QUESTIONNER L’ACTION POLITIQUE DANS LA RECHERCHE DES SOLUTIONS STRUCTURELLES
Les tensions intercommunautaires entre les peuples Teke et Yaka dans la Province du Mai-Ndombe ont occasionné plusieurs morts et des dégâts matériels importants. En République démocratique du Congo, ce conflit soulève une fois de plus la question de la construction de l’unité nationale à l’épreuve des diversités communautaires d’une part et d’autre part, l’enjeu géopolitique des acteurs politiques souvent accusés d’alimenter des conflits intercommunautaires au motif de contrôle des intérêts stratégiques, ou encore de l’accession à l’exercice du pouvoir politique. Cet article tente de mettre en évidence la sédimentation des conflictualités locales en contexte d’émergence des mouvements politico-ethniques et identitaires au sein des populations congolaises.
Construction de l’unité nationale à l’épreuve de la diversité intercommunautaire
Le Congo-Kinshasa un pays multi-ethnique d’Afrique. Il compte un peu plus de 250 ethnies. On y retrouve un enchevêtrement des diverses communautés, parlant parfois des langues différentes et partageant – souvent – un territoire commun.
Du point de vue historique, dans ce pays, les identités se trouvent à la base tant de l’harmonie que des conflits entre groupements humains au niveau national, provincial ou encore ethnoculturel. De ce fait, leur poids sociologique est lourd dans le processus de construction d’une société cohésive. Les efforts fournis dans ce sens trouvent souvent leurs limites dans les pratiques séparatistes ou discriminatoires dont les déterminants peuvent être d’ordre économique, politique voire culturel.
Tous les conflits intercommunautaires qui sévissent au République démocratique du Congo ne menacent pas systématiquement et au même degré l’unité nationale. En effet, il existe des conflits dont l’origine est étroitement liée aux querelles communautaires qui naissent suite à la problématique foncière (contrôle ou accaparement des terres), à la succession traditionnelle, ou encore au repli identitaire, et – le plus souvent – autour des enjeux sociopolitiques.
Si la plupart de ces conflits ne menacent pas l’intégrité territoriale, il n’en demeure pas moins vrai que certains semblent mettre en péril la cohésion nationale. En réalité, l’édification du sentiment de cohésion nationale bute sur certaines pratiques sociales telles que les discriminations, dont l’escalade peut être observable dans les tensions intercommunautaires.
Victimes et bourreaux, rôles interchangeables
En RDC, les discriminations entre communautés n’opposent pas invariablement d’un côté les auteurs et les victimes. Ceux qui sont auteurs dans un cas peuvent devenir victimes dans l’autre. De ce fait, la multitude des acteurs communautaires fait de l’État un objet d’intérêt, mais aussi de luttes où les leaders politiques (voire même les leaders sociaux et religieux) profitant de l’ancrage communautaire (notoriété et fait sociologique) participent au contrôle des moyens d’accession au pouvoir politique, ou encore au contrôle des opportunités économiques locales et nationales.
Quelques exemples précis…
Selon l’étude de l’organisation belge Justice et Paix [1], les conflits fonciers et de succession traditionnelle sont souvent répertoriés parmi les principales causes de violences intercommunautaires, qui parfois débouchent sur des guerres durables. Au départ, ces conflits peuvent présenter des paramètres clairs et gérables, mais à moyen et à long terme, ils peuvent se transformer en un conflit durable quand d’autres facteurs interviennent pour aggraver la situation, comme l’exploitation de ces conflits aux fins politiques ou encore l’esprit de vengeance.
À titre d’illustration, c’est le cas notamment des conflits entre :
Les Hema et les Lendu
Les Hema et les Lendu dans la province de l’Ituri dont les prémisses des violences remontent vers 1999 dans un contexte marqué par la prolifération des groupes armés rebelles, des milices d’auto-défense, des mouvements politico-militaires ainsi que la présence des troupes militaires étrangères. Ces deux groupes ethniques se sont livré pendant longtemps une rude compétition pour le contrôle de la terre [2] (réclamant chacun le droit à la succession traditionnelle ou encore la proclamation du droit du premier occupant) [3]. La lutte entre ces deux communautés s’était même transformée en un phénomène beaucoup plus dévastateur dans la région.
En effet, selon plusieurs informations recoupées, ce conflit communautaire a été récupéré et utilisé à des fins de contrôle des pouvoirs politiques et d’opportunités économiques de la région. Il est établi que ces deux groupes avaient bénéficié chacun de l’appui et l’interférence de forces étrangères plus ou moins visibles. Ce conflit tribal s’est déroulé dans un contexte régional troublé où la rivalité rwando-ougandaise battait son plein et où cette rivalité déclenchait dans la course au pouvoir de Kinshasa (la Province orientale a été l’objet des convoitises du MLC, du RCD/K et du RCD/ML) [4].
Les Bena Nshimba et les Bena Kapuya
Les Bena Nshimba et les Bena Kapuya dans le Territoire de Katanda au Kasaï Oriental se querellent depuis des décennies l’appartenance des terres dans cette région [5]. Ce conflit, qui a causé plusieurs morts, de déplacements des populations et des dégâts matériels a rebondi en 2017 par des cycles successifs des violences.
Minembwe
Bien avant la controverse suscitée par la création de la commune de Minembwe en 2020 par les autorités congolaises (ministères de la Décentralisation et de l’Intérieur), cette localité disputée respectivement par les communautés Babembe, Bafulero et Banyamulenge reste toujours en proie aux tensions intercommunautaires, dont l’enjeu majeur, au-delà de l’acceptation des Banyamulenge par les autres communautés de la région ou encore de délimitation de ladite localité, reste la possibilité pour les Banyamulenge de disposer des terres comme leurs concitoyens et par conséquent, de participer au contrôle des opportunités économiques et sociales de la région par l’exercice du pouvoir politique [6].
Les interférences politiques dans le traitement de cette question suffisent de démontrer à quel point les intérêts sociopolitiques manipulent-ils les sensibilités sociologiques (communautaires) internes dans le but de (re)positionnement géopolitique à des fins de contrôle et d’exercice des pouvoirs publics.
Les Bantou et les Twa
Dans la province du Tanganyika, le conflit identitaire oppose les communautés bantoues et celles de twa (ethnie majoritairement constituée des pygmées). À en croire le journal congolais Actualités.CD [7], depuis plus d’un siècle, ces deux communautés vivaient en relative harmonie avant qu’elles ne se livrent aux affrontements meurtriers provoquant d’énormes dégâts : mort, viols, villages incendiés, importants déplacements des populations… Plusieurs rapports et notes d’analyse de cette situation pointent un doigt accusateur aux responsables politiques (présentés comme des tireurs des ficelles) et leaders communautaires, qui n’ont pas assez agi en faveur de la résolution des facteurs qui seraient à la base de cette explosion de violence, à savoir la marginalisation sociale et politique des peuples autochtones (pygmées twa) et la non-reconnaissance de leurs droits.
En effet, selon un rapport de l’ONG International Rescue Committee (IRC) publié en 2018 [8], le conflit entre les Bantous et les Twa a été exacerbé par le refus de ces derniers de rejoindre la rébellion « Bakata-Katanga » dirigée par la communauté Luba (bantou) du territoire de Manono et qui réclame depuis plusieurs années l’indépendance politique de la région du Katanga. D’après l’IRC, les Twa préfèrent coopérer plutôt avec les Forces armées de la RDC (FARDC) contre les Bakata-Katanga. L’échec des autorités publiques et des forces de sécurité à intervenir rapidement dans la région a entraîné par la suite la formation de milices d’auto-défense pour chacune des communautés protagonistes.
Les Kanwina Nsapu
La très célèbre et triste affaire de Kamwina Nsapu née de la position autoritaire et opportuniste des politiques sur les chefferies traditionnelles a occasionné plusieurs dégâts matériels, des déplacements de la population et des pertes en vies humaines dont celles de deux experts de l’ONU. En effet, dans la chefferie « Kamwina Nsapu » la succession au pouvoir coutumier résulte de la complexité des traditions et des règles communautaires codées par la tradition ancestrale. Cependant, plusieurs rapports accréditent la thèse de l’instrumentalisation du pouvoir coutumier par les hommes politiques[9] par le recours d’une stratégie de dédoublement de l’autorité traditionnelle coutumière[10]. Stratégie qui consiste à affaiblir un chef coutumier peu favorable au pouvoir politique en place, soit en refusant de lui donner un arrêté, soit en reconnaissant un prétendant rival à son titre.
Cette pratique, héritée du colonialisme belge par les nouveaux dirigeants congolais consiste à diviser pour mieux régner au sein des espaces communautaires nationaux, étant donné que l’élément sociologique reste déterminant dans l’accession au pouvoir politique à tous les niveaux (local, provincial ou national) ou au contrôle des opportunités stratégiques. Ainsi, le conflit entre le régime de Joseph Kabila et le Chef Kamwena Nsapu dans la région du Kasaï est né de cette position autoritaire et opportuniste des personnes exerçant le pouvoir de tutelle sur les chefferies.
Les Banunu et les Batende
Les Banunu et les Batende : le conflit entre ces deux groupes ethniques connus principalement par le vocable de « massacres de Yumbi » a, selon les officiels congolais, été commis entre les membres de ces deux communautés à la suite de l’inhumation du chef coutumier Mantoma des Banunu, dans le centre du territoire de Yumbi. Ces massacres, résultant des conflits intercommunautaires et qualifiés de crimes contre l’humanité ont occasionné plus de 535 morts selon le décompte des Nations Unies[11] dans seulement trois villages de Yumbi dont 345 dans le seul village de Bongende à Boyanga. Cependant, la société civile locale, l’opposition politique ou encore les médias locaux avaient estimé que le drame avait une origine politique du fait du scrutin électoral de 2018 (le conflit a éclaté à une semaine de l’élection présidentielle) pour lequel les populations de cette région étaient prêtes à voter le candidat de l’opposition.
Les Teke et les Yaka
En territoire de Kwamouth, dans la province de Maï- Ndombe, des violents affrontements opposent les communautés Téké et Yaka depuis le début le mois de juillet 2022. Selon plusieurs sources locales, des personnes armées se réclamant membres de ces tribus s’attaquent mutuellement à cause d’un conflit foncier de longue date. À en croire ces sources, les membres de la communauté téké accusent les Yaka de refuser de payer la redevance coutumière depuis quelques temps et de fil en aiguille, la situation se serait dégénérée parce que les Téké craignent que les Yaka, qui vivent avec eux depuis plus de quarante ans, ne s’accaparent de leurs terres et ne les occupent[12].
En effet, selon Actualités.CD[13], la cause de ce conflit était au départ le désaccord sur les redevances coutumières notamment sur le montant de tribut à verser aux autorités locales Teke par les non originaires Yaka. Puis, les Yaka ont accusé les Teke de leur imposer le renouvellement après 5 ans, des contrats de vente des espaces forestiers déjà acquis auprès des autorités locales. Les Teke nient cette accusation en renvoyant la balle, les Yaka seraient responsable d’avoir installé des chefs coutumiers en remplacement des autochtones Teke dans certains villages en recourant aux armes. Cependant, plusieurs leaders communautaires et politiques ressortissants de cette partie du pays craignent l’implication d’une main noire extérieure[14] à des fins politiques et géostratégiques.
L’instrumentalisation du pouvoir coutumier à des fins politiques
Au départ de ce bref aperçu de quelques conflits intercommunautaires au Congo, il apparaît clairement que l’instrumentalisation du pouvoir coutumier à des fins politiques, des rivalités interethniques, identitaires ou de contrôle des ressources peut aboutir à des conséquences fâcheuses insurmontables.
En effet, les interférences politiques dans la gestion coutumière sont nombreuses. Elles sont le fait des acteurs politiques à la recherche ou à la consolidation de bases électorales. Dans la dynamique des luttes politiciennes, les bastions sociologiques constituent des terrains stratégiques et d’arrière-plan qui peuvent procurer un (re)positionnement politique stratégique pour tout acteur ou groupe d’acteurs cherchant à obtenir des avantages immédiats et ultérieurs du fait de la politique.
Dès lors, l’on observe à ce jour, au Congo, une recrudescence des conflits à caractère communautaire alimentés souvent par une proximité de fait d’ordre ethnique, socioculturel et politique des communautés nationales partageant un espace vital commun. Cette proximité sous-tend la tendance des conflits à s’exporter au-delà de leurs foyers régionaux ou locaux et à atteindre, par effet de contamination, les autres territoires du pays.
D’où, la dépolitisation de ce genre de problématique peut offrir une voie possible d’apporter des solutions structurelles en vue de l’instauration de la paix et la sécurité durable avec tout aussi une impersonnelle des lois qui encadrent ces questions.
Notes
[1] Justice & Paix. « Conflits fonciers : le mal qui gangrène les terres congolaises ». https://www.justicepaix.be/Conflits-fonciers-le-mal-qui-gangrene-les- terres-congolaises
[2] https://www.hrw.org/legacy/french/press/2001/hemalendu.htm
[3] https://www.radiookapi.net/2022/03/01/actualite/securite/ituri-des-leaders-des-communautes-lendu-et-hema-decident-de-conjuguer
[4] Thierry VIRCOULON, « L’Ituri ou la guerre au pluriel » dans Afrique Contemporaine n°215 P. 129-146.
[5] https://acpcongo.com/index.php/2022/03/24/kasai-oriental-incendie-des-maisons-aux-villages-de-bena-nshimba-et-bena-kapuya-en-territoire-de-katanda/
[6] https://www.dw.com/fr/en-rdc-tensions-grandissantes-autour-de-minembwe/a-55209700
[7] https://actualite.cd/2021/06/10/bantous-twa-ces-conflits-identitaires-qui-dechirent-le-tanganyika-enquete
[8]https://www.rescue.org/sites/default/files/document/1855/focusconflittanganyikafrancaisv5.pdf
[9] Grégoire Ngalamulume « Le phénomène Kamwina Nsapu et la défiance envers l’Etat au centre de la RDC » in Conjonctures de l’Afrique centrale N°97, 2021.
[10] Groupe d’étude sur le Congo, « Mettre le feu à sa propre maison. La crise au Kasaï : la manipulation du pouvoir coutumier et l’instrumentalisation du désordre », 2018. New York, Centre de Coopération internationale.
[11] https://www.dw.com/fr/les-massacres-de-yumbi-qualifiés-de-crimes-contre-lhumanité-par-lonu/a-47896493
[12] https://www.bbc.com/afrique/articles/cj5qp2m4jevo
[13] https://actualite.cd/2022/08/22/conflits-communautaires-entre-teke-et-yaka-lassemblee-nationale-va-egalement-diligenter
[14] https://www.politico.cd/encontinu/2022/09/15/conflit-teke-yaka-lassemblee-nationale-craint-limplication-dune-main-exterieure-et-annonce-une-mission-denquete.html/115677/