L’audience de la Cour criminelle houthiste, ce 9 janvier, n’aura pas permis de juger définitivement les vingt-quatre Yéménites de confession baha’ie. Détenus depuis leur arrestation en avril 2017 à Sanaa, ces citoyens ont été accusés de prosélytisme par les Houthis.
Monothéiste, dépourvue de clergé et comprenant très peu de rites, cette confession proclame l’unité spirituelle de l’humanité. Elle doit sa paternité à Baha’u’lláh, un mystique iranien qui se déclare porteur d’un message de Dieu en 1844. Il appela à dépasser les religions traditionnelles. Le baha’isme compte entre cinq et sept millions de partisans dans plus de 200 pays. Ses fidèles sont, en revanche, parfois victimes de persécutions, comme la petite communauté au Yémen.
L’intervention arabo-sunnite au Yémen, un cadre géopolitique impropre aux minorités
Ce pays pauvre de la péninsule arabique admet une population quasi-exclusivement musulmane, entre sunnites chaféites et chiites zaydites. Ces derniers se sont tout d’abord révoltés contre l’État en 2004, s’estimant marginalisés. Ils prirent ensuite la dénomination de « Houthis ». Ils sont en grande partie chiites, obédience de 40% des Yéménites. Ces insurgés s’emparent de Sanaa fin 2014, face au gouvernement légitime. Celui-ci est épaulé depuis 2015 par une coalition commandée par l’Arabie Saoudite.
De ce fait, les Houthis exercent sur ces territoires un contrôle quasi-étatique, au moyen d’un appareil politique fantôme, doté de ses propres forces militaires. Galvanisés par la défense de leur identité, ces rebelles répriment désormais les minorités du Yémen, dont les quelques milliers de Baha’is.
La politique de lutte des Houthis, de l’exil à la destruction du microcosme baha’i
Il y aura donc une nouvelle session dans la procédure opposant la Cour criminelle de Sanaa, et vingt-quatre membres de la communauté baha’ie du Yémen. Le juge, sur demande du Conseil politique suprême des Houthis, a repoussé l’audition des accusés, qui demandent un abandon des charges. Nombre de pays considèrent les Baha’is comme hérétiques. Cette confession est condamnée par le clergé chiite car postérieure à l’islam. Le baha’isme est banni en 1844 et persécuté systématiquement par l’Iran, qui en est pourtant le berceau. Téhéran, proche des Houthis, se servirait de la milice pour réprimer la communauté baha’ie. La force houthiste, elle, accuse les Baha’is de collusion avec Israël, qui abrite le centre sacré baha’i. Le sort de ces vingt-quatre Baha’is a pourtant récemment évolué.
En mars dernier, la Cour criminelle a ordonné la libération de cinq des prévenus, dont le chef communautaire baha’i Hamid bin Haydara. Son emprisonnement arbitraire en décembre 2013, sur des charges d’espionnage et d’apostasie, fut assorti de la peine capitale.
Les graciés ont pourtant été expulsés du Yémen en juillet dernier. Ils résident désormais en Europe. L’initiative de défense baha’ie déplora cette expulsion. Dorénavant, la Cour criminelle continue de mener une action en justice contre les autres Baha’is incriminés, que la communauté internationale baha’ie appelle à retirer. Nabil Abdoul Hafeez, Vice-Ministre yéménite des droits de l’homme considère que « Les Houthis ont expulsé les Bahaïs afin de se saisir leurs biens ». À ce titre, le procureur demanda finalement aux détenus de ne plus organiser d’activités, ni de proclamer leur foi en public.
Une campagne de répression en continuation de l’histoire nationale
L’attention autour de ce procès, locale et internationale, concerne une persécution effective depuis le règne du président Saleh, de 1978 à 2011, intensifiée avec les Houthis. Un épisode marquant de cette persécution fut l’arrestation de soixante-cinq baha’is par les forces houthistes, en août 2016 à Sanaa. Ils assistaient pourtant à une réunion communautaire pacifique. Un autre événement fut enfin le rapt d’Abdullah Yahia Al-Ayolofi, en octobre 2018, un converti au baha’isme dont le sort reste inconnu.
Ces actes sont contraires au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, que le Yémen a ratifié en 1987, qui garantit la liberté de pratiquer sa religion « individuellement ou collectivement, tant en public qu’en privé ». En cela, les États-Unis ont dorénavant ajouté les Houthis sur la liste des groupes en violation des libertés religieuses en décembre 2019.
La persécution, facilitateur contradictoire du prosélytisme baha’i
Cette persécution dépasse toutefois les clivages traditionnels, dont la pertinence est souvent remise en cause, entre sunnites et chiites. Toute action baha’ie fait l’objet d’une répression accrue des Houthis. Quel espoir reste-il donc pour le ba’haisme au Yémen ?
Ce sectarisme permet par contre aux Baha’is, de gagner des membres dans différentes provinces. De plus, ils ont pu tenir leur premier meeting pour la jeunesse en 2015. Cette persécution surpasse toutefois le faible nombre de convertis.
L’intensité de la répression, l’accès à l’information et le truchement des conflits au Yémen occultent les Baha’is. Ils deviennent un micro-phénomène au milieu de la « pire crise humanitaire du monde ».
Reportée, la session judiciaire reprendra enfin le 13 avril, en réponse au pourvoi des dix-neuf Yéménites baha’is restants, qui risquent toujours la sentence capitale.
Image : Le sommet de Bab, By David Shankbone, CC BY SA 3.0