Miracle économique de ces dernières décennies, la Corée du Sud montre aussi son caractère pionnier en termes de politique d’accueil des réfugiés, suscitant le regard intrigué de ses voisins asiatiques. Sa principale avancée par rapport à ceux-ci a été de préciser sa politique d’accueil des réfugiés en juillet 2013, avec l’édition d’un Refugee Act, qui s’est ajouté à la ratification de la Convention de Genève de 1951, relative au statut de réfugié, que le pays a signée en 1992.
Selon le Refugee Act sud-coréen, est considéré réfugié, l’étranger qui ne peut regagner son pays d’origine en raison d’une « peur justifiée d’être persécuté pour des raisons raciales, de religion, de nationalité, d’appartenance à un groupe social ou politique ». Pour les cas de personne fuyant son pays mais ne présentant pas de risque de persécution, le texte définit un autre statut, celui de « déplacé humanitaire », qui diffère par ses conditions d’obtention, mais surtout par les droits auxquels il ouvre. En l’occurrence, un déplacé humanitaire se voit délivrer un visa humanitaire lui accordant la permission de rester en Corée du Sud, s’il justifie de « raisons raisonnables de croire que sa vie ou sa liberté personnelle peuvent être menacées » dans son pays d’origine. Ce statut doit être mis à jour chaque année. Ainsi, les déplacés de guerre syriens et yéménites constituent des déplacés humanitaires, et ne sont pas éligibles au statut de réfugié. Or, si les réfugiés peuvent prétendre à un accès au marché du travail et à la sécurité sociale au même niveau que les Sud-Coréens, les détenteurs du visa humanitaire « peuvent recevoir la permission » du Ministère de la Justice, de travailler en échange de salaire, et ne bénéficient d’aucune assurance médicale.
Se mettre en sécurité, mais pas s’installer
Dans de nombreux pays, cette différence de statut a été nuancée et adaptée, afin de prendre en compte un contexte mondial très différent de celui de 1951 dans lequel est née la Convention de Genève. La Corée du Sud, quant à elle, préfère conserver cette distinction et la définition stricte de chacun des statuts. L’extrême difficulté avec laquelle celui de réfugié est accordé au compte-gouttes (580 réfugiés pour 15 000 demandes depuis 1994, dont trois Syriens seulement), s’expliquerait par la volonté sud-coréenne de s’assurer que ces déplacés de guerre repartiront dans leur pays une fois celui-ci pacifié. Dans ce pays qui privilégie, voire encourage l’accueil d’étrangers d’ethnicité coréenne, on prend soin de ne pas donner l’envie aux autres de s’installer à long-terme, au moyen de ces visas humanitaires annuels. En outre, les attaques terroristes successives qui ont eu lieu en Europe depuis 2015 ont éveillé la crainte des autorités coréennes envers les arrivants en provenance du Moyen-Orient, et en particulier envers les Syriens. Cependant, les associations d’aide aux réfugiés soulignent des progrès dans les politiques d’accueil, avec le départ des conservateurs et le changement d’administration du président Moon.
Les défecteurs Nord-Coréens, ou le retour des enfants prodigues…
Néanmoins, la spécificité coréenne en matière de migration reste l’accueil d’une catégorie de réfugiés bien particulière : les transfuges fuyant la Corée du Nord. Depuis la division de la Péninsule coréenne à la suite de la Guerre de Corée (1950-1953), des dizaines de milliers de Nord-Coréens ont fait défection pour des raisons politiques, idéologiques, religieuses ou économiques.
Selon les estimations du Ministère de l’Unification sud-coréen, les défecteurs présents dans le pays seraient 31 345 en juin 2018. Le flux des réfugiés du Nord entrés au Sud est cependant en forte baisse depuis 2012, ce qui coïncide avec l’arrivée au pouvoir de Kim Jong-un, en décembre 2011. Sokeel Park, qui travaille avec des défecteurs pour l’association Liberty in North Korea, explique que cette baisse pourrait correspondre à des mesures de sécurité accrues à la fois sur la frontière sino-nord-coréenne, mais aussi sur le territoire chinois. Cette évolution pourrait également s’expliquer par l’amélioration des conditions de vie au Nord depuis la grande famine des années 90. En effet si la vie en Corée du Nord n’est plus aussi dure qu’avant, et que le voyage est bien plus dangereux, la défection devient forcément moins attirante.
La méthode la plus courante pour ces réfugiés est de traverser la frontière au niveau des provinces chinoises de Jilin et de Liaoning, puis de rejoindre la Mongolie, la Thaïlande ou le Cambodge, avant d’atteindre la Corée du Sud. Il faut cependant noter que la plupart de ces Nord-Coréens sont originaires des provinces frontalières avec la Chine. La Chine n’est qu’une étape, dangereuse, sur le chemin de ces réfugiés. En effet ce pays ne les reconnaît pas en tant que réfugiés, mais en tant que migrants économiques illégaux. Les forces de sécurité chinoises coopèrent donc étroitement avec la Corée du Nord pour débusquer, arrêter et rapatrier les réfugiés du Nord présents en Chine. Malheureusement, ces conditions précaires les rendent extrêmement vulnérables aux trafics d’êtres humains, mais aussi aux mariages et à la prostitution forcés.
… Mais un retour lourd d’enjeux politiques et sous contrôle
Si la Corée du Sud se félicite de chaque défection qui vient confirmer sa perception du régime des Kim, et qu’elle a mis en place un système d’accueil des transfuges bien rôdé, elle reste prudente sur le retour de ces enfants prodigues. Ainsi, une fois arrivés en Corée du Sud, les défecteurs doivent passer par des interrogatoires poussés des services de police et de renseignement. Ceux-ci veulent ainsi obtenir le plus d’informations possibles sur le Nord, et s’assurer que les réfugiés ne sont pas des agents de renseignement du régime. Ces derniers sont ensuite pris en charge par le Centre d’aide à l’installation pour les réfugiés nord-coréens, couramment appelé Hanawon : « La Maison de l’Unité », pour une durée de trois mois minimum. Outre une cure de désendoctrinement, ils suivent des cours de langue et sont formés à la gestion financière courante.
D’autres structures, gouvernementales ou non, aident également les réfugiés du Nord à s’intégrer plus facilement et plus efficacement au Sud. De telles organisations peuvent apporter, par exemple, une aide médicale ou éducative aux défecteurs. En effet, ceux-ci doivent faire de gros efforts d’apprentissage et d’adaptation pour s’intégrer dans la société sud-coréenne, et les Nord-Coréens espérant accéder à une nouvelle vie, prospère, se rendent rapidement compte que la réalité est malheureusement bien plus compliquée.
Parfois, la désillusion et la nostalgie du Nord
Ostracisés par les Sud-Coréens, qui voient leurs cousins du Nord comme des « barbares pauvres et non-civilisés », beaucoup ont des difficultés à gommer le fort accent du Nord et à appréhender les différences de langage et de vocabulaire, qui sont apparues de part et d’autre de la DMZ en plus de 60 ans de division. Traités comme des citoyens de seconde-zone, ils soulignent également les difficultés qu’ils ont à trouver un emploi décent, ou à se faire des amis, alors que la plupart de leurs connaissances et compétences sont considérées comme dépassées ou non-pertinentes.
La déception de certains défecteurs, face à la réalité d’un pays souvent rêvé, conduit ainsi une partie d’entre eux à ne pas rester au Sud, mais à émigrer aux États-Unis ou en Europe. Une étude du gouvernement sud-coréen a même révélé que presque un quart des Nord-Coréens vivant au Sud avaient déjà pensé retourner au Nord, car ils éprouvent le mal du pays. Certains y sont effectivement retournés. Au moins une vingtaine est d’ailleurs apparue à la télévision nord-coréenne, racontant « l’enfer » qu’ils avaient vécu au Sud. Séoul a accusé Pyongyang d’avoir kidnappé certains d’entre eux, et leurs apparitions étaient très certainement mises en scène. Ce qui est advenu d’eux est cependant inconnu. Les punitions pour les défecteurs rapatriés sont très dures : ils peuvent être envoyés en camps de travail, ou même condamnés à mort. Et lorsqu’ils ne sont pas menacés directement, leur famille peut l’être par média interposé.
Vecteurs d’évangélisation, les transfuges en proie aux missionnaires protestants
Pour certaines Églises protestantes, notamment évangéliques, la Corée du Nord représente, tout comme le royaume coréen de Joseon au XIXème siècle, « la dernière terre à évangéliser ». Ces Églises et les organisations qui y sont rattachées se sont installées le long de la frontière chinoise. Là, elles recueillent les Nord-Coréens qui ont fui leur pays, et leur offrent un logement, de la nourriture et des soins. En échange, les réfugiés doivent apprendre la Bible, et participer aux prières et aux chants. Une fois convertis, les plus convaincus d’entre eux sont renvoyés en Corée du Nord afin d’y répandre la foi chrétienne. Les missionnaires prennent de gros risques en travaillant en Chine, où ce prosélytisme est interdit et durement réprimé. La Corée du Nord accuse donc son voisin du Sud de se servir de ces missionnaires comme espions et d’encourager l’évangélisation du pays pour le diviser et l’affaiblir, incrimination évidemment démentie par Séoul.
Lorsqu’un réfugié, poussé par ses bienfaiteurs, se propose de retourner en Corée du Nord « répandre l’amour de Dieu », les missionnaires lui font apprendre un maximum de versets bibliques. Ils lui donnent également des bibles ainsi qu’une somme d’argent destinée à acheter une maison dans leur pays d’origine, dont le sous-sol deviendra une home church, et accueillera des fidèles pour les offices. D’après certains experts, il existerait environ 500 lieux de culte de ce genre en Corée du Nord.
Au cœur de la bataille hégémonique religieuse
À cause de cette image de cibles d’évangélisation qu’ils représentent, les transfuges reçoivent ainsi l’attention particulière des Églises une fois arrivés au Sud. De même, de nombreuses organisations chrétiennes aident matériellement les réfugiés du Nord, certaines leur apprenne également l’anglais. Hélas, cette aide peut parfois également être intéressée. De nombreuses organisations très anticommunistes et entretenant souvent des liens avec États-Unis, ont pour but de dénoncer le régime « impie » de Kim Jong-un. Des réfugiés sont alors entraînés à s’exprimer, parfois en anglais, et sont rémunérés pour « offrir » leur témoignage partout dans le monde. Toujours très sensationnelle et rehaussée de détails choquants, « leur histoire » ne laisse aucun doute sur la cruauté et la barbarie du régime nord-coréen. De nombreux experts mettent ainsi en garde contre ces témoignages de « défecteurs star ».
La réunification, un devoir religieux pour certains Sud-Coréens
L’unification est un but inscrit dans la Constitution sud-coréenne, et les transfuges venus du Nord étaient autrefois accueillis avec les honneurs. Dans les années 1970 et 1980, ceux-ci étaient célébrés dans tout le pays et recevaient même le titre de « héros ». Mais, en même temps que les espoirs de réunification du pays, les clameurs accueillant les réfugiés se sont éteintes petit à petit, alors que la famine pousse de plus en plus de de défecteurs à quitter la Corée du Nord.
Alors que le Sud devait les accueillir les bras ouverts, ils se trouvent aujourd’hui bien souvent ostracisés, discriminés, et parfois même utilisés à des fins politiques par des groupes religieux ou gouvernementaux. Leur sort soulève ainsi bien des questions, surtout dans le contexte actuel de rapprochement entre la Corée du Nord, la Corée du Sud et les États-Unis. En effet, à quels enjeux sociaux et à quelles forces de ces groupes religieux devra faire face la Péninsule, si celle-ci vient à être réunifiée un jour ?
Image : North Korea – View from China, by Roman Harak. Flickr CC BY-SA 2.0.