Les autorisations d’absence des agents hindous à La Réunion, une fausse bonne nouvelle
L’instruction vient d’être donnée. Les agents publics hindous de La Réunion peuvent enfin bénéficier d’autorisations d’absence pour motif religieux. D’après un communiqué du Collectif pour l’introduction de l’hindouisme dans la circulaire FP 901, le préfet de La Réunion invite, dans un courrier daté du 17 juillet 2023, les responsables des services publics à étudier les demandes des agents qui souhaitent consacrer une journée à la pratique du culte hindou. Cette annonce, au parfum de réjouissances, doit toutefois être nuancée. Il s’agit en réalité d’une fausse bonne nouvelle. D’une part, cette extension au profit du culte hindou n’apporte aucune innovation dans le fond. La règle valait déjà pour toutes les confessions. D’autre part, l’autorisation d’absence pour motif religieux reste, malgré tout, soumise à un éventail de paramètres.
Les autorisations d’absence pour motif religieux communes à toutes les confessions
Le préfet de La Réunion souligne avec insistance la prise en compte des autorisations d’absence des agents hindous. Or, la disposition valait déjà pour toutes les confessions.
Une disposition conciliant les devoirs professionnels et religieux de l’agent
Tenu d’un devoir de neutralité, l’agent public n’en reste pas moins un sujet libre de ses croyances religieuses. Dans la sphère de sa vie privée, tout individu peut exercer un culte individuel et collectif. Parmi les aspects de sa pratique, figure la participation aux fêtes religieuses. Reste que le calendrier de la République s’accommode du calendrier des fêtes chrétiennes. Ces dernières bénéficient alors d’une reconnaissance par le biais des jours fériés. Ce qui n’est pas le cas des fêtes des autres confessions.
Parmi les tentatives pour contourner l’obstacle calendaire (la proposition de l’amendement Bareigts par exemple), l’autorisation d’absence pour motif religieux demeure, à ce jour, la disposition juridique la plus concrète en termes de conciliation entre les contraintes professionnelles de l’agent et les exigences qui lui proviendraient d’un culte non favorisé par le calendrier. Ainsi, l’agent public peut effectuer une demande d’autorisation d’absence spéciale pour motif religieux lors d’un jour ouvré.
Le caractère général de l’autorisation d’absence pour motif religieux des agents
Consacré par la circulaire FP/901 du 23 septembre 1967 et complété par la circulaire du 10 février 2012, l’octroi d’autorisations d’absence pour motif religieux fait bénéficier à l’agent public de journées de libre afin de participer à des cérémonies religieuses. La circulaire de 2012 a ceci de particulier qu’elle contient, en annexe, une liste de fêtes relevant, elles-mêmes, d’une liste de cultes précis. Cette liste n’est, cependant, pas à prendre au pied de la lettre. La disposition vaut pour toutes les confessions. Le Conseil d’État [1] et le Défenseur des droits l’ont d’ailleurs confirmé : toute interdiction d’absence relative aux fêtes de confessions non visées par la circulaire constitue une erreur de droit.
Eu égard au caractère général de l’autorisation d’absence pour motif religieux, la déclaration du préfet de La Réunion du 17 juillet 2023 paraît surprenante. En effet, elle peut sous-entendre qu’auparavant, les agents hindous des services publics de La Réunion ne pouvaient prétendre à des autorisations d’absence sur le fondement de leur croyance. Ce qui, si l’on se réfère à l’esprit de la circulaire, ne devrait pas être le cas.
L’utilité du courrier préfectoral pour les agents hindous des services publics de La Réunion
De ce fait, on peut imaginer que la fameuse lettre servira, à tout le moins, de guide pour les chefs de service peu aguerris en matière de laïcité. En effet, il n’est pas rare d’assister à des refus d’autorisation d’absence à l’aune du principe mal compris de la laïcité qui, au regard de certains responsables, oblige l’agent à faire abstraction de toute considération religieuse susceptible d’altérer son travail. Il est même possible que, par crainte, beaucoup d’agents optent pour la pose de congés ou de RTT afin d’assister à un rassemblement religieux, au lieu de demander une autorisation d’absence spéciale.
La lettre du 17 juillet 2023 peut également se justifier en raison du contexte statutaire et singulier de l’île de La Réunion. Si, conformément à l’article 73 de la Constitution, les lois et règlements français s’y appliquent de plein droit, les caractéristiques propres à l’île permettent une adaptation normative. Mais à la différence des autres territoires d’Outre-Mer, La Réunion se veut la plus proche des normes françaises. Cette proximité avec le modèle français, que des universitaires assimilent à un régime de curatelle, a sans doute constitué un frein à la prise en compte, dans les services publics de La Réunion, de cultes estimés comme minoritaires dans l’Hexagone. L’on peut donc déduire qu’à La Réunion, les autorisations d’absence des agents hindous n’étaient pas systématiques, alors que la confession y est populaire.
En fin de compte, le courrier du préfet peut être interprété comme une disposition légitimant le culte hindou au sein des services publics. Faut-il encore que les paramètres propres au service public soient favorables aux autorisations d’absence pour motif religieux…
L’effectivité relative des autorisations d’absence pour motif religieux
L’autorisation spéciale d’absence pour motif religieux dépend de plusieurs paramètres.
La nature des circulaires de 1967 et de 2012 : une faible assise juridique pour l’agent des services publics
La première limite tient à la nature même des dispositions normatives qui consacrent la disposition. De valeur infra-règlementaire, les circulaires du 23 septembre 1967 et du 10 février 2012 offrent à l’autorisation d’absence pour motif religieux une assise peu solide. L’autorisation d’absence peut donc être contrecarrée par des dispositions règlementaires ou législatives contraires. La faiblesse desdites circulaires est perceptible dans leur contenu puisqu’elles n’imposent aucune obligation aux responsables des services publics. Tout au plus, elles se limitent à recommander une prise en compte des demandes faites sur le fondement religieux.
En réalité, le caractère non impératif des circulaires de 1967 et de 2012 sauvegarde la continuité des services publics d’un excès d’absences du personnel. La valeur relative des circulaires de 1967 et de 2012 offre in fine un pouvoir considérable aux chefs de service. Libres de leur appréciation, les chefs de service peuvent invoquer divers arguments pour refuser des autorisations d’absence.
Le formalisme propre aux demandes d’autorisations d’absence
Un service peut rejeter une demande en cas de non-respect du formalisme propre à la demande d’autorisation d’absence. Il peut en effet être requis du demandeur qu’il réponde à des conditions de forme procédurale [2]. L’administration peut également refuser une autorisation en raison du délai, trop proche, entre la demande et la date des festivités [3].
Des autorisations d’absence soumises aux nécessités du service
Les chefs de service peuvent refuser une demande d’autorisation d’absence au nom des nécessités du service. L’on imagine aisément que les autorisations dépendent du service dont relève l’agent. Les contraintes de ce dernier sont plus fortes dans les services permanents [4] et dans les domaines où un service minimum doit être garanti [5]. Sont également contraints les agents relevant de services touchant aux fonctions régaliennes de l’État, à l’instar des missions de défense nationale [6] ou encore des fonctions qui exigent une particulière soumission à la hiérarchie, ainsi qu’un devoir de réserve [7].
Plus généralement, l’agent peut essuyer un refus au regard de sa fonction. Les responsabilités qui sont les siennes peuvent exiger une présence accrue au sein du service. Pareillement, il se peut que des dates d’absence sollicitées par l’agent soient jugées incompatibles au fonctionnement du service public, lequel requiert à la même période une présence constante des agents [8].
Quoi qu’il en soit, les motivations ouvrant droit à des refus à l’aune des nécessités du service public sont nombreuses. Et le contexte actuel de crise du service public n’est pas plus propice aux autorisations d’absence. Il est plus probable que le phénomène de désertion des postes conduise à limiter les autorisations d’absence des agents.
Des autorisations d’absence soumises à des considérations subjectives
Les chefs de service peuvent tomber dans la tentation du refus sur le principe de « l’autorisation au cas par cas ». Beaucoup de responsables font une application stricto sensu de l’annexe de la circulaire de 2012. Ils estiment que seules les fêtes énoncées sont susceptibles d’une autorisation d’absence. En conséquence, des agents adeptes de cultes non populaires sont sujets à davantage de refus que les autres. Tel est le cas des cultes considérés comme sectaires.
Et quand bien même le culte concerné serait populaire, il n’est pas impossible qu’un supérieur hiérarchique émette un refus. Ce dernier pourrait considérer que la fête en question ne figure pas dans la liste. S’agissant du culte hindou, le préfet de La Réunion suggère la prise en compte des fêtes cavadee, navarati et puthandu. Certains chefs de service pourraient insidieusement arguer que seules ces trois fêtes hindoues peuvent justifier une autorisation d’absence. Or, rien n’empêche les agents de demander des absences pour les autres fêtes hindoues (le pandialé, pongol, etc.). On le rappelle : la liste des confessions et des fêtes citées n’est qu’indicative.
En réalité, l’issue des demandes dépend du degré de bienveillance des chefs de service vis-à-vis de leurs agents. L’octroi des autorisations est aussi une question de sensibilité à l’égard des croyances d’autrui.
Conclusion
En somme, cette annonce aux allures de victoire ne doit pas faire oublier la réalité du service public. Les obligations professionnelles restent prioritaires. Divers défis attendent les demandeurs d’une autorisation d’absence. Il peut s’agir des nécessités du service ou du respect d’un formalisme. Il peut s’agir aussi de la libre appréciation de chefs de service. Certains appréhendent difficilement le principe de laïcité dans le service public. D’autres pourraient manquer de bienveillance à l’égard des croyances religieuses.
Plus encore, le courrier souligne en filigrane que, pour ce qui est du pluralisme religieux, la tâche reste ardue. Elle l’est également dans les territoires au sein desquels les dirigeants se targuent de promouvoir la diversité religieuse.
Notes
[1] CE, 12 février 1997, Mlle Henry, n° 125893
[2] Le suivi d’une procédure, la remise de pièces justificatives, etc.
[3] TA Montreuil 17 juin 2016, req. n° 1500236
[4] Les hôpitaux, les établissements pénitentiaires et les autres services qui accueillent des usagers de manière permanente.
[5] Les secteurs de la radiotélévision publique, la fourniture d’énergie, l’accueil dans les écoles élémentaires, la tenue des greffes dans les tribunaux, etc.
[6] Les militaires, policiers, CRS, la navigation aérienne, etc.
[7] Le domaine militaire par exemple.
[8] TA Fort-de-France, 19 juin 1976, Demoiselle Coralie, Lebon 653.
Bibliographie
FROGER (Ch.), « L’autorisation d’absence pour motif religieux dans la fonction publique », AJFP, 2021, p. 62
GUILLAUMONT (G), « Le devoir d’appréciation du chef de service en matière d’autorisation d’absence », AJFP, 2002, p. 28
PITHON (G), RANDJANI (P), « Transmission des valeurs à La Réunion sur trois générations d’hommes ou de femmes, catholiques ou hindoues », La revue internationale de l’éducation familiale, vol. 38, no. 2, 2015, pp. 73-98.
RAMSAMY-GIANCONE (C), Catholicisme et hindouisme populaire à l’île de La Réunion : contacts et échanges (milieu du XIXe début du XXe siècle), thèse en histoire, Université de la Réunion, 2018, 456 p.
Image : Robert Crosnier via Flickr, CC-BY-NC-ND-2.0.