Nous publions avec son autorisation le texte de Bruno Kasonga Ndunga Mule, journaliste politique membre du réseau de l’Obseravatoire Pharos. Il revient sur les derniers développements politiques en République démocratique du Congo, confrontée à plusieurs menaces sécuritaires et à la réticence du Président Kabila à organiser des élections. Dans ce contexte, les mobilisations citoyennes impulsées notamment par les communautés catholiques et protestantes rappellent le rôle de certaines Eglises dans la défense des droits de l’Homme et la promotion de la démocratie dans la région.
La République Démocratique du Congo est un pays qui était classé jusqu’il y a peu comme un Etat post-conflit. Il bénéficiait à cet effet d’un état de grâce et d’un statut spécial qui lui attiraient la sympathie de toutes les organisations internationales. Les différentes guerres qu’il a connu entre 1994 et 2005 ont occasionné d’innombrables victimes. Certaines organisations sérieuses estimaient à plus ou moins 6 millions des morts. Nombreux pays se sont montrés assez coopératifs pour l’accompagner dans la recherche de la stabilité.Porté à bout des bras par la communauté internationale, les élections y ont été organisées en 2006 et 2011. Elles étaient généreusement financées par nombreux pays et à l’occasion une lourde dette de quelques dizaines des milliards a été effacée. Ces élections avaient pour objectif d’installer des institutions qui permettraient de stabiliser le pays. Joseph Kabila en fut le principal bénéficiaire. Jadis un des officiers à peine connu d’une rébellion qui chassa le Maréchal Mobutu du pouvoir, Joseph Kabila sera élu président de la République pour deux mandats consécutifs.
Défaut démocratique et dégradation de la situation sécuritaire
La nouvelle constitution adoptée en 2005 précisait que les deux mandats étaient non renouvelables. Dans ces conditions, Joseph Kabila devait organiser des élections générales permettant de faire élire son successeur et enfin quitter le pouvoir en décembre 2016. Il n’en sera pas ainsi. Cependant, le premier couac survint en 2011, lorsque le régime organisa uniquement les élections présidentielles et législatives nationales. Pas d’élections locales pourtant inscrites dans la Constitution et dans la loi électorale. Pas des législatives provinciales, ni non plus les sénatoriales. Conséquence, les parlements provinciaux et le Sénat siègent illégalement depuis 2011, soit sept années sans mandat formel. C’était en quelque sorte le premier signal qui aurait pu ouvrir les yeux de tous sur les intentions cachées du pouvoir !
Fort de ce précédent qui n’avait entraîné aucune réaction de la communauté internationale, le régime de Kinshasa se crut autorisé à ne pas convoquer le scrutin en 2016. Les budgets consacrés aux élections furent affectés à l’achat des armes et du matériel de répression ou du maintien de l’ordre. Depuis lors, le pouvoir avait entrepris de vouloir mettre en place des formes de dialogue avec l’opposition, prolongeant ainsi de fait son mandat. Sur trois dialogues organisés, le dernier présidé par les évêques catholiques aboutira aux « Accords de la Saint-Sylvestre » de décembre 2016 qui recommandaient l’organisation des élections en 2017. Mais le pouvoir ne les respectera point.
Groupes rebelles et marginalisation de communautés
Le second pays le plus vaste d’Afrique traverse depuis lors une période très tumultueuse. Celle-ci est caractérisée par des affrontements entre les groupes rebelles originaires de l’Ouganda au nord-est, ainsi que l’insécurité généralisée qui sévit dans la province du Nord-Kivu, plus spécifiquement dans la région de Beni-Lubero. Nombreux morts civils y sont recensés chaque semaine sans que l’identité des auteurs soit formellement établie.
La situation est aussi volatile dans l’Ituri, le Maniema, le Nord-Katanga, ainsi que dans le Sud-Kivu où les différents mouvements rebelles assimilés aux Maï-Maï sont très actifs autour des sites d’exploitation artisanale de l’or et du coltan. D’autre part, la paix n’est pas totalement revenue dans le centre du pays où l’armée engagée sur des nombreux territoires. Jusqu’à la fin de l’année 2017, les Forces Armées Congolaises étaient confrontées à la rébellion des sujets du chef traditionnel Kamuina Nsapu tué lors de l’assaut de cette dernière dans la province du Kasaï-Central. On évalue à plus de 5 000 morts le nombre des victimes, une centaine de fosses communes, tandis que près de 2,5 millions d’habitants se sont déplacés pendant la période des troubles. Deux experts des Nations-Unies, un Américain et une Suédoise, y ont été tués sans que les enquêtes qu’ils conduisaient ne puissent aboutir.
2018 : l’année de toutes les incertitudes
Les Congolais ont terminé l’année 2017 sans savoir comment le monde politique allait trouver l’unanimité pour les conduire jusqu’aux élections tant attendues. Les Accords de la Saint-Sylvestre n’étant que partiellement appliqués, les institutions qui l’accompagnent sont toutes hors mandat, y compris l’institution « Président de la République ». Toutes les tentatives de contestation par voie de presse n’ayant obtenu une quelconque attention, les opposants se sont lancés dans des manifestations de rue qui ont été sévèrement réprimées dans le sang. Les partis politiques se sont retrouvés divisés d’un côté suite à la corruption de certains acteurs politiques et de l’autre côté affaiblis par la démobilisation de leurs membres du fait de la violence que leur opposent les forces de l’ordre.
Catholiques, protestants puis musulmans se mobilisent
C’est alors que surgira d’une manière inattendue l’Eglise Catholique à travers son Comité de coordination des Laïcs Chrétiens (CLC) pour remotiver la population et lancer des manifestations. La première eut lieu le 31 décembre 2017 et a été réprimée sans pitié. Un bilan fait état de sept morts à Kinshasa et un à Kananga (Kasaï-Central), en plus de nombreux blessés. Plusieurs extorsions des biens ont été signalées, ainsi que des attaques des lieux des cultes. C’était du jamais vu dans l’histoire du pays de voir les forces de l’ordre pénétrer dans les lieux de culte pour empêcher les fidèles de prier.
Cependant, loin de se décourager, la population n’a pas reculé face à la sévérité de la répression, remobilisant plus significativement encore pour une seconde marche qui a eu lieu le dimanche 21 janvier dernier. Bilan : six morts, de nombreuses arrestations dont des prêtres maltraités. L’élément nouveau et qui marque un tournant irréversible dans l’évolution de la contestation demeure la participation des fidèles des Eglises Protestantes. Elle a été suivie par les fidèles musulmans. Les observateurs remarquent que ces manifestations et leur répression systématique ont réveillé le peuple congolais que l’on croyait moins mobilisable qu’au Burkina, par exemple.
Les membres du CLC qui ont la charge d’organiser ces manifestations sont très recherchés par la police, suite à un mandat d’arrêt qui a été émis contre par le pouvoir. Ils sont désormais entrés en clandestinité. Ce qui ne les a pas empêchés d’annoncer depuis leur cache l’organisation de nouvelles manifestations pour les dates du 4 février et une autre pour le 16 février prochain. La dernière date rappelle symboliquement la première marche des chrétiens contre le régime du Président Mobutu qui avait fermé la Conférence Nationale où se discutait alors l’avenir du pays.
Il est tout à fait clair que l’Histoire de ce pays est en train de s’écrire sous nos yeux. Plus Joseph Kabila s’entête, se montre très ferme et réfractaire à tout partage du pouvoir, ou à la remise en cause de ses options, plus la population semble se radicaliser et déterminée à affronter les forces de l’ordre. Le peuple congolais est convaincu qu’il est du bon côté. De la même manière qu’il était venu à bout de la dictature de M. Mobutu qui régna sans partage pendant 32 ans, il viendra à bout de ce nouvel apprenti dictateur, de surcroît très impopulaire, après avoir perdu sa base du Katanga.
N’empêche, ni les interruptions intempestives des réseaux sociaux qui énervent plus les milieux d’affaires que les simples citoyens, ni la propagande des médias publics, ne pourront venir à bout de la volonté d’un peuple de se libérer. Quoi qu’il en soit, le chemin vers la démocratie reste long et difficile, mais les Congolais sont convaincus qu’ils y parviendront. N’en déplaise aux usagers des kalachnikovs !
Bruno Kasonga Ndunga Mule
Image : Marche du 21 janvier 2018 devant une base de la MONUSCO, By MONUSCO Photos/Daniel Wangisha, Flickr, CC BY-SA 2.0