des médiations politiques en Centrafrique. Pour une sortie de crise en Centrafrique, Crisis Group propose les étapes suivantes :
- Régler la question des groupes armées en s’attaquant à leurs sources de financement et en alliant mesures incitatives et pressions pour un retour à la table des négociations. Pour ce faire, la MINUSCA doit être redimensionnée pour rétablir l’équilibre de forces qui permettra d’exercer une certaine pression sur les acteurs du conflit.
- Rebâtir la confiance entre Bangui et les régions périphériques. Il est urgent pour l’Etat centrafricain de marquer sa présence dans les régions reculées. Des reformes de fond doivent être engagées dans le but de rapprocher l’administration des administrés, promouvoir la diversité communautaire et lutter contre toute forme de discrimination religieuse. Aussi le président Touadéra devra trouver une méthodologie pour se défaire de son passé encombrant d’ancien Premier ministre de François Bozizé et vice président de son parti le ‘’Kwa Na Kwa’’.
- Renforcer la coopération entre la Centrafrique et ses voisins. Une meilleure coopération avec les pays tels que le Cameroun, le Tchad et le Soudan pourra permettre de solutionner les conflits autour de la transhumance transfrontalière qui constituent une source de financement des groupes armés.
Image : Mission d’établissement des faits relativement aux violations des droits de l’homme à Bangassou, MINUSCA, CC BY-NC-ND 2.0