Le Parlement uruguayen s’apprête à voter une loi étendant les droits des personnes trans – transgenres, transsexuels et travestis – notamment dans le domaine médical. Alors que le projet sur la Ley integral para las personas trans semble avoir de grandes chances d’être accepté au Sénat comme à la Chambre des députés, certaines mesures du texte divisent l’opinion publique.
Cet article du País fait un état des lieux des débats en Uruguay autour du projet de loi ainsi que sur la situation des personnes trans dans le pays.
La communauté trans en Uruguay est particulièrement vulnérable
En 2016, le Mides, Ministère du développement social, recensait 853 personnes trans en Uruguay, ce qui représente 0,03 % de la population du pays. C’est un peu plus que la France, qui compte environ 15 000 personnes trans, selon l’association ORTrans (Objectif Respect Trans), soit 0,02 % de la population française.
Représentant une infime partie de la population, les personnes trans sont particulièrement marginalisées en Uruguay. Selon une étude de l’Université de la République, leur espérance de vie est de 35 ans, contre 77 ans pour le reste de la population. 25 % abandonnent leur domicile avant 18 ans, après avoir été rejetés par leur famille. 87 % n’ont pas terminé leurs études secondaires et ont souffert de discriminations dans le milieu éducatif. 67 % ont eu recourt à la prostitution pour générer un revenu.
Pour faire face à ces chiffres alarmants et pour ouvrir davantage d’opportunités à des personnes en situation précaire, le Parlement uruguayen étudie actuellement un projet de loi en faveur de la population trans du pays.
Les mesures phares du projet de loi font débat
Le projet est porté par le Frente Amplio, principal parti de gauche en Uruguay, majoritaire au Parlement et au Gouvernement. Débattues depuis un an environ, certaines mesures font particulièrement débat dans l’hémicycle. L’objectif du projet de loi est de faciliter la vie d’une population marginalisée, via des mesures de discrimination positive.
L’Etat propose ainsi de mettre en place des bourses pour les étudiants et d’ouvrir des postes dans la fonction publique aux personnes trans. Le projet vise également la mise en place d’un financement public de l’opération de réassignation sexuelle. Il est aussi question d’indemniser les victimes de la répression pendant la dictature (1975-1983), en particulier des personnes ayant subit des violences ou ayant été emprisonnées à cause de leur identité sexuelle. Enfin, une des mesures les plus controversées du projet concerne la possibilité pour les mineurs d’entamer le processus de transition – hormonal et chirurgical – sans l’accord de leurs parents ou responsables légaux. Cette mesure se réfère au principe d’autonomie progressive, contenu dans le Code de l’Enfance et de l’Adolescence. Selon ce principe, chaque enfant ou adolescent a la capacité d’exercer ses droits et d’assumer ses responsabilités, notamment en matière de choix médicaux, puisque la maturité s’acquiert progressivement avec l’âge. Cette dernière mesure divise particulièrement l’opinion publique.
Les Eglises évangéliques, moteur de l’opposition au projet de loi
Si le projet de loi s’adresse à une minorité dans le pays, il a suscité une forte mobilisation de la population, à la fois en faveur et contre son approbation par les parlementaires. Bien que le Comité trans en Uruguay regroupe moins de 1 000 personnes, il a reçu le soutien de nombreuses associations. Le Mides lui a notamment apporté son soutien, ainsi que le collectif Ovejas Negras, qui défend la diversité sexuelle dans le pays. La marche pour la diversité, qui s’est tenue cette année le 28 septembre, avait pour principale revendication l’approbation de la loi.
De l’autre côté, l’opposition est portée par les églises évangéliques, et notamment par l’association Misión vida, à l’origine d’une pétition contre le projet de loi. Ayant réuni 40 000 signatures, la pétition dénonce principalement la mesure visant à accorder aux mineurs la possibilité d’entamer le processus de transition sans l’accord de leurs représentants légaux. En mai 2018, alors que se réunissait la Commission de la famille et de la vie, des représentants de la conférence épiscopale ont dénoncé les dangers d’une « colonisation idéologique » que diffuserait le projet de loi. Reconnaissant les discriminations subies par la population trans, la conférence a cependant énoncé que la cause de non-discrimination se voyait défigurée par ceux voulant imposer une idéologie de genre, sans respect des conceptions traditionnelles de la sexualité, du mariage et de la famille.
L’Uruguay, pays avant-gardiste des droits LGBT en Amérique latine ?
Alors que l’Amérique latine reste très imprégnée par la présence et l’influence de l’Eglise chrétienne, l’Uruguay est un des pays où cette présence est la moins forte. C’est ce qui a, semble-t-il, permis au pays d’avancer sur des questions sociales, comme le droit à l’avortement (l’Uruguay est un des seuls pays latino-américain à l’autoriser sans restriction, avec Cuba et le Guyana) et le mariage pour les personnes de même sexe (le Brésil, l’Argentine, la Colombie et la ville de Mexico l’ont aussi légalisé).
Mais la première grande loi en faveur de la communauté LGBT est attribuée à l’Argentine. En 2012, le Parlement argentin approuvait une loi sur l’identité de genre, la première dans le monde. Celle-ci reconnaît aux personnes trans de nombreux droits, comme la possibilité de choisir le genre à inscrire sur leurs papiers d’identité. La loi garantit également des traitements médicaux d’adéquation à l’expression du genre dans les systèmes de santé publics et privés. Les parlementaires uruguayens décideront ou non d’aller encore plus loin dans la reconnaissance des droits des personnes LGBT à la fin du mois d’octobre 2018.
Image : Le Sénat Uruguayen, by Fernando Da Rosa. Wikipédia, CC BY-SA 3.0