Un îlot de paix au centre d’un océan de guerre, c’est généralement ainsi que l’on définit l’île d’Idjwi, goutte de terre de 310 km2 au milieu du lac Kivu, à la frontière de la RDC et du Rwanda. Cependant, ce prétendu éden assiégé souffre de son statut qui l’isole et qui maintient ses habitants dans une extrême pauvreté.
De la marginalisation des peuples autochtones
Dans cet article paru dans le journal Le Monde le 25 septembre, Sarah Vernhes revient sur la réalité quotidienne des communautés pygmées de RDC (représentant environ 5 % de la population de l’île d’Idjwi), une marginalisation que l’on pourrait généraliser à la région des Grands Lacs dans son ensemble. Cet article fait écho à la parution d’un rapport de l’ONG Survival International dénonçant les violences commises dans la région à l’encontre des communautés pygmées au noms de la préservation des aires naturelles protégées. Sarah Vernhes revient sur le quotidien des communautés principalement par les champs lexicaux de la lutte (« survie » ; «subsistaient » ; « combat » ; « affamés » ; etc.), de la pauvreté (« misérables » ; « pieds nus » ; « malnutrition » ; «misérables » ; etc. ) et autour d’une contextualisation extrêmement naturalisée (« à la fraîcheur de l’aube » ; « L’horizon n’est plus qu’un tableau de nuances de bleu » ; « les nuages cotonneux grignotent le sommet des montagnes » ; etc.)
Il est symptomatique de remarquer que l’article débute par une évocation des fables et de la mythologie entourant le peuple pygmée, une référence à l’Iliade d’Homère plus qu’hasardeuse puisque les Pygmées du récit de la guerre de Troie semblent se situer « au-delà de l’océan », aux sources du Nil pour Aristote et en Inde pour Ctésias de Cnide. Plus généralement, les peuples autochtones dans leurs ensembles sont d’abord définis par les références à un état de nature passé et révolu, rappelant les théories sur l’état de nature et le racisme qui en découlé. Les Pygmées, comme bien des peuples autochtones en Afrique et dans le monde, dans toute leur diversité, sont définis d’abord par des traits culturels communs et spécifiques mais souvent en dehors de la société, en dehors de l’Histoire et sont devenus aujourd’hui, des images, presque des icônes de la primitivité. Cependant le fantasme ne doit pas omettre le présent de ces communautés, empreint d’une grande marginalisation.
Les droits des peuples autochtones, les droits de l’Homme
« L’homme naturel n’est ni antérieur, ni extérieur à la société. »
Claude Levi-Strauss, Tristes tropiques, 1955
Rappelons donc à cet effet que tout est impermanent et que rien n’est arrêtable. Il n’existe dans aucun coin reculé du monde un territoire accueillant de société ayant cessé, culturellement, d’avancer. Ces croyances et représentations du monde occidental sur les concepts d’évolution et de développement, des peuples autochtones garants de valeurs traditionnelles que nous aurions oubliées et qui s’opposent à notre « modernité », ont mené au fil de l’Histoire à de tristes et tragiques extrémités. Il n’existe qu’un seul monde, une seule planète qui tourne pour chacun d’entre nous dans le même espace-temps et bien que les peuples autochtones soient souvent représentés et présentés comme des peuples proches de la nature il n’en reste pas moins que l’existence de ces communautés est d’abord marquée par une marginalisation sociale multiforme.
Malgré, par exemple, que les communautés pygmées de RDC, comme du Congo-Brazzaville, du Gabon, du Cameroun, du Rwanda, du Burundi, de la Centrafrique, de l’Angola et de la Guinée Équatoriale aient adopté un mode de vie sédentaire, elles souffrent aujourd’hui d’une dynamique d’exclusion de chacun des pans de la société : l’accès à la propriété leur est impossible, tout comme l’accès à l’éducation, à la santé, au droit, à la justice, etc… Une somme de défis sociaux et non pas de question de place dans l’Histoire mais qui sont cependant justifiés par l’appartenance ethnique.
Une marginalisation causée par l’appartenance ethnique, mais pas seulement
La journaliste le rappelle dans son article en prenant l’exemple du salaire pour une journée de travail aux champs, « 500 francs congolais (0,46 euro) contre 1 500 (1,38 euro) pour les Bahavus »… qui représentent 95% de la population de l’île de Idjwi. Sarah Vernhes prend également comme exemple l’accès à l’éducation, gratuite et obligatoire en RDC, mais qui exclut notamment les membres des communautés pygmées par le prix des primes à régler au fil de l’année. Ces deux exemples distincts sont d’une grande importance car l’exclusion est due dans le premier exemple à l’appartenance ethnique et dans le second exemple à une marginalisation économique (qui n’exclut pas seulement les Pygmées) : ce sont deux logiques de notre monde qui s’articulent et créent la marginalisation qui alimente l’exclusion. En cela, la situation des Pygmées de la région des Grands Lacs s’apparente à celle des autres groupes comme les Maasaï et les Ogiek (Kenya et Tanzanie) ou encore par exemple les San de l’Afrique Australe (Botswana).
Image : Idjwi sunset, By Julien Harneis, Flickr, CC BY-SA 2.0