Au Sénégal, l’une des images les plus frappantes est celle de l’homme en boubou blanc et pan de turban rabattu sur la bouche qu’on observe sur les murs et les véhicules. Le fondateur de la confrérie des Mourides, Cheikh Ahmadou Bamba est un homme religieux de grand renom. Les 6 et 7 novembre dernier a été célébré le Magal, pèlerinage organisé en sa mémoire. L’occasion de revenir sur les origines et caractéristiques de cette confrérie méconnue.
Un mouvement religieux qui gêne le pouvoir colonial
Du mouridisme, on entend parler souvent dans le monde musulman. C’est une réalité qu’on ne peut dissocier de l’image de Touba, ville où se tient annuellement l’un des plus grands rendez-vous musulman : le Magal. Ce pèlérinage qui, rappelons-le, rend hommage au fondateur Cheikh Bamba, est un événement-clé de cette faction de la religion islamique. L’origine du mouvement remonte à la fin du XIXe siècle. Sous le régime colonial, le nom d’un marabout était constamment sujet de discussion au sein de l’administration. Des intermédiaires locaux venaient régulièrement rapporter aux colons la naissance d’un mouvement religieux dans les environs de Touba. « Le fondateur, Cheikh Bamba appellerait à la désobéissance aux autorités locales, à la haine, à la violence et pire encore au djihad», rapportaient alors les chefs loacux.
Déjà l’objet de mauvaise presse, ce mouvement naissant prend un coup de marteau avec l’arrestation de son fondateur en 1895. Cheikh Ahmadou Bamba est alors déporté au Gabon et y est fait prisonnier. Il revient de son exil en 1902 et meurt en 1927. Son héritage spirituel a connu un grand retentissement mondial au cours des années suivantes. Plusieurs millions d’hommes et de femmes sont devenus mourides et plusieurs mosquées ont été construites, dont la plus importante se trouve à Touba.
Neuf principes fondamentaux
Les principes fondamentaux du mouridisme sont l’attachement au Coran, l’attachement à la sunna (propos, gestes et faits du prophète), le renoncement aux passions, l’obéissance aux Khalifes, la prière, la prohibition du gain facile et l’interdiction de traduire le Coran.
Sept califes à la tête du mouridisme depuis 1883
L’histoire du mouridisme, c’est aussi l’histoire des différents califes qui se sont succédés à sa tête. A ce jour on en compte sept. Le successeur direct de Bamba est Moustapha Mbacké. Il règne de 1927 à 1945. On lui doit le projet de construction de la mosquée centrale de Touba et du chemin de fer qui mène à la ville. Vient ensuite Fadilou Mbacké. Son règne dure entra 1945 à 1948 et est notamment marqué par la fin de la construction de la mosquée centrale de Touba. Il initie le grand Magal de Touba qui est le plus grand pèlerinage religieux en Afrique de l’Ouest. A sa suite, Cheikh Abdoul Ahad Mbacké a régné entre 1968 et 1989. Son califat est marqué par le développement prodigieux de la ville de Touba. Saliou Mbacké prend la tête du califat à la mort d’ Abdoul jusqu’en 2007. Plusieurs projets dont la rénovation de la grande mosquée lui sont attribués. Lamine Bara Mbacké n’a duré que trois ans. Il meurt en 2010 et est remplacé par Sidy Mokhtar Mbacké, le calife actuel.
L’influence politique et sociétale du mouvement
Le succès du mouridisme au Sénégal est dû sans doute aux charismes du fondateur à qui on reconnait aussi des qualités d’autorité politique. Le mouvement est considéré comme la deuxième plus importante communauté religieuse du Sénégal après le Tijanisme. De part son importance sociétale, il a une influence considérable sur les choix politiques. Bien que l’Etat sénégalais soit laïc, il semblerait que le choix des hommes qui l’incarne soit souvent opéré suivant les consignes des califes. Ce fut le cas de l’ex-président Abdoulaye Wade en 2000. Lui même mouride, il voue une profonde considération aux indications du calife. L’organisation du grand Magal, soutenue par le concours logistique et financier de l’Etat, est également une marque de l’influence du mouvement dans la sphère politique.
Image : Mosquée de Touba, By tinofrey – Own work, Public Domain