Un mois après sa démission le 9 juillet dernier, l’ancien ministre britannique des affaires étrangères Boris Johnson a bien vite repris goût à sa liberté d’expression. Dans une tribune parue dans le journal Daily Telegraph où il commente la récente interdiction du port de la burqa en public au Danemark, l’ancien maire conservateur de Londres a déclaré qu’il est « absolument ridicule que des gens choisissent de se promener habillés comme des boîtes aux lettres ». Une comparaison douteuse en entraînant une autre, il s’est également permis de comparer les femmes portant le voile intégral à des « braqueurs de banque ».
Une vive réaction des politiques et de la société civile suite aux propos polémiques
Des déclarations qui n’ont pas manqué de faire bondir non seulement l’opposition mais également le parti conservateur, puisque le député de Ruislip a bien vite été repris par la Première Ministre Theresa May et fait l’objet d’une enquête pour rupture du code de conduite du parti. L’organisation Tell MAMA, un projet indépendant visant à mesurer l’envergure des attaques et propos islamophobes au Royaume-Uni, a également vivement réagi face à la polémique. Dans un article du blog, publié le 9 août 2018, Tell MAMA fait part d’un témoignage reçu quelques jours après les déclarations de Boris Johnson. Une femme musulmane y raconte son passage par la salle d’attente de son médecin, où elle portait un hijab. Devant elle, deux femmes décrites comme blanches et âgées d’environ 70 et 90 ans. Un écran passe le journal télévisé de la BBC où l’on traite de l’affaire en illustrant avec des images de femmes complètement voilées. Les deux femmes, haussant délibérément la voix pour se faire entendre de leur voisine de derrière, rigolent à l’écoute des comparaisons de Boris Johnson et se moquent d’une musulmane en niqab interviewée : « Je ne peux même pas comprendre ce qu’elle dit parce qu’elle a le visage couvert ». Personne dans la pièce ne réagit, ne contredit leurs propos ou tente de les appeler à respecter la seule femme visiblement musulmane de la pièce.
Des propos dont les répercussions peuvent être dramatiques pour les femmes voilées
Pour Tell MAMA, ce genre de propos tenus par des personnes publiques créent un risque de déshumanisation des musulmans. C’est l’un des premiers pas vers la justification d’attaques islamophobes. En 2017, près de 62 % des femmes ayant rapporté un incident à caractère islamophobe auprès de l’organisation portaient un vêtement islamique. Dans un cas sur 10, il s’agissait d’un niqab. Tell MAMA appelle les politiciens et médias à réfléchir très prudemment aux choix des mots lorsqu’ils traitent de questions aussi sensibles que la religion, mais également l’immigration ou le terrorisme, deux sujets qui amènent bien trop souvent à l’amalgame et à la xénophobie. Selon l’organisation, « des individus ayant des préjugés sous-jacents […] peuvent s’enhardir et cibler ceux qui, selon eux, méritent ces abus, pour défendre le statut du groupe dominant, dans le cas où ces formes de rhétorique sont normalisées, et que l’inacceptable devient acceptable ».
L’interdiction du voile intégral en Europe
Se félicitant de la réaction du parti conservateur, Tell MAMA rappelle qu’en juin dernier, le groupe d’extrême-droite Generation Identity avait organisé des manifestations anti-burqa à travers le pays. Boris Johnson ne s’est lui-même pas déclaré en faveur d’une interdiction du voile intégral, faisant remarquer qu’une telle loi donnerait raison aux individus les plus intégristes et radicaux de la communauté musulmane, en justifiant une oppression perçue de la civilisation occidentale sur la leur. Rappelons qu’à l’heure actuelle, cinq pays européens, la France, la Belgique, les Pays-Bas, la Lituanie et la Bulgarie, interdisent déjà le port de ce vêtement dans l’espace public, ainsi que la région de Bavière en Allemagne. Le Danemark est le dernier pays en date à le bannir. Dans un pays aussi multiculturel que le Royaume-Uni, sans doute plus encore qu’ailleurs en Europe, de telles bourdes médiatiques peuvent créer un malaise particulièrement conséquent et ce surtout en temps de menaces sécuritaires. La communauté musulmane n’est d’ailleurs pas la seule touchée, puisque le parti travailliste est lui aussi sous les feux des projecteurs, mais pour antisémitisme.
Image : Girl muslim dress, by rmac8oppo. Pixabay.