Lors de sa campagne en faveur d’une sortie par le Royaume-Uni de l’Union Européenne pour le référendum de juin 2016, Nigel Farage, à l’époque chef de file du parti indépendantiste UKIP, n’avait pas hésité à détourner l’image d’une foule de migrants parcourant les routes proches de la Croatie. L’affaire avait fait grand bruit et même le Conservateur et désormais Ministre des Affaires Étrangères Boris Johnson, partisan du Brexit, s’était distancé des propos de son acolyte. Pourtant, il est à penser que cette image a eu un effet important pour tirer le scrutin en faveur d’une sortie de l’Union Européenne. L’immigration, sujet phare de cette campagne, est d’ailleurs toujours au centre des négociations qui voient s’affronter en ce moment Bruxelles et Londres. Sur le sommet de la pile de dossiers à discuter, on trouve l’épineuse question de la situation future des citoyens européens installés outre-Manche et de leurs homologues britanniques expatriés sur le continent. Pourtant, pas un mot ou presque sur les réfugiés et demandeurs d’asile. Comment l’un des plus grands sujets d’inquiétude des Britanniques appelés aux urnes en 2016 a-t-il pu sombrer dans l’oubli au cours des négociations politiques actuelles ?
Les demandes d’asile, le Royaume-Uni derrière l’Allemagne et la France
D’après le Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés, le Royaume-Uni comptait 118 995 réfugiés sur son territoire à la fin de l’année 2016, au cours de laquelle s’est déroulé le référendum. À cette même époque, 46 784 demandes d’asile étaient en cours de traitement par les autorités.
En 2017, le Home Office annonçait avoir reçu 14 % de demandes en moins par rapport à l’année précédente, mais être le cinquième pays de l’UE à recevoir le plus de dossiers, toujours en retard sur l’Allemagne, mais également l’Italie ou la France. Quoiqu’en disent les partisans de frontières plus hermétiques, l’Union Européenne n’a donc pas eu comme conséquence une « invasion » de la Grande-Bretagne par les demandeurs d’asile. Et pour cause. Tout d’abord, il faut se souvenir que le Royaume-Uni n’a pas pris part aux accords européens de Schengen sur la libre circulation des biens et des personnes. Cela signifie que, contrairement aux pays membres de l’espace Schengen au sein duquel chacun peut circuler sans contrôle d’un pays à l’autre, les Britanniques ont toujours la liberté de contrôler les entrées sur leur territoire en provenance d’autres pays européens.
Droit d’appel bafoué et loterie administrative
Ensuite, même si de nombreux candidats à l’asile se réfugiaient jusqu’à récemment dans la « Jungle », camp de fortune situé à Calais aux portes de la Manche, dans l’espoir de traverser la mer, le traitement qui est réservé aux demandeurs d’asile sur le sol britannique n’a rien d’enviable. Fizza Qureshi, Directrice de Migrant Rights Network, définissait le problème en ces termes lors d’un entretien pour le think tank Open Migration au lendemain du Brexit : « Je pense que l’approche envers les réfugiés et demandeurs d’asile avait toujours été assez pauvre avant le Brexit, donc, d’une certaine manière, je ne pense pas que grand chose ait changé depuis. Il y a toujours eu des inquiétudes dans le secteur des droits des migrants et des réfugiés sur la façon dont ils sont traités et le type de politiques mises en oeuvre à leur égard, qui deviennent de plus en plus restrictives. »
Les dossiers de demande d’asile sont souvent rejetés et le droit du demandeur à faire appel de la décision reçue n’est pas toujours respecté, aux yeux du Migrant Rights Network. Le Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés rappelle également que la majorité des demandeurs d’asile n’ont pas le droit de travailler pendant la longue étude de leur dossier (qui peut prendre plusieurs mois) et que, bien qu’un logement leur soit fourni, les bénéficiaires n’ont pas leur mot à dire sur l’emplacement, se retrouvant souvent loin de leurs proches dans des logements sociaux qui ne trouvent pas preneur auprès des Britanniques. Ils peuvent demander une allocation de 5,28 £ par jour et par personne pour l’alimentation, l’hygiène et les vêtements, une somme qui peut ne pas s’avérer suffisante dans certaines régions du Royaume-Uni. Souvent, il est fait abstraction des situations personnelles des demandeurs d’asile, comme en témoigne Kamal, arrivé à Londres en Septembre 2016. Homosexuel, Kamal a débarqué légalement sur le sol anglais pour fuir les menaces dont il était victime dans son pays. Toutefois, il a immédiatement dû faire face à des douaniers tenant des propos racistes à son égard et a été placé en détention entouré de codétenus homophobes. De telles situations tendent à créer des traumatismes chez des individus ayant souvent déjà vécu le pire.
Le traitement des dossiers par le Home Office pose quant à lui problème non seulement par sa lenteur, mais également par le manque de moyens alloués aux fonctionnaires en charge de l’étude des demandes. Trois d’entre eux se sont confiés anonymement au Guardian en février 2018 après avoir travaillé entre 2016 et 2017 dans ce secteur. Leur témoignage est alarmant : dossiers reçus quelques minutes avant les entretiens, manque de temps, tentation de la décision copier-coller… Les fonctionnaires chargés de l’examen des dossiers doivent rendre 225 décisions par an, accompagnées de rapports d’environ 20 pages chacun. Les conditions de travail en amènent de plus en plus à démissionner, mais rares sont les remplaçants pour leur succéder. Qui plus est, le Home Office impose des quotas sur l’immigration, des cibles chiffrées que Nazek Ramadan, Directrice du groupe Migrant Voice qualifie en ces termes : « L’obsession avec la limite sur l’immigration nette a amené [le Home Office] à développer un certain nombre de politiques draconiennes, puisque l’objectif est de réduire ces chiffres plus que de parler des gens eux-mêmes, et cela fait passer les migrants pour un problème ».
Une image majoritairement négative des réfugiés
L’image hostile que les Britanniques ont des réfugiés et demandeurs d’asile est en partie liée à un sentiment d’insécurité. Avant le référendum de juin 2016, les attentats de Paris en 2015 puis ceux de Bruxelles en mars 2016 avaient servi d’argument en faveur du Brexit, dans l’optique de se protéger d’un terrorisme que certains pensaient liés à l’immigration venue de pays à majorité musulmane. Cet amalgame entre terrorisme, islam et immigration s’est d’autant plus développé en 2017 après les attentats de Manchester, Westminster, London Bridge puis Parsons Green, pour lequel la police avait interpellé un réfugié syrien de 21 ans. Il existe un parallèle entre traitement des réfugiés et traitement des musulmans, avec une recrudescence des actes à caractère islamophobe. Ce qui est étranger à l’idée d’une identité britannique chrétienne fait peur et les médias britanniques de droite en jouent, sans doute d’ailleurs encore plus que leurs homologues européens. Une étude de l’Université de Cardiff sur la couverture médiatique des réfugiés à travers l’Europe remarque d’ailleurs que la presse britannique de droite s’est montrée particulièrement agressive ces derniers temps : « Si certains journaux dans tous les pays mettent en avant des idées anti-réfugiés et anti-migration, ce qui distingue la presse de centre droit britannique est le degré atteint par cette section de la presse qui fait agressivement campagne contre les réfugiés et les migrants. »
Un sentiment hostile qui apparaît donc plus acceptable car plus médiatisé au Royaume-Uni, avec un choix de vocabulaire négatif, certains journaux n’hésitant pas à parler de « swarm of migrants » (essaim de migrants) assaillant l’Europe.
Pas d’impact direct du Brexit sur les réfugiés, mais pas d’améliorations non plus
Cependant, une sortie de l’Union Européenne ne libérera pas le Royaume-Uni d’un certain nombre d’obligations vis-à-vis des demandeurs d’asile et des réfugiés. Même en quittant l’UE, Londres sera toujours contraint de respecter ses engagements envers les Nations Unies et le Conseil de l’Europe, ayant signé et ratifié la Convention de Genève ainsi que la Convention Européenne des Droits de l’Homme. Par ailleurs, comme mentionné plus tôt, la Grande-Bretagne n’étant pas membre de l’espace Schengen, elle est déjà libre de gérer ses flux d’immigration indépendamment de l’Union Européenne. Ironie du sort donc, puisqu’elle ne peut pas « reprendre le contrôle » comme le martelait l’indépendantiste Nigel Farage pendant la campagne Vote Leave en faveur du Brexit. La situation calaisienne ne sera pas affectée non plus par le Brexit : des accords bilatéraux entre Paris et Londres ont été renforcés en Janvier 2018 pour protéger le port de Calais et l’Eurotunnel de passages illégaux vers l’Angleterre. De plus, bien qu’un plan sur l’immigration post-Brexit soit attendu pour l’automne prochain, le gouvernement n’a pas pour l’heure manifesté d’intention de se retirer des accords de Dublin qui lui permettent de renvoyer migrants et demandeurs d’asile vers l’Europe continentale si c’est par là qu’ils sont passés pour atteindre le Royaume-Uni.
Le Brexit n’aura donc pas un impact considérable sur la situation des réfugiés, ou tout du moins pas d’impact direct. En revanche, l’évolution du climat politique national pourrait les toucher plus durement si rien n’est fait par le gouvernement conservateur pour améliorer la situation et remettre le droit d’asile au cœur du débat. D’une manière plus générale, c’est aux minorités ethniques et religieuses issues de l’immigration que le Royaume-Uni doit prêter attention. En avril 2018, un scandale a éclaté après que des immigrés antillais, débarqués légalement en Angleterre en 1948 pour participer à l’effort de reconstruction après la Seconde Guerre Mondiale, sont considérés comme migrants en situation irrégulière à la suite de changements de politiques introduits par Theresa May lorsqu’elle était Ministre de l’Intérieur. Cette crise politique a non seulement secoué l’échiquier de Wesminster mais a également posé de graves problèmes diplomatiques avec les partenaires du Commonwealth. Si le Royaume-Uni ne veut pas se trouver complètement isolé sur la scène internationale, c’est à l’intérieur du pays que les choses doivent changer.
Image : Duncan Hull – Bansky does Brexit (detail) #bansky#brexit. Flickr CC BY 2.0