La Cour Européenne des droits de l’Homme (CEDH), institution du Conseil de l’Europe, a rendu l’arrêt, non définitif le 25 octobre 2018 dit « E.S contre Autriche » [1]. Cet arrêt a eu un écho particulier et a remis la question du blasphème en Europe au premier plan.
Les faits
La requérante est une autrichienne qui fut condamnée, en Autriche, pour dénigrement de doctrines religieuses. Les faits se sont déroulés neuf ans plus tôt, au cours d’un séminaire intitulé « Information de base sur l’islam » [2]. Elle avait mentionné le mariage entre le prophète Mahomet et Aïsha, alors âgée de six ans, et le fait que ledit mariage aurait été consommé alors qu’Aïsha avait neuf ans. La requérante s’est alors exprimée « un homme de cinquante-six ans avec une fille de six ans (…) De quoi s’agit-il si ce n’est pas de la pédophilie ? ».
La requérante condamnée en Autriche saisit la CEDH en invoquant la violation de l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’Homme, c’est-à-dire de sa liberté d’expression.
Une décision controversée de la CEDH
Dans cet arrêt, la CEDH ravive les controverses entre les sujets religieux et la liberté d’expression en Europe. En effet, c’est avec une unanimité inhabituelle que la Cour européenne affirme la non-violation de l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’Homme en arguant que les propos de la requérante sont incompatibles avec les valeurs de tolérance, de paix sociale et de non-discrimination et qu’ainsi la requérante ne peut être protégée par la liberté d’expression.
La CEDH affirme également que la nature particulièrement sensible des questions religieuses dépend de la situation du pays [3] où les propos sont tenus ainsi que du contexte temporel et géographique [4]. En l’espèce, elle estime que la justice autrichienne était compétente pour évaluer si une déclaration telle que celle tenue par la requérante pouvait perturber la paix religieuse dans le pays. Ainsi, la Cour européenne argue que les juridictions autrichiennes ont correctement et justement mis en balance la liberté d’expression et le droit des individus à voir protégées leurs convictions religieuses. Par conséquent, elle valide la condamnation pour dénigrement de doctrines religieuses.
Des interrogations en attendant l’arrêt définitif
La liberté de pensée et d’expression touchant aux questions religieuses se trouve profondément impactée par cette décision traitant de ‘diffamation des religions’ en plaçant certaines limites à l’expression des uns pour favoriser la protection des sentiments religieux des autres [5]. Priment alors les objectifs de « tolérance mutuelle » et de « coexistence pacifique », tel qu’exprimés par la Cour de Strasbourg. Plusieurs interrogations semblent alors se dessiner avec cette décision.
Ainsi, avec cet arrêt, certains auteurs affirment que la CEDH « n’est pas Charlie »[6] en ne permettant pas que certains propos pouvant indigner la foi [7] puissent rentrer dans la protection de l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’Homme. D’autres arguent en revanche la justesse de cette décision, ancrée dans une volonté de reconnaissance et de respect de toutes les croyances.
De plus, la CEDH qui donne une grande marge d’appréciation aux Etats avec cet arrêt risque de permettre une protection et une application distincte des divers droits fondamentaux de la Convention en fonction des Etats concernés. La disparité de l’expression des libertés fondamentales en Europe pourrait alors apporter des débats juridiques tendus.
Dans l’attente de l’arrêt définitif et en considérant l’actualité religieuse, les controverses concernant cette décision ne s’amoindriront pas.
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[1] CEDH, E.S. c. Autriche, 25 octobre 2018, requête n°38450/12.
[2] « Grundlagen des Islams ».
[3] MATHOUX H., « nouveau coup d’épée de la CEDH à l’encontre de la libre critique des religions », Marianne, octobre 2018.
[4] CEDH, E.S. c. Autriche, 25 octobre 2018, requête n°38450/12, § 50.
[5] SCHWAB A., « Entre liberté de religion eet libeté d’expression : émergence de la notion onusienne de « diffamation des religion », Revue du Mauss, 2017.
[6] SUGY P., « Délit de blasphème : »La CEDH n’est pas Charlie ! » », Le Figaro, octobre 2018.
[7] MARTIN J., « CEDH – E.S. c. Autriche, 25.10.2018 », http://julienmartinavocat.fr/cedh-e-s-c-autriche-25-10-2018/
Image : Je suis Charlie by Guerry Lauzon. Flickr/wikicommons CC BY-SA 3.0.