Instances religieuses : quel rôle dans la crise politique en RDC ?
Les liens entre religion [1] et politique sont forts en RDC : les instances religieuses n’hésitent pas à participer à la politique du pays. Le rôle des organisations religieuses s’est affirmé depuis la fin de mandat tendue de l’ancien président Joseph Kabila à partir de 2016. Ce rôle est toujours visible aujourd’hui avec la crise politique entre ce dernier et le président actuel, Félix Tshisekedi.
La Conférence Épiscopale Nationale du Congo (CENCO) [2] joue un rôle clé dans la crise politique actuelle. Ainsi, à la fin du mois de janvier 2021, l’abbé Donatien Nshole, secrétaire de la CENCO, a déclaré au site l’Interview.cd : « la CENCO continue à suivre de très près cette scène politique ».
Le catholicisme, déjà « principale force d’opposition » sous Joseph Kabila
Il est important de souligner que l’Église catholique et le pouvoir politique étaient déjà en opposition sous la présidence de Mobutu Sese Seko (1965-1997), puis durant le régime de Laurent-Désiré Kabila (1997-2001). Cependant, la tension actuelle découle d’événements plus récents. À la suite du refus de Joseph Kabila d’organiser les élections présidentielles en 2016, l’Église catholique a organisé de nombreuses manifestations et est devenue la principale force mobilisatrice d’opposition.
La CENCO a en effet chapeauté la signature de « l’Accord de la Saint Sylvestre » fin 2016 entre l’opposition et Joseph Kabila. Il permettait à ce dernier de rester au pouvoir malgré la fin de son mandat s’il s’engageait à organiser l’élection présidentielle en 2017.
En raison du non-respect de cet accord, le Comité Laïc de Coordination (CLC) [3] participe à l’organisation de certaines manifestations que le régime réprime violemment. La police tue même des manifestants pacifiques devant les églises, comme Thérèse Kapangala, abattue devant l’église Saint-François de Sales à Kinshasa le 21 janvier 2018. Joseph Kabila critique l’intervention de l’Église catholique dans la politique, en affirmant : « Jésus-Christ n’a jamais présidé une commission électorale ».
Dans le même temps, des hauts responsables de l’Église protestante, représentée par l’Église du Christ au Congo (ECC), refusent d’appeler à manifester contre Joseph Kabila, qui se revendique protestant. Néanmoins, une partie de l’ECC dont le pasteur François-David Ekofo critique le régime, tandis qu’une des branches du kimbanguisme soutient les manifestations contre Joseph Kabila.
Cheick Ali Mwinyi M’Kuu de la Communauté Islamique en RD-Congo (COMICO) demande aux autorités d’éviter de réprimer la marche des laïcs catholiques en janvier 2018.
Lorsque les élections ont finalement lieu en décembre 2018 dans un contexte tendu, des chiffres issus des documents d’observation électorale de la CENCO montrent que Martin Fayulu serait vainqueur. La CENI (Commission Électorale Nationale Indépendante) annonce quant à elle la victoire de Félix Tshisekedi.
La rupture de la coalition : une crise politique majeure
Félix Tshisekedi a ainsi été élu président en décembre 2018 dans des conditions contestées, tandis que le parti de son prédécesseur (Front Commun pour le Congo, FCC) restait majoritaire au Parlement. Félix Tshisekedi a donc formé un gouvernement de coalition dans lequel Joseph Kabila restait influent : le Premier Ministre, Sylvestre Ilunga (FCC) a été désigné après de longues négociations entre les deux camps.
La crise politique débutée ouvertement à l’été 2020 met fin à la coalition entre les partis Cap pour le changement (CACH) de Félix Tshisekedi et le FCC. Félix Tshisekedi annonce une nouvelle majorité parlementaire appelée « Union sacrée ».
La rupture se concrétise par la destitution, au début du mois de décembre 2020 de la présidente de l’Assemblée Nationale, Jeannine Mabunda, réputée proche de Joseph Kabila.
En janvier 2021, une motion de censure votée contre Sylvestre Ilunga entraîne sa démission. Enfin, en février, le président du Sénat, Alexis Thambwe Mwamba, est lui aussi destitué. Le nouveau Premier Ministre, Jean-Michel Sama Lukonde, ancien directeur général de la société minière d’État, Gécamines, est nommé le 15 février 2021.
La rivalité au sein de la coalition a eu des effets multiples comme la paralysie de l’action de l’État à l’est du pays où sévissent des conflits armés.
Des instances religieuses ont encouragé la rupture de la coalition FCC-CACH
Plusieurs institutions religieuses ont joué un rôle clé dans cette crise. Dès juillet 2020, le cardinal Ambongo (vice-président de la CENCO) appelle dans une homélie à mettre fin à la coalition FCC-CACH qui risque selon lui de plonger le pays « dans le chaos définitif ».
Selon le protestant André Bokundoa-bo-Likabe, président national de l’ECC, la « nation pour laquelle [le président Félix Tshisekedi] est personnellement garant n’appartient pas à une coalition politique bipolarisée ».
Ils reprochent également la tentative du FCC de mettre Ronsard Malonda (accusé d’être pro-Kabila) à la tête de la CENI. Le 2 juillet 2020, l’Assemblée Nationale a validé sa candidature à la tête de la CENI après réception d’un procès-verbal de la « Plateforme des confessions religieuses » [4]. Ce procès-verbal affirmait qu’il aurait été désigné par six confessions religieuses sur les huit que compte ce rassemblement de groupes religieux. Or, la CENCO et l’ECC se sont opposées à la candidature de Ronsard Malonda. L’Église kimbanguiste dénonce une fausse signature sur ce document tout comme les musulmans du COMICO (ces deux groupes étant aussi traversés par des tensions internes).
Des manifestations organisées par plusieurs groupes dont le Comité Laïc de Coordination ont eu lieu en juillet 2020, mais la nomination de Ronsard Malonda a été entérinée. Elle n’a cependant pas été consacrée par une ordonnance présidentielle depuis, ce qui peut laisser penser que Félix Tshisekedi rejette ce choix.
En novembre 2020, la CENCO s’est entretenue séparément avec Joseph Kabila et Félix Tshisekedi. Elle a remis au président un mémorandum dans lequel elle prévient qu‘ « avec la dynamique actuelle de la coalition, nous ne pourrons pas attendre la reconstruction du pays ». La CENCO lui propose son soutien en cas d’initiative correspondant à son objectif de « bien-être du peuple congolais ».
En décembre 2020, le cardinal Ambongo déclare : « Nous espérons que le président de la République aura le courage politique d’arrêter cette coalition » et que « l’Église catholique a contribué à l’instauration de l’alternance politique » en RDC.
Quel rôle pour les instances religieuses dans l’« Union sacrée » ?
La formation de la nouvelle majorité intervient fin janvier 2021 après la démission de Sylvestre Ilunga. Dans l’optique du nouveau gouvernement d’Union sacrée, le CLC a affirmé qu’il souhaitait que les futurs membres du gouvernement prennent l’engagement de ne pas briguer de mandats politiques au cours des prochaines élections présidentielles de 2023. Il a aussi appelé à une « trêve politique » avant ces élections.
Les protestants de l’ECC pourraient eux aussi avoir leur mot à dire dans la nouvelle coalition gouvernementale. En effet, Jean-Pierre Bemba, président du parti Mouvement de Libération du Congo (MLC), et opposant de Kabila, s’est entretenu avec Félix Tshisekedi afin de potentiellement rejoindre sa majorité. Or, le MLC (qui a aussi été un groupe armé) est accusé d’avoir tué des civils dans le « rapport Mapping » [5]. L’ECC avait lancé une campagne de sensibilisation nationale en octobre 2020, accompagnée de manifestations, pour demander justice pour les victimes à l’occasion des dix ans de la sortie du rapport.
La présence dans l’Union sacrée d’un homme politique impliqué dans ce rapport pourrait inquiéter l’ECC, tout comme la CENCO qui avait demandé l’institution d’un « Tribunal pénal spécial pour la RDC » pour poursuivre les responsables évoqués dans ce rapport. Ainsi, la convergence de vues actuelle entre l’ECC et la CENCO renforce le poids politique des instances chrétiennes en RDC.
De son côté, la CENCO est en discussion depuis plusieurs mois avec le gouvernement sur la question de la gratuité de l’enseignement, rendue difficile par le manque d’infrastructures et de moyens. La position de la CENCO sous Joseph Kabila puis Félix Tshisekedi s’appuie sur une volonté de défendre les droits du peuple congolais, sur les enjeux humanitaires, sociaux et même économiques. Comme l’abbé Donatien Nshole l’a résumé : « Nous ne voulons pas voir les intérêts privés primer sur l’intérêt général, dans un pays riche où la majeure partie du peuple est pauvre. La CENCO n’hésitera pas à alerter l’opinion en cas de nécessité. Cette Union sacrée doit tout d’abord privilégier le bien-être du peuple congolais ».
Conclusion
La rupture de la coalition FCC-CACH pourrait encore faire l’objet de changements des rapports de force, bien que Félix Tshisekedi semble prendre le dessus. Malgré leurs points de vue divers, les mouvements religieux, notamment catholiques et protestants, se sont élevés au même moment afin d’éviter que le conflit entre les deux hommes politiques ne déstabilise la RDC.
Les instances religieuses ont montré qu’elles pouvaient avoir un rôle déterminant dans la politique congolaise. Cependant, Félix Tshisekedi aura la lourde tâche de contenter de nombreux intérêts politiques et économiques avec la formation de l’« Union sacrée ».
Notes
[1] Malgré des divergences selon les sources, on peut affirmer que la RDC est composée d’une majorité de chrétiens avec au moins 30 % de catholiques, une part importante de protestants et une hausse de l’évangélisme, notamment du courant pentecôtiste. Le kimbanguisme (Église africaine chrétienne fondée par Simon Kimbangu au Congo belge en 1921), ainsi que l’islam sont des minorités importantes.
[2] Organisation qui rassemble les prélats de la hiérarchie catholique
[3] Une organisation non-religieuse mais dont les membres se désignent comme catholiques et « laïcs chrétiens »
[4] Ces huit groupes seraient la CENCO, l’ECC, l’Église kimbanguiste, l’Union des églises indépendantes du Congo, l’Eglise de Réveil du Congo, l’Église Orthodoxe, l’Armée du salut et le COMICO.
[5] Un rapport de l’ONU sur les violations de droits humains en RDC de 1993 à 2003 publié en octobre 2010.
Image : Cardinal Fridolin Ambongo, archevêque de Kinshasa et vice-président de la CENCO, par François-Régis Salefran, CC BY-SA 4.0