En ce début d’année, les procédures judiciaires à l’encontre de personnalités kurdes en Turquie ont repris. Selahattin Demirtas, ancien député et co-président du Parti démocratique des Peuples (HDP), est détenu depuis son arrestation le 4 novembre 2016 dans la prison d’Edirne. Plusieurs chefs d’accusation pèsent contre lui, notamment de « soutenir une organisation terroriste ». Déjà inculpé en 2018 et condamné à quatre ans et demi de détention pour « propagande terroriste », il risque une peine de 142 ans de prison.
La problématique kurde est une question sécuritaire pour le Président Erdogan. Si les relations étaient déjà conflictuelles avant le 15 juillet 2016, le coup d’Etat a renforcé les tensions entre les deux parties. La lutte armée depuis 1984 contre le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), organisation politique armée et reconnue comme organisation terroriste par l’Union Européenne, a mené à un amalgame généralisé envers les populations kurdes. Depuis, les minorités kurdes peuvent être sujettes à du racisme et des discriminations.
Selahattin Demirtas, une figure politique compromettante ou une véritable menace pour la sécurité nationale?
Avocat travaillant dans les associations de défense des droits de l’Homme au début de sa carrière, il est co-président du parti kurde HDP et ancien candidat pour la présidentielle en 2014 (8,5 % des voix). Au-delà d’une menace pour la sécurité, ses soutiens affirment que sa détention est principalement liée à la menace électorale qu’il peut représenter lors de futures élections.
En effet, le parti HDP mobilise essentiellement l’électorat kurde, mais une alliance avec la gauche socialiste lui permettrait d’accroitre facilement son poids sur les décisions politiques. En d’autres termes, le soutien n’est pas suffisant pour obtenir plus de 50 % des voix mais une coalition démocratique peut empêcher une domination du parti présidentiel. Déjà, près d’une soixantaine de communes ont élu des maires du parti HDP dont un bon nombre ont été révoqués depuis leurs élections en mars 2019.
La Cour européenne des droits de l’Homme a constaté, dans une décision du 20 novembre 2018, plusieurs violations de la Convention et demande la libération provisoire de Selahattin Demirtas, en qualité d’opposant politique. Les violations concernent notamment, le « droit d’être traduit devant un juge », le « droit à des élections libres » et la « limitation de l’usage des restrictions aux droits ». La Cour estime notamment que les motifs de détention sont insuffisants et que le « but inavoué prédominant, [est] d’étouffer le pluralisme et de limiter le libre jeu du débat politique, qui se trouve au cœur même de la notion de société démocratique ».
Les Kurdes au Moyen-Orient, la peur d’être abandonnés à la répression turque
L’offensive turque au nord de la Syrie, le 7 octobre 2019, a soulevé de nombreuses protestations et condamnations. Trois mois plus tard, la situation demeure tendue et les Turcs occupent encore 30 kilomètres de territoires au-delà de la frontière. Pourtant, la menace sécuritaire reste faible et la Turquie n’avait pas subi d’attaques depuis la frontière depuis le début des années 2010. Le jeu des Turcs est relativement opaque alors que le Président français a déclaré début décembre lors d’un sommet de l’OTAN qu’« ils se battent à présent contre ceux qui ont combattu à nos côtés. Et parfois, ils travaillent avec des intermédiaires de l’Etat islamique ». En effet, dans la guerre contre l’Etat islamique, les Kurdes ont été des alliés pour les forces occidentales. Ils ont notamment été vivement salués lors de la bataille de Kobané (sept 2014 – janv 2015) pour leur bravoure. En attaquant les villes kurdes, les Turcs s’attaquent donc à un allié direct des occidentaux.
Les attaques du régime syrien se poursuivent à Idlib tandis que les Turcs restent présents le long de la frontière. Les organisations et forces armées kurdes ont été déplacées. L’appui principal des Kurdes dans la région provient des Américains. Avec la décision de retrait des troupes, l’inquiétude monte et les Kurdes se voient obligés de négocier avec le régime bassiste syrien pour une certaine autonomie.
Au Kurdistan irakien, l’appui des Américains avait également permis aux Kurdes d’obtenir leur autonomie. Le retrait des troupes suite à l’escalade de tensions entre les Etats-Unis et l’Iran depuis le début d’année ne fait que confirmer le statut d’« alliés de circonstance » des populations kurdes.
Violations des droits humains et incarcérations arbitraires en Turquie
Des centaines de personnes ont été incarcérées depuis 2016 et demeurent en attente de procès. Chaque année, Human Rights Watch fait un état du respect des droits humains dans la région. Aujourd’hui, ils estiment à plus de 150 000 le nombre de fonctionnaires renvoyés, plus de 64 000 procès en attente sous l’accusation de terrorisme mais aussi 150 journalistes et 9 parlementaires kurdes emprisonnés.
Image : Président Erdogan et drapeau Kurde, by Tiburi. Pixabay.