Le 18 avril 2019 l’ONG Reporters sans frontières (RSF) a publié son classement mondial de la liberté de la presse. Dans ce classement, la Tunisie est classée première parmi les pays arabes et du Maghreb. Depuis l’année 2018, elle serait passée de la 97ème à la 72ème place, gagnant ainsi 25 places.
Cette position semble être le reflet de l’image du pays qui paraît être le seul à avoir réussi sa transition démocratique. Est-ce réellement le cas ?
L’impact des « printemps arabes » sur la liberté de la presse en Tunisie
Pour parler de la situation de la presse durant la période du régime Ben Ali, le chercheur et spécialiste de la question, Larbi Chouikha, parle d’un phénomène d’étatisation de l’information où : « le champ politico-journalistique se constitue autour de l’idée que l’État demeure le principal employeur, le principal producteur d’informations et la principale source d’informations. » (1)
Depuis la révolution du 14 janvier 2011, de nombreux signaux semblent démontrer la fin de ce monopole. Comme pour le champ politique, l’après-révolution permet l’émergence d’un grand nombre de nouveaux acteurs médiatiques représentant les différents courants de pensée au sein du pays. De plus, une nouvelle législation a été mise en place pour garantir la liberté de la presse. Ainsi, le 02 novembre 2011, le président par intérim Fouad Mebazaa, sur proposition de l’instance supérieure pour la réalisation des objectifs de la révolution, de la réforme politique et de la transition démocratique a promulgué le décret-loi n° 2011-115 relatif à la liberté de la presse, de l’imprimerie et de l’édition. Pour défendre et promouvoir cette réglementation, la Haute Autorité Indépendante de la Communication Audiovisuelle (HAICA) a été créée. Elle entre en fonction en mai 2013. Le principal objectif de cette instance est de garantir l’indépendance des médias et promouvoir la liberté d’expression.
Une amélioration qui doit se poursuivre
Cependant, comme toutes les révolutions, les conséquences de l’« ancien régime » persistent. Dans son récent ouvrage publié en 2015 (2), Larbi Chouikha constate la difficile transition des médias. En dépit des nombreux chantiers pour réformer ce secteur, il souligne une résistance de la part du gouvernement de la Troika (2011-2014) à vouloir réellement acter ce changement et constate plutôt la reproduction de vieux réflexes autoritaires.
Selon le Media Ownership Monitor de RSF, bien que la révolution ait permis la multiplication de journaux et limité l’emprise politique comme au temps de Ben Ali, de nombreux obstacles persistent. A titre d’exemple, parmi les dix chaînes-télévisées analysées dans l’étude de RSF, les propriétaires de six d’entre elles auraient des affiliations avec des partis politiques ou bien des ambitions politiques.
Le Syndicat national des journalistes tunisiens réclame un nouveau cadre légal
Un acteur qui s’est beaucoup mobilisé dans ce sens est le Syndicat National des Journalistes Tunisiens (SNJT). Créé en mai 2004, le SNJT est un syndicat indépendant membre de la Fédération internationale des Journalistes (FIJ). Initialement, ce syndicat n’était pas reconnu par les autorités étatiques. Selon RSF, suite à la publication de son premier rapport en 2005, le premier président du syndicat Lotfi Hajji fut convoqué par les autorités et accusé de diffuser des fausses informations.
Le 3 mai 2019, à l’occasion de la célébration de la journée mondiale de la liberté de la presse, le SNJT a lui aussi présenté son rapport annuel. Contrairement aux données de l’ONG RSF, le rapport de la SNJT constate plutôt une régression de la liberté de la presse en Tunisie depuis le début de l’année 2019. A titre d’exemple, ce rapport fait état de 139 agressions visant des journalistes ou bien la poursuite en justice de 12 journalistes sans fondement juridique. Le rapport souligne aussi une volonté de la part du pouvoir politique d’instrumentaliser les journalistes et les médias pour leurs règlements de comptes personnels.
Les représentants du SNJT réclament désormais un nouveau cadre légal pour remplacer la réglementation mise en place de manière provisoire en 2011 (il était prévu que le mandat de la HAICA dure six ans). Ces derniers dénoncent aussi la non-ratification de l’accord-cadre qui avait été signé en janvier 2019 avec le gouvernement. Cet accord prévoyait la réorganisation du secteur de l’information à travers une réglementation encadrant cette profession (notamment en ce qui concerne le recrutement, le salaire, les normes à suivre…).
(1) Chouikha, Larbi. 1995. « Propriétés et particularités du champ politico-journalistique en Tunisie ». NAQD N° 8-9(1): 113‑124. p. 115
(2) Chouikha, Larbi. 2015. La Difficile transformation des médias : des années de l’indépendance à la veille des élections de 2014, des séquelles de l’étatisation aux aléas de la transition. Tunis : Editions Finzi.
Image : Belvédère, Tunis البلفيدير، تونس العاصمة by Sami Mlouhi. Wikicommons CC BY-SA 4.0