Philippe Hugon, éminent directeur de recherche spécialisé du continent Africain, rappelle dans son livre Géopolitique de l’Afrique combien politique et religion sont liées… De par sa puissance légitimante et donc mobilisatrice, la religion investit les interstices spatiaux et mentaux laissés vacants par l’Etat et devient par là même, un espace de violence.
Fin avril, Joan Tilouine, journaliste à Le Monde, ancien journaliste Freelance pour RFI puis JeuneAfrique, publie Au Kasaï un conflit coutumier qui dégénère en sale guerre dans le journal Le Monde. L’auteur revient au fil de son article sur les affrontements qui opposent le groupe Kamuina Nsapu aux forces de police et militaire du Congo dans un contexte politique national instable.
Le spectre du Kivu
Au Kasaï, région du centre de la RDC regroupant plusieurs provinces à la frontière de l’Angola, la réalité des faits semble donner raison à l’équation de Philippe Hugon. Dans cette région souvent oubliée et définie comme favorable à l’opposition, germe sur le terreau du mécontentement et de la haine ethnique, une insurrection contre le pouvoir de Kabila qui en 2015 réforme le statut des chefs coutumiers. Par cette manœuvre qui sert les notables affiliés au Parti du peuple pour la reconstruction et la démocratie (le PPRD, au pouvoir), Kinshasa gagne le pouvoir de faire ou de défaire les chefferies coutumières.
Dans cette région du Kasaï qui vit naître Patrice Lumumba, figure de l’indépendance du Congo et « héros national », une rébellion née quand le gouverneur de la province et plus généralement le gouvernement central de Kinshasa refuse le titre honorifique de Kamwina Nsapu (chef des Bajila Kasanga, un clan de la tribu Lulua) à Jean-Pierre Mpandi. Anciennement en exil après avoir été condamné dans les années 2000 pour une escroquerie dans une affaire de commerce de diamants, Jean-Pierre Mpandi exerce alors une fascination mystique presque hypnotique sur les membres du clan, qu’il protégerait du mauvais sort. La révolte populaire, aussi bien rurale qu’urbaine, alimentée par des griefs coutumiers gagne en ampleur jusqu’en août 2016 où Mpandi est assassiné dans un affrontement avec le gouvernement.
Déchaînement de violence
Depuis cette date, les exactions se multiplient et l’ONU pointe les « atrocités commises par les miliciens », qui ont enrôlé de nombreux mineurs dans les zones diamantifères de la région, ce qui laisse un goût de fer dans la bouche et fait craindre une exploitation illégale qui alimenterait le conflit. De même, l’ONU dénonce « l’usage disproportionné de la force » par les militaires congolais. L’escalade de la violence ce met en marche à mesure que les massacres et les exécutions se succèdent dans un contexte confus.
les politiques locaux attiseraient la haine en assénant que les miliciens épargnent les Luba et sélectionnent leurs cibles en fonction de leur ethnie : cela aurait été le cas fin mars, lors du massacre d’une quarantaine de policiers. Conjointement, plus d’une quarantaine de fosses communes, dont Kabila a toujours nié l’existence, ont été mises à jour par les Nations unies, dont les deux envoyés sur le terrain, Michael Sharp et Zaïda Catalan, ont été assassinés en mars par les miliciens sûrement peu enclins à laisser l’organisation découvrir ses sources de revenus tachées de sang.
Divide ut regnes
Cependant, le désordre sécuritaire symbolisé par le million de déplacés à l’intérieur du pays et les quelques dizaines de milliers d’habitants qui ont quitté leurs foyer pour rejoindre l’Angola, grand allié du régime de Kabila, n’est en rien un gage de déstabilisation pour Kabila. Au contraire, Kabila, qui jouit depuis décembre d’un troisième mandat illégitime, se nourrit du contexte et a réussi à scinder et diviser l’opposition et à se rapprocher dans le même temps de l’église catholique. Il semble difficile alors d’envisager comment les élections promises pour fin 2017 pourront avoir lieu.
Image : MONUSCO