Le 25 septembre dernier, une jeune femme de 29 ans, Rahma Lahmar, a été retrouvée morte, assassinée près de Tunis. Elle avait été torturée, violée et égorgée. La famille avait signalé sa disparition à la sortie de son travail. Suite à la découverte de ce meurtre, le père de la jeune femme a demandé la peine capitale pour l’assassin afin que de tels crimes ne se reproduisent plus. Son assassin a été arrêté et a confessé avoir commis le meurtre. Ce dernier avait déjà été incarcéré pour meurtre, mais avait été gracié.
Cet acte a provoqué un choc au sein de la population et un grand mouvement de soutien a été lancé sur les réseaux sociaux. Beaucoup ont appelé à l’exécution de son assassin. Un hashtag appelant à appliquer la peine de mort (#طبق_الاعدام) a été créé et massivement relayé sur Facebook et Twitter.
Face à cet épisode, le Président de la République Kaïs Saïed s’est lui aussi déclaré favorable à la peine de mort dans ce type de cas. Il a déclaré lors d’un conseil de sécurité nationale le 28 septembre 2020 : « s’il est prouvé qu’il a tué une ou plusieurs personnes, je ne pense pas que la solution soit (…) de ne pas appliquer la peine de mort ».
La peine de mort en Tunisie : un débat déjà relancé par la montée du terrorisme religieux
Pour rappel, il y a eu un total de 135 exécutions sous la présidence d’Habib Bourguiba (1957 – 1987). Durant la présidence de Zine El-Abidine Ben Ali (1987 – 2011), la peine de mort est suspendue par un moratoire le 9 octobre 1991.
Beaucoup regrettent que la Tunisie n’ait pas fait le choix d’abolir la peine de mort au lendemain de la Révolution tunisienne du 14 janvier 2011. Au contraire, cette condamnation fait toujours partie de l’arsenal juridique du pays et des criminels continuent à être condamnés à la peine capitale même si dans la plus grande partie des cas, leurs peines sont transformées en réclusion à perpétuité.
La réactivation de la peine de mort est prise en considération dans le contexte de la montée en force de l’extrémisme religieux et du terrorisme à l’échelle nationale et internationale. En effet, suite à la Révolution tunisienne, il est possible d’observer l’émergence de différents groupes d’acteurs qui se revendiquent proches du salafisme et souhaiteraient imposer leur propre idée de la morale à la société tunisienne. Parmi eux, des individus radicalisés ont perpétré des attentats contre des soldats, des politiciens, ainsi que des touristes étrangers. Les partisans de la division entre les sphères religieuse et politique avaient accusé le parti islamiste au pouvoir Ennahda de soutenir ces groupes.
Depuis ces attentats, tous les partis au pouvoir semblent être d’accord sur l’idée de combattre l’extrémisme religieux. C’est le cas des représentants du parti Ennahda qui se sont positionnés en faveur de la loi antiterroriste de 2015 afin de démentir ceux qui les avaient accusés de soutenir ces acteurs radicalisés. En effet, depuis 2015, la loi antiterroriste a augmenté les cas dans lesquels la peine de mort pouvait être prononcée. Il s’agit des cas de « prises d’otages, séquestrations meurtrières, meurtre d’une personne jouissant d’une protection internationale, viol ».
En 2019, 39 condamnations à mort ont donc été prononcées à l’encontre de djihadistes accusés d’attentats contre des soldats à la frontière avec l’Algérie en 2014.
Un amalgame entre politique, droit et religion ?
Chokri Latif, Président de la Coalition Tunisienne Contre la Peine de Mort, a accusé le Président Kaïs Saïed d’outrepasser ses fonctions et de s’appuyer sur un texte religieux et non sur la Constitution pour motiver sa déclaration. Cette position est partagée par la Professeure de droit Mouna Kraïem qui lors d’un entretien avec le magazine Realités déclare : « Le discours du Président de la République était, hier, personnel, religieux et en dehors de la loi et des engagements internationaux de la Tunisie. »
En effet, pour appliquer la peine de mort en cas de meurtre dans des pays musulmans beaucoup se fondent sur la sourate 02 Al Baqara verset 178 qui affirme: « Ô les croyants! On vous a prescrit le talion au sujet des tués : homme libre pour homme libre, esclave pour esclave, femme pour femme. Mais celui à qui son frère aura pardonné en quelque façon doit faire face à une requête convenable et doit payer des dommages de bonne grâce. Ceci est un allégement de la part de votre Seigneur et une miséricorde. Donc, quiconque après cela transgresse, aura un châtiment douloureux. »
Habib Bourguiba (Premier Ministre à partir de 1956, puis Président de la République) a entamé un processus de sécularisation de la sphère juridique, comme en témoignent les décrets du 3 août, 25 septembre et 25 octobre 1956 qui abolissent les tribunaux « sharaïques » et israélites.
De plus, comme souligné par Hatem Kotrane, Professeur émérite à la Faculté des Sciences juridiques, politiques et sociales de Tunis, la Constitution Tunisienne de 2014 garantit le droit à la vie et à une justice équitable. Selon l’article 22 « Le droit à la vie est sacré. Il ne peut y être porté atteinte, sauf dans des cas extrêmes fixés par la loi. » La présomption d’innocence est également garantie dans l’article 27 qui déclare que « Tout inculpé est présumé innocent jusqu’à l’établissement de sa culpabilité, au cours d’un procès équitable qui lui assure toutes les garanties nécessaires à sa défense en cours de poursuite et lors du procès. »
Néanmoins, des ambiguïtés existent quant à la question du rapport entre politique, droit et religion notamment à cause des différentes interprétations de l’article 1 de la Constitution qui déclare: « La Tunisie est un État libre, indépendant et souverain, l’Islam est sa religion, l’arabe sa langue et la République son régime. » Ainsi, comme le souligne le professeur Meriem Ben Lamine, les juges « traditionalistes » invoquent cet article : « pour appliquer les règles du droit musulman en cas d’ambiguïté ou de silence de la loi ».
À cause de cet équilibre précaire, les défenseurs d’une séparation entre ces trois sphères restent vigilants quant aux possibles dérives. Ainsi, nombreux sont ceux qui accusent le Président de la République Kaïs Saïed d’aller à l’encontre de cette séparation et de s’appuyer sur la religion pour valider certains ce ses choix. Cette accusation à l’encontre du Président a aussi été prononcée en ce qui concerne sa position sur l’inégalité successorale des femmes en Tunisie, l’un des « derniers bastions de l’inégalité juridique ».
La réaction de la société civile
En réponse à la déclaration du Président tunisien, des ONG de défense des droits de l’homme telles que Amnesty International ont rappelé que la peine de mort « était une atteinte aux droits qui n’avait pas de vertu préventive». De plus, ce choix irait à l’encontre des nombreux textes ratifiés par le pays.
Le professeur Hatem Kotrane accuse Kaïs Saïed de satisfaire une certaine soif de vengeance populiste. L’ancien Président de la République Moncef Marzouki (2011 – 2014) a lui aussi réagi à cette déclaration en affichant son opposition à la peine de mort qu’il considère dans une publication Facebook datée du 30 septembre comme une « arme de tyrannie, d’injustice de classe et de racisme afin de détruire beaucoup de personnes innocentes ».
Un débat récurrent
Le débat concernant la peine de mort en Tunisie n’a rien d’une nouveauté. Cette thématique avait fait l’objet d’un ouvrage intitulé Le Syndrome de Siliana: Pourquoi faut-il abolir la peine de mort en Tunisie? [1] Les quatre auteurs de l’ouvrage Samy Ghorbal, Héla Ammar, Hayet Ouertani et Olfa Riahi ont effectué une enquête en décembre 2012 dans les prisons où se trouvaient des individus condamnés à mort. Les auteurs soulignent le dysfonctionnement du système judiciaire autour de cette condamnation. En effet, la plupart des individus condamnés étaient issus des régions les plus pauvres du pays et n’avaient pas eu droit à un procès équitable.
[1] GHORBAL Samy (dir.), AMMAR Héla, OUERTANI Hayet, RIAHI Olfa, Le syndrome de Siliana – Pourquoi faut-il abolir la peine de mort en Tunisie ?, Cérès éditions & Ensemble contre la peine de mort, 143 pages, mai 2013.
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