Qu’attendre du second sommet entre Kim Jong-un et Donald Trump ? C’est autour de ce thème que Stephen Noerper, conseiller principal au programme de coopération en Asie du Nord-Est des Nations Unies, ainsi qu’Andrew Schwartz et Victor Cha du CSIS, ont débattu dans le dernier numéro du Podcast « The Impossible State ».
Des attentes revues à la baisse
Récemment, le Président Trump a déclaré qu’il n’était « pas pressé » quant à la dénucléarisation de la Corée du Nord. Cette déclaration suscite quelques inquiétudes, car elle suggère aux Nord-Coréens que les attentes en matière de dénucléarisation ont été simplement revues à la baisse, et peut être perçue comme une forme d’abandon du régime de non-prolifération, constituant par la même un mauvais exemple au plan international.
Après avoir voulu faire rentrer la dénucléarisation nord-coréenne dans le calendrier électoral américain, le président Trump a dû se résoudre à l’évidence : les experts estiment qu’il faudrait au moins 10 ans pour démanteler le programme nucléaire nord-coréen.
Faire machine arrière et revoir ses ambitions à la baisse est donc un moyen de présenter les concessions nord-coréennes, quelque soit l’importance de celles-ci, comme un succès.
Il est clair que le président américain veut présenter ce sommet comme sa victoire. Une victoire qui lui serait bien utile, à la fois dans sa quête du prix Nobel de la Paix, mais aussi sur le plan domestique : comme l’écrit Renaud Girard, « Trump a la diplomatie de sa réélection. »
Toutes les routes passent par Séoul
Les avancées entre la Corée du Nord et les Etats Unis, tout comme le rapprochement inter-coréen, n’auraient jamais atteint leur stade actuel sans l’action du président Moon Jae-in.
Que ce soit pour l’organisation du sommet de Singapour en juin, ou pour les multiples relances de la dynamique américano-nord-coréenne, les Sud-Coréens ont redoublés d’efforts pour assurer le succès de la diplomatie dans la Péninsule, et ne pas se retrouver coincés dans une guerre entre les USA et la RPDC, comme beaucoup le prévoyaient en 2017.
Si le sommet vietnamien ne produit pas les effets escomptés, le président Moon subira alors une pression encore plus forte afin d’obtenir ce que Trump n’a pas réussi à décrocher, lors de sa prochaine rencontre avec Kim Jong-un.
En revanche un succès à Hanoï ouvrirait la voie à une ouverture encore plus profonde entre les deux Corées. Des parlementaires sud-coréens ont, par exemple, évoqué l’idée d’une rencontre interparlementaire avec le nord.
Des progrès sont attendus
Certain experts considèrent que le président américain a fait un cadeau à Kim Jong-un en lui offrant un second sommet, alors qu’un « working-level summit » aurait suffi.
Pour un pays « paria, » un sommet avec le président américain est considérable. Cela représente une « légitimation ultime. »
Cela veut aussi dire que, cette fois, les deux parties ne peuvent pas se séparer sans avoir pris d’engagements concrets, comme ils l’ont fait en juin dernier à Singapour. En effet, même si le président Trump proclame le succès de ce sommet, il sait très bien qu’il devra faire face à une communauté internationale sceptique réclamant des avancées concrètes. Celles-ci devront passer par de nouvelles solutions, et non pas par les mêmes anciennes recettes qui se sont déjà révélées inefficaces.
Le Vietnam, un aperçu de la future Corée du Nord ?
Le choix du Vietnam pour ce sommet n’est pas un hasard. En effet, il a été choisi par les deux camps comme l’image potentielle d’une Corée du Nord qui aurait été de l’avant. Ancien « arch enemy » des Etats-Unis, les ayant affronté dans une guerre fratricide et dévastatrice, le Vietnam est aujourd’hui un partenaire important de l’Oncle Sam en Asie.
Le programme des deux dirigeants comprendrait la visite de zones industrielles, et notamment d’une usine Samsung. Il faut rappeler que l’héritier et vice-président de Samsung, Lee Jae-yong, avait accompagné le président Moon lors de son voyage au Nord en septembre dernier, avec de nombreux autres chefs d’entreprises sud-coréennes.
Le président Trump a également vanté de nombreuses fois le potentiel économique de la Corée du Nord. Potentiel qui ne pourrait être libéré qu’en cas de levée des sanctions économiques internationales. Sanctions qui ne seront levées, selon l’administration Trump, qu’en cas de « dénucléarisation complète, vérifiable et irréversible. »
Le leader nord-coréen veut mettre en place des zones spéciales pour le tourisme et le développement économique, en tirant les enseignements de l’expérience vietnamienne. Cependant, pour Leif-Eric Easley, « l’intérêt pour le modèle vietnamien mis en avant par la RPDC est avant tout destiné à fédérer le soutien de la communauté internationale pour le développement de l’économie du Nord. » Le développement économique vietnamien a été permis par l’octroi de libertés : liberté de voyager, d’échanger, de communiquer avec des étrangers et d’apprendre à leur contact. Or, quoi qu’il arrive, le régime nord-coréen s’assurera avant tout de garder le contrôle total du pays et de sa population. « Le modèle nord-coréen sera donc certainement une combinaison de développement économique et d’une dictature très, très rigide, contrôlant étroitement l’information. »
Qu’attendre de ce sommet ?
Selon les intervenants de The Impossible State, le fait que les deux parties cherchent toujours à mettre en place une définition commune de la dénucléarisation n’est pas bon signe. Ce point a, en effet, fréquemment bloqué les négociations entre les USA et la RPDC, et montre que cette dernière n’est pas réellement prête à se séparer de son programme nucléaire.
De nombreux éléments pourraient laisser croire que les négociateurs se dirigent vers une « déclaration de fin de guerre. » Mais le président Moon Jae-in pourrait vouloir garder une telle déclaration pour une autre occasion, rassemblant Xi Jinping, Donald Trump, Kim Jong-un et lui-même. Le porte-parole du président Moon a cependant récemment déclaré qu’une déclaration de fin de guerre ne remplacerait pas les accords d’armistice de 1953, mais servirait plutôt de première étape aux négociations complexes menant au remplacement de l’armistice par un traité de paix en bonne et due forme.
La normalisation des relations entre les deux pays a été également été évoquée, ainsi que l’ouverture de bureaux de liaison à Pyongyang et Washington. Cette décision pourrait également mener l’administration américaine à revenir sur sa décision d’interdire aux citoyens américains de se rendre en Corée du Nord, ce qui a, notamment, gravement entravé le travail des humanitaires en RPDC.
Selon Stephen Noerper, les Nord-Coréens pourraient aussi très bien faire une déclaration, et donner leur accord, en privé à défaut d’être en public, à un régime de vérification. L’allègement d’une partie des sanctions pesant sur le Nord a également été évoqué. Selon Mike Pompeo, cet allègement ne concernerait cependant pas le « cœur » des sanctions, celles empêchant de faire du commerce avec la RPDC ou celles interdisant le Nord de créer de la richesse.
Le plus important pour Victor Cha est, cependant, que Donald Trump ne prenne pas d’engagement susceptible d’affaiblir l’alliance américano-sud-coréenne. En effet, l’administration Trump a déjà vu dans l’abandon de certains éléments de cette alliance, comme la tenue d’exercices conjoints, des opportunités de négociation avec le Nord. L’un des objectifs du sommet est de garantir la paix dans la Péninsule. Or, selon lui, si la paix a prévalu jusqu’à maintenant, c’est grâce à la dissuasion, conventionnelle, qu’assure l’alliance entre les USA et la République de Corée.
Le président Moon semble cependant être très optimiste quant aux résultats que ce sommet vietnamien pourrait produire. Il a, en effet, récemment demandé aux Sud-Coréens de se préparer à un possible bouleversement des relations dans la Péninsule coréenne : « Si le sommet à venir produit des résultats, maintenant est le véritable commencement. […] En se tenant au cœur de l’Histoire, et non pas en périphérie de celle-ci, nous prendrons l’initiative dans la construction d’un nouveau régime pour la Péninsule coréenne – un régime qui s’éloigne de la guerre et de la confrontation, pour aller vers la paix et l’harmonie, un régime qui s’éloigne du factionnalisme et de l’idéologie pour aller vers la prospérité économique. »
Image : Kim and Trump shaking hands at the red carpet during the DPRK–USA Singapore Summit. Public domain Wikicommons.