Le 18 octobre 2018, le journal turc « Daily Sabah » annonçait l’ouverture de la première école de la fondation Maarif à Erbil, dans le Kurdistan irakien. La nouvelle école, présentée comme une des plus grande du Moyen-Orient, doit accueillir des élèves de la maternelle jusqu’au lycée. Les langues enseignées au sein de l’établissement seront le turc, le kurde, l’anglais et l’arabe.
Une fondation qui répond à de grandes ambitions du gouvernement turc
La fondation Maarif fonctionne en coordination avec le Ministère turc de l’éducation ainsi que celui des Affaires étrangères. Depuis sa création officielle en juin 2016, la fondation a été implantée dans 90 pays et a ouvert 162 écoles.
La fondation doit contribuer au renforcement des liens entre la Turquie et le reste du monde, en formant des « ambassadeurs de bonne volonté » qui contribueront au rayonnement de la culture turque à l’avenir. Un deuxième objectif de cette fondation n’est pas dissimulé : il s’agit de se réapproprier le réseau d’écoles développé par le mouvement güleniste.
La fondation Maarif pour contrer l’influence güleniste
Pour mieux comprendre cette deuxième facette, il est utile de s’intéresser aux publications des instituts culturels Yunus Emre, également liés au pouvoir d’Ankara. Ainsi dans le magazine de mars-avril 2017, Cem Zorlu, président du conseil d’administration de la fondation Maarif, explique que les écoles gülenistes se sont énormément propagées à l’étranger. Selon M. Zorlu ces écoles étaient présentes dans 116 pays, constituant un réseau de 800 écoles, 1 000 fondations, 200 médias et 500 entreprises. Il souligne qu’une partie de ce réseau n’a pas encore cessé de fonctionner et que c’est le travail de la diplomatie turque et de la fondation Maarif de contribuer à y mettre fin.
M. Erdoğan a lui même indiqué l’importance qu’avait pour lui la fondation Maarif : « S’ils (le réseau güleniste) disent qu’ils sont actifs dans 170 pays, vous (la fondation Maarif) devez être actifs dans les 193 pays des Nations Unies. »
Des tractations diplomatiques pour faire fermer les écoles gülenistes
Cem Zorlu explique ensuite l’importance du soutien de la part des pays étrangers dans la lutte contre le réseau güleniste. Le réseau étant implanté partout dans le monde, il explique que des négociations sont en cours avec des pays africains, européens et asiatiques pour transformer les écoles gülenistes en écoles de la fondation Maarif. Il annonce que des pays ont déjà fermé des écoles gülenistes au moment de l’interview en mars 2017.
À travers la liste des pays qui ont signé des accords avec la fondation Maarif ou qui sont en train de discuter en faveur de ces accords, il est déjà possible de voir émerger une préférence diplomatique pour certaines régions du globe. Ainsi la fondation Maarif travaille à reprendre les écoles gülenistes qui étaient situées en Afrique, où le réseau est très développé, mais s’intéresse aussi aux Balkans, à l’Asie centrale et aux « pays arabes ».
Des zones d’influences diplomatiques clairement identifiées
Si la fondation Maarif a été créée à peine un mois avant la tentative de coup d’État du 15 juillet 2016, elle est vraiment entrée en activité quelques mois plus tard avec pour mission de se développer à la place du réseau de Fethullah Gülen. Il est intéressant de constater que les pays qui ont suivi le plus rapidement les demandes du gouvernement turc de fermer les écoles du réseau au profit de la fondation Maarif sont situés en grande partie dans la zone d’influence de la Turquie. Les régions ciblées en priorité (Moyen-Orient, Asie centrale, Balkans et Afrique) sont aussi celles qui ont le plus rapidement condamné le coup d’État et montré un soutien immodéré au président turc.
L’exemple de la nouvelle école à Erbil
Le journal Daily Sabah, dans son article consacré à l’ouverture d’une nouvelle école de la fondation Maarif à Erbil, souligne le fait que le mouvement güleniste est encore actif dans la ville. Des discussions sont en cours avec les autorités concernées pour faire reconnaître la « menace » du FETÖ (mouvement de Fethullah Gülen) et aboutir à la fermeture des écoles affiliées au mouvement à Erbil. Le Daily Sabah estime à 19 le nombre d’écoles gülenistes dans la zone administrée par le GRK (Gouvernement Régional du Kurdistan) et à 13 000 le nombre d’élèves qui y sont scolarisés.
Les propos de Pishtiwan Sadiq, ministre de l’éducation du GRK, sont repris dans l’article. Il assure de la volonté du gouvernement d’aider à l’installation de la fondation Maarif dans la région. À propos du mouvement FETÖ, les efforts sont mis en avant puisque seuls 100 à 150 professeurs gülenistes travailleraient encore contre 900 par le passé.
L’article revient finalement sur les nouvelles relations qu’entretiennent la Turquie et le GRK. Des relations qui seraient maintenant apaisées, après s’être sérieusement dégradées au moment du référendum sur l’indépendance du Kurdistan irakien en septembre 2017.
Un réseau qui s’étend rapidement
Le développement de la fondation Maarif à Erbil témoigne donc du réchauffement des relations avec la Turquie. Il est surtout symptomatique de la volonté turque d’étendre rapidement le réseau. Le 25 septembre 2018, l’agence Anadolu annonçait le début des activités de la fondation Maarif en Ethiopie, un autre pays concerné par la zone d’influence turque.
Image : 23 Nisan izlenimleri by Yılmaz Uğurlu. Flickr CC BY – SA 2.0