Gérard Prunier, chercheur au CNRS et directeur du Centre français d’études éthiopiennes à Addis-Abeba, nous rappelle qu’« historiens et sociologues ont abondamment démontré que les Tutsis et les Hutus ne constituent pas des tribus ou des ethnies : ils ne sont pas issus de terroirs distincts ; ils partagent une même langue, une même culture, les mêmes références religieuses ». Pourtant, ce rappel semble bien (trop) peu de chose face à la réalité des faits.
Nous sommes dans le parc des Virunga en RDC. Inscrit au patrimoine mondiale de l’UNESCO, celui-ci longe, dans sa partie nord, la frontière de l’Ouganda et notamment le lac Edouard et le Queen Elizabeth Park (Ouganda). Le parc Virunga est également, dans sa partie sud, adjacent aux parcs Nationaux de « Mgahinda » (Ouganda) et « des Volcans » (Rwanda). Cette partie sud est notamment connue pour être le refuge des Gorilles des montagnes, ceux qui subsistent dans la brume de Diane Fossey. Nous sommes également dans une région de la RDC que l’on appelle le Kivu, qui semble magnétiser toutes les tensions qui ébranlent la région des Grands Lacs depuis l’éclatement du génocide Rwandais en 1994.
Charly Kaseraka, correspondant dans la région pour VOA Afrique nous informe dans son article paru le 2 juin 2017 de l’offensive des Forces Armées de la République Démocratique du Congo (FARDC) contre les milices rebelles (FDLR en tête) au sein du Parc Virunga. Cet article est l’occasion de tourner le regard sur les conflits toujours en cours au Kivu, cristallisés par les violences interethniques perpétrées par les différents acteurs. De plus, l’article permet d’envisager les conflits sous l’angle de la menace qui pèse sur les populations et l’écosystème de la région. Cependant, face au champ lexical utilisé (« ratissage » ; « nettoyage » ; etc.) et les informations présentées au sein de l’article, il nous a semblé nécessaire de contextualiser et d’appuyer celles-ci par l’apport de faits non présentés afin de garantir une meilleure compréhension des enjeux.
Les acteurs des conflits en question sont pluriels et agissent à des échelles bien spécifiques. Les ressorts de l’instrumentalisation de l’aspect religieux au travers des différentes échelles et dans le but d’alimenter les griefs sont de plusieurs natures : c’est la rhétorique de l’autochtone face à l’étranger, du Tutsi face au Hutu, du Kivutien face au Congolais.
Aux sources des conflits : la rhétorique de la haine de l’autre
Dans cette logique, il existe de nombreux groupes et milices locales et régionales. D’abord, les milices Maï-Maï renvoient à une multitude de milices d’auto-défenses présentes dans toute la région et dont l’identité s’est formée autour d’un principe dit « autochtone ». C’est-à-dire autour d’une identité surgie de la terre et en opposition aux « étrangers », ici majoritairement Rwandais et par extension Tutsis. Les milices Maï-Maï, qui par la force des choses sont devenues offensives et non plus seulement défensives, sont aujourd’hui alliées aux FDLR dans une logique de rejet, contre les Tutsis du CNDP (voir ci-après).
Les FDLR, Les Forces démocratiques de libération du Rwanda, sont nées du regroupement des derniers FAR (Force armée Rwandaise) et des miliciens Interahamwe exilés dans les forêts du Kivu à la suite du génocide Rwandais en 1994. Ces deux entités sont considérées comme les acteurs centraux et principaux du génocide perpétré par les Hutus contre les Tutsis et les Hutus modérés. Le groupuscule politico-religieux FDLR qui en résulte a basé toute son action et sa propagande de libération du Rwanda sur une prophétie chrétienne obscure. Aujourd’hui, il est accusé d’exactions innommables perpétrées dans la région, allant de massacres et meurtres aux viols comme arme de guerre jusqu’à l’« esclavage sexuel, inceste forcé et cannibalisme » selon Yakin Erturk, envoyé spécial de l’ONU dans la région en 2007.
L’opposant « historique » du FDLR est le CNDP (Congrès national pour la défense du peuple) : force politico-militaire Tutsi « rwandophone » et « d’identité » congolaise (Bayamulenge), proche des Tutsis Rwandais et plus précisément du APR (Armée Patriotique Rwandaise) de Paul Kagame, actuel président du Rwanda, qui repoussa les FAR (Forces Armées Rwandaises) du pouvoir hutu installé à Kigali depuis l’indépendance en 1962. Le CNDP, au travers de son chef Nkunda, joua également un rôle non négligeable dans le renversement de Mobutu par Laurent Désiré Kabila en 1997, ce dernier étant aussi soutenu par le Rwanda.
En 2009, dans le cadre de l’accord de paix du 23 mars qui fait suite à l’arrestation de Nkunda, la milice intègre les FARDC (Forces Armées de la République Démocratique du Congo) qui issues des FAZ (Forces Armées Zaïroises) de Mobutu renversé en 1997. Cependant, en avril 2012, d’anciens membres du CNDP se mutinent et créent le groupe M-23, en référence aux accords du 23 mars 2009, dans le but d’éradiquer les derniers génocidaires hutus des FDLR encore cachés dans les collines du Kivu. Une hypothèse fait état de l’implication du Rwanda dans la mutinerie du M-23 qui ainsi consolide ses positions économiques dans l’Est de la RDC. Le groupe rebelle prend en novembre 2012 la capitale provinciale de Goma sous les yeux de la mission de l’ONU désarmée.
La MONUC, Mission des Nations Unies au Congo, avait pour but, entres autres, « d’utiliser ses moyens de surveillance et d’inspection pour empêcher les groupes armés illégaux de bénéficier d’un appui provenant du trafic des ressources naturelles ». Cette mission qui est devenue la MONUSCO en 2010, a pour but désormais « d’appuyer les forces armées de la République démocratique du Congo dans la lutte contre les groupes rebelles, les groupes armés, les Forces négatives». Ce ne serait guère un euphémisme de dire que cette mission de l’ONU, la plus coûteuse de son histoire, est un vaste échec.
Cependant l’organisation des opérations sur le terrain mais également le maintien d’une instabilité régionale se joue aussi en dehors de l’échelle locale et du terrain du Kivu lui-même.
L’instrumentalisation de la haine à des fins politiques
Tout d’abord comme nous l’avons déjà évoqué, le Rwanda a joué et joue un rôle central d’une part car la déstabilisation du Kivu est une résultante de ses problèmes internes mais aussi et surtout car le Kivu est central pour Kigali tant pour sa sécurité que pour s’approprier des terres et des ressources minières.
L’Ouganda est également impliqué dans le conflit par ses intérêts miniers mais aussi car les conflits dans la région de l’Ituri, au nord du Kivu, abrite les groupes et milices armées présentés précédemment et l’ADF (Allied Democratic Forces), milice armée Ougandaise islamiste opposée au président Museveni. Enfin, l’Ouganda s’est impliqué en soutenant les Tutsis du Kivu, à l’instar du Burundi.
Cependant cette ambivalence alimentée par l’ingérence de Kigali, de Kampala et dans une moindre mesure de Bujumbura, additionnée au désintérêt de Kinshasa et de l’éloignement de la région par rapport à la capitale, entretient l’hostilité voire la haine que se portent des groupes ethniques qu’un rien partage.
Parallèlement à cela, une rivalité régionale vient nourrir le conflit : l’Angola, fort de sa rente pétrolière fragile mais puissante, entend dans son soutien à la RDC, concurrencer le Rwanda dans la région du Kivu, riche en matières premières et par là même concurrencer l’une des puissances émergentes du continent. A une échelle continentale voire même mondiale, il est aisé de voir l’implication des puissances du monde dans les mains même des miliciens, adultes ou enfants qui portent des fusils d’assaut R4 sud-africains, des Uzi belges et des kalachnikov, ou encore de les voir dans les composantes des téléphones portables ou aux doigts des jeunes mariées.
Au bout du chemin : des hommes, des femmes… la fin de la vie
Pour conclure, il semble nécessaire voire vital de rappeler que derrière tout ceci, il y a des hommes et des femmes. Cette multitude de conflit, cette guerre, dure depuis 23 ans. 23 années d’un quasi mutisme médiatique et qui pourtant a coûté la vie à plus de 6 millions de personnes. Plus de 4 millions de déplacés, des camps de réfugiés saturés, des tissus sociaux déchirés, des centaines de milliers de viols, que l’on pratique comme une arme, au nom de la haine ethnique érigée en principe et la consommation comme raison légitimante.
Image : Fighting between FARDC and M23 in Kanyaruchinya, Goma, the 15th of July 2013. © MONUSCO/Sylvain Liechti