Les leaders du British Board of Deputies et du Jewish Leadership Council, deux groupes juifs britanniques, ont appelé à un rassemblement devant Westminster le 26 mars 2018, demandant à Jeremy Corbyn, chef de file du Parti travailliste, de réagir face à une recrudescence de l’antisémitisme au sein de la gauche britannique. Élu à la tête du parti en septembre 2015 à la surprise de tous, Corbyn a, depuis, permis à son parti une remontée spectaculaire dans les scrutins, faisant de l’ombre à la Première Ministre conservatrice Theresa May lors des dernières élections parlementaires (general elections) de Mai 2017. Certains membres de la communauté juive s’en inquiètent : depuis l’élection de Corbyn comme chef de parti, les incidents à caractère antisémite se multiplient au sein du parti, et plusieurs manifestants juifs exprimaient déjà leur intention de quitter le pays si le Parti travailliste venait à former un gouvernement à l’avenir.
Jeremy Corbyn, un chef aux propos polémiques
Le chef du parti des travaillistes, fervent critique de l’État d’Israël, est connu pour son engagement en faveur des droits des Palestiniens. Ses prises de position l’avaient longtemps mis en marge du parti, très divisé sur la question. Aujourd’hui, on prête de plus en plus attention aux relations qu’il a pu avoir dans le passé, et qui semblent liées à une rhétorique antisémite dirigée contre les membres du parti opposés à son élection. Parmi les relations les plus polémiques, CNN recense le négationniste Paul Eisen et Sheikh Raed Salah, qui accusait à tort la communauté juive de tuer des enfants non-juifs dans le cadre de rituels religieux (blood libel). Tout aussi déroutant, en 2016, l’ancien maire de Londres Ken Livingstone, proche de Corbyn, a été suspendu pour deux ans par le parti pour avoir sous-entendu en direct qu’Hitler avait un lien avec les Sionistes.
Certains propos tenus par Corbyn resurgissent également, comme lorsqu’il a appelé le Hamas et le Hezbollah ses « amis », s’en excusant plus tard. Il y a quelques semaines, son soutien à un projet de fresque à caractère antisémite datant de 2012 a également refait surface, l’obligeant à expliquer qu’il n’avait pas suffisamment observé l’œuvre avant de commenter.
Une manifestation qui concerne le parti travailliste dans son ensemble
La frustration n’est pas fondamentalement dirigée contre le leader travailliste que les critiques n’accusent pas d’être lui-même antisémite. C’est l’attitude du parti en général qui semble déranger le plus. En 2016, suite à l’affaire Ken Livingstone, une enquête a été menée parmi les travaillistes par une membre de la Chambre des Lords, Shami Chakrabarti. Le rapport concluait que bien que l’antisémitisme et toute forme de racisme en général ne soient pas inhérents au parti, il existait « trop de preuves claires d’attitudes ignorantes ». Corbyn avait déclaré que ces recommandations permettraient au parti de devenir un modèle de lutte contre le racisme. Déclarations qui sont restées sans suite aux yeux des manifestants du 26 mars 2018 et de ceux qui ont quitté le parti ces dernières semaines par peur des représailles ou des menaces.
Le 26 mars 2018 également, le mouvement Jewish Voice for Labour organisait une contre-manifestation en soutien au chef de file du parti. Pour eux, ces accusations sont amplifiées par les réseaux sociaux, et ils les voient comme une vengeance de l’aile modérée du parti qui ne voulait pas voir Corbyn prendre les rênes. Cependant, ce soutien n’est pas suffisant pour la majorité de la communauté juive britannique et pour une partie des travaillistes aux yeux desquelles Corbyn s’est montré trop laxiste jusqu’ici vis-à-vis des propos antisémites tenus par des proches tels que Livingstone.
Suite à la manifestation, Corbyn a demandé à rencontrer les leaders du British Board of Deputies et du Jewish Leadership Council et a présenté ses excuses à la communauté juive pour « le mal qui a été causé ». La rencontre s’est déroulée le 24 avril 2018 mais les leaders religieux l’ont qualifiée de « décevante » et « d’opportunité manquée ». Dans une déclaration conjointe, les deux organisations présentes étaient d’accord pour affirmer que Corbyn « a échoué à être d’accord avec les actions concrètes proposées […] [en] mars 2018 ». Sans réaction rapide de la part du chef de file travailliste, la situation risque de se bloquer. Que les accusations soient fondées ou qu’elles soient une manœuvre pour pousser Corbyn à la démission, il n’empêche que les excuses et condamnations verbales ne suffiront bientôt plus à apaiser les consciences.
Image : Outlining Labour’s Defence and Foreign Policy Priorities, Chatham House – 12 May 2017. Flickr CC BY 2.0